A quoi cela sert-il de prier ?

Homélie pour le 17ème dimanche du Temps Ordinaire par le frère Pierre de Marolles

Gn 18, 20-32 ; Ps 137/138 ; Col 2, 12-14 ; Lc 11, 1-13

A quoi cela sert-il de prier ?

Les textes d’aujourd’hui parlent de prière. Et Jésus dans l’évangile nous affirme même : « Demandez, on vous donnera » ! Mais cette affirmation pose trois difficultés.

La première – celle qui viendra immédiatement à quiconque a déjà fait l’expérience de la prière – c’est tout simplement que cela ne marche pas ! Nous avons tous fait l’expérience d’avoir demandé à Dieu quelque chose dans la prière que nous n’avons pas reçu…

La première difficulté est donc : Pourquoi nous ne recevons pas tout ce que nous demandons ?

A cette question, l’image de Dieu comme un père, que donne Jésus, est parlante. En effet, tout parent sait qu’il n’est pas bon de donner à un enfant tout ce qu’il demande. Soit parce qu’il demande de mauvaises choses soit parce qu’il en demande de bonnes mais au mauvais moment.

Dieu est un père aimant, pas le génie de la lampe magique qui exauce tous nos désirs en claquant des doigts. D’ailleurs dans ces histoires – a part chez Walt Disney – le génie est méchant et les vœux se retournent contre ceux qui les font. En effet nous ne savons pas vraiment ce qu’il nous faut et Dieu fait donc bien de ne pas toujours nous donner exactement ce que nous demandons.

D’ailleurs il est remarquable que dans l’expression « Demandez, on vous donnera », il n’est pas précisé qu’on nous donnera ce que nous aurons demandé.

Il y a quelques années j’avais trouvé une prière anonyme sur Internet qui semble venir d’un soldat américain pendant la guerre de Sécession :

J’ai demandé à Dieu la force, pour que je puisse faire ce que je veux.
Il m’a été donné d’être faible, pour que j’apprenne humblement à obéir.
J’ai demandé la santé, pour réaliser de grandes choses.
Il m’a été donné l’infirmité, pour que j’en réalise de meilleures.
J’ai demandé la richesse, pour être heureux.
Il m’a été donné la pauvreté, pour être sage.
J’ai demandé le pouvoir, pour obtenir la gloire des hommes.
Il m’a été donné la faiblesse, pour que je ressente le besoin de Dieu.
J’ai demandé toute chose, pour apprécier la vie.
Il m’a été donné la vie, pour que je puisse apprécier toute chose.
Je n’ai rien obtenu de ce que je demandais, mais j’ai obtenu tout ce que j’espérais.
Presque malgré moi, mes prières inexprimées ont été exaucées.
Je suis, d’entre les hommes, le plus bénis.

Cette prière exprime très bien l’idée que Dieu peut exaucer nos prières sans nous donner tout ce que nous avons demandé mais en nous donnant ce dont nous avons réellement besoin.

Ainsi pouvons-nous répondre à la première objection. Mais vient aussitôt la seconde.

Nos prières reviennent souvent à demander que nous-même ou un proche soyons libérés d’un mal qui nous fait souffrir. Et il ne suffit pas dire que Dieu, lorsqu’il ne nous libère pas de ce mal, nous prépare un bien plus grand. Cela aura beau être vrai, le mal et la souffrance reste un scandale.

C’est au fond à ce scandale – le scandale du mal – que se heurte chacune de nos prières !

Si Dieu est bon et tout puissant comment peut-il laisser ce monde souffrir le mal, la violence et la mort !? A quoi bon prier, si Dieu ne nous libère pas aussitôt de tout mal une fois pour toute ?

En fait, Dieu a bel et bien prévu de le faire : un jour il mettra fin à tout mal de manière radicale et définitive. C’est ce qu’on appelle communément la « fin du monde ». Le jour où le ciel se déchirera, où Dieu sera enfin tout en tous et que le mal ne sera plus.

Seulement voilà : j’ai beau aspirer à ce jour de toutes mes forces, s’il arrivait là maintenant tout de suite, je ne suis pas sûr d’être prêt …

En effet, le mal a un caractère contagieux : chaque mal est engendré par un autre et l’ensemble des maux forment ainsi un grand réseau. Cela implique que Dieu ne peut pas faire disparaître les maux un par un, mais qu’il doit les faire disparaître tous en un seul coup.

Si cela nous paraît souhaitable vis-à-vis des maux dont nous souffrons ; il faut se souvenir qu’il y a un autre type de mal dans la vie de chacun de nous : le mal que nous faisons, que nous avons laissé s’installer dans notre cœur.

