Inouï ! La théologie de Charles Journet suspectée à Rome

  • Fr. Guy

Un historien livre ses recherches

Philippe Chenaux : Charles Journet, un théologien sous surveillance ? « Nova et Vetera », janvier-février-mars 2024, p.41-55.

Comme Bernard Hodel, à l'article récent de « Nova et Vetera » duquel nous venons de réagir sur ce blog, Philippe Chenaux est un historien suisse particulièrement intéressé par le parcours de l’Église en Romandie au cours des deux derniers siècles. Il en est un excellent et passionnant connaisseur. On lui doit de pertinentes contributions sur le théologien Charles Journet. Vatican II a fait de ce prêtre genevois un cardinal.

Présent et enseignant à Rome, Philippe Chenaux a pu avoir accès aux archives vaticanes longtemps tenues secrètes, ouvertes désormais aux chercheurs de tous horizons. La rédaction de l’article que nous recensons est le fruit de cette consultation.

Je dois avouer que c’est le titre de cet article qui m’a surpris et même alerté. Je n’aurais jamais imaginé que la curie romaine surveillait de près les moindres écrits de Charles Journet. Je n’aurais pas été autrement étonné si le prévenu s’était appelé Maurice Zundel. Mais Charles Journet, tout de même !

Deux « incidents » sont à l'origine de l'article de Chenaux. Le premier fait allusion à la réflexion d'une mère d'enfants scolarisés : au catéchisme, on leur parle de paradis terrestre, à l'école d'évolution. Journet se sent provoqué par cette mère dont il tait le nom et rédige un opuscule qui va paraître en décembre 1950 aux Éditions Saint-Augustin, imprudemment intitulé « Petit catéchisme sur les origines du monde ». Cette brochure reprend en l’augmentant un article déjà publié dans « Nova et Vetera ». 

Les autorités romaines qui en ont pris connaissance contestent le mot « catéchisme », comme si les propos d’un théologien avaient l‘autorité du magistère ecclésial. Surtout, on ne le trouvait pas assez net face au polygénisme et à l’hypothèse de l’évolution, deux théories alors en vogue, même hors des milieux scientifiques. On lui reprochait aussi son exégèse « large », autrement dit peu rigoureuse, tout en le soupçonnant d’appartenir au groupe de théologiens séduits par « la nouvelle théologie » d’origine et de marque françaises. L’Encyclique « Humani generis » publiée à cette époque l’avait condamnée.

Mais, à Rome, Journet avait de précieux appuis. Journet faisait partie du cercle intime de Jacques Maritain qui fut aussi ambassadeur de France auprès du Saint-Siège. Les relations du philosophe dédouanèrent Journet à la cour pontificale de tout soupçon d’hérésie.

Le regard du Saint-Office sur cette affaire fut par contre moins indulgent. Invité à donner son avis, le futur cardinal Bea émit des réserves dont l’auteur devrait tenir compte en cas de réédition de son ouvrage. Une réaction à l’opposé du jugement positif émis par le frère dominicain Brown, alors théologien de la Maison pontificale, consulté par la Secrétairerie d’État, futur cardinal lui aussi.

L’origine du second « incident » nous intéresse particulièrement puisqu’elle est fribourgeoise. L’université de Fribourg avait sollicité l’avis de la Congrégation romaine des séminaires et universités en vue d’une nomination professorale de Charles Journet. Avant de donner son autorisation, le préfet de cette Congrégation, Giuseppe Pizzardo, souhaitait connaître l’avis de personnes idoines sur l’auteur de « L’Église du Verbe Incarné » dont le deuxième tome venait de paraître.

Les informations reçues de la nonciature de Berne furent assez décevantes. La théologie de Journet n’était considérée que comme un sous-produit de la pensée maritanienne mise en exergue avec originalité et même poésie. Le père Brown ne changea pas la teneur de son premier avis, tout en se plaignant que l’ouvrage de Journet dont on sollicitait son avis était trop épais pour qu’il eut le temps de le lire prochainement d’une seule traite. Seul, son frère dominicain Garrigou Lagrange étala de longues réserves sur le livre de Journet jugé trop proche de la pensée de Maritain qu’il n’appréciait pas. En particulier la pensée du philosophe sur les relations entre Église et État développée dans l’ouvrage du philosophe : L’humanisme intégral. A cette époque, seul le franquisme trouvait grâce à la curie romaine.
 
Mais, une fois de plus, cette enquête n’eut pas de conséquences fâcheuses pour Charles Journet. Devenu cardinal, il intervint même dans la rédaction du décret conciliaire sur la liberté religieuse. Toutefois, à ma connaissance, il ne fut jamais professeur à l’université de Fribourg. Je ne pense pas que l’incident rapporté plus haut en fut la cause. D’autres motifs moins théologiques pourraient en rendre raison.

Le cardinal Charles Journet dans un portrait par Armand Niquille. © Fondation Armand Niquille. Wikipédia. Cette image est sous licence internationale Attribution-ShareAlike 4.0 International.

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