André de Bethsaïde et André de Courrendlin

Homélie pour la messe d’adieu du frère André Valet

Ils étaient deux amis, du même âge sans doute. L’un s’appelait Philippe, l’autre André. Ils habitaient le même village de pêcheurs, Bethsaïde précisément, au bord du lac que certains appelaient Mer de Galilée.

Pas étonnant qu’on les retrouve un jour à la suite de Jean-Baptiste. Tout le monde courait vers cet étrange et hirsute prophète. Les plus pauvres surtout, ceux qui attendaient un monde nouveau qui ne serait plus dominé par les injustes et les violents. Un Messie allait prendre la tête de cette révolution et remettre les choses à leur bonne place. André et Philippe attendaient que Jean le leur désigne.

Un inconnu passe sur le chemin. Le Baptiste s’exclame. « C’est lui ! ». Aussitôt, les deux amis changent de cortège et se mettent sur les pas du nouveau venu. Mais à distance. Par précaution et prudence. Que savent-ils de lui ?

Alors, Jésus de Nazareth – parce que c’est lui – vient à leur secours. Il se retourne et leur demande ce qu’ils cherchent. Interloqués, ils veulent savoir où habite celui qu’ils appellent, pour le moment. « Rabbi ».