Ainsi faire disparaître du monde tous les maux implique aussi que notre cœur devra se détacher de toute forme de compromission avec le mal et c’est là que je ne suis pas sûr que l’humanité tout entière – et moi en particulier – soit prête pour ce moment … Alors Dieu patiente et nous sommes invités à demander chaque jour à ce que « son règne vienne » !

Mais Dieu qui est tout puissant ne pourrait-il pas trouver un moyen pour que le mal soit vaincu tout en laissant à chacun de nous le temps d’accueillir et de faire nôtre cette victoire ?

Là encore c’est bel et bien le projet de Dieu et il l’a même déjà fait ! C’est ce qui est arrivé en Jésus sur la croix !

En Jésus, Dieu est venu planter au cœur des ténèbres, un chemin vers la lumière : la mort n’a plus le dernier mot et le pardon l’a emporté sur la haine ! Nous ne pouvons pas tomber plus bas que dans ses bras ouverts sur la croix !

Le mal est déjà vaincu, mais Dieu prend patience et laisse à chacun le temps d’entrer dans sa victoire, d’être ressuscités avec le Christ comme dit St Paul.

Ainsi nous voyons que la deuxième objection plus grave et plus sérieuse que la première, trouve une incroyable réponse dans la croix du Christ : Dieu n’est pas sourd à nos prières ; en Jésus, notre libération est déjà en marche, prête à conquérir tous les cœurs et à resplendir dans le monde entier.

Reste une troisième objection plus terrible encore que les deux précédentes mais dont la réponse apporte une lumière plus sublime encore sur le plan de Dieu !

Cette objection surgit exactement lorsque Dieu exauce nos prières !

En effet, lorsque Dieu nous donne, peut-être pas exactement ce que nous avons demandé, mais ce dont nous avons besoin, surgit alors une question redoutable : Dieu avait-il besoin que je lui dise ce qu’il me fallait ?

Dieu n’est-il pas infiniment sage ? A-t-il besoin de moi pour lui conseiller ce qu’il doit faire pour que le monde aille mieux ?

Regardez ce que cela donne avec Abraham intercédant pour Sodome : un véritable marchandage ! On se croirait au souk dans la vieille ville de Jérusalem…

Alors quoi ? Dieu serait-il méchant, qu’il ait besoin d’Abraham pour l’apaiser ? Ou bien, serait-il stupide, qu’il ait besoin d’Abraham pour le conseiller ?

Comme nous savons que Dieu n’est ni bête, ni méchant, reste la question redoutable : pourquoi Dieu nous commande-t-il de le prier alors qu’il sait tout et dans son amour fait toujours ce qui est le mieux pour nous !?

Dieu ne pourrait-il pas, lui qui infiniment sage et tout-puissant, nous donner tout ce dont nous avons besoin sans que nous ayons besoin de le lui demander ?

Et bien oui, Dieu pourrait nous sauver et sauver le monde sans nous ; mais ce serait « sans nous » justement et c’est cela qu’il ne veut pas !

Dieu veut – il le veut de tout éternité – tenir compte de nos prières pour décider de la manière dont le monde sera sauvé !

Dans sa parabole de l’ami importun, après nous avons mis dans la tête de celui qui vient déranger l’autre en pleine nuit, Jésus nous met en quelque sort dans la tête même de Dieu, dans la tête de celui qui se fait déranger ! Et il nous dit que, quand bien même Dieu ne nous exaucerait pas par amour, il nous exaucerait à cause de notre sans-gêne.

Cela revient à dire que Dieu veut que nous venions le déranger ! Et pourquoi ? Simplement parce que c’est lui qui nous a fait ! Du moment où il nous a créer, il a prévu que nous le dérangions de nos prières, que nous modifierons son plan de salut par nos prières.

Lui qui peut tout, il décide de prendre les détours de nos prières pour accomplir son projet de salut pour le monde ! Il fait de nous ses collaborateurs !

La prière n’est donc pas seulement la relation confiante à un père qui nous donne de recevoir, non pas tout ce que nous demandons mais tout ce dont nous avons besoin ; elle n’est pas seulement non plus une manière d’entrer dans le projet de salut déjà à l’œuvre dans le monde depuis la croix du Christ et jusqu’aux jours d’éternité ; la prière est l’œuvre en nous de l’Esprit saint qui nous fait participant, acteur, du projet d’amour de Dieu pour le monde.

Alors prions : prions sans cesse !

 

Saint Dominique en prière (détail), Le Greco, entre 1586 et 1590. Wikipédia.

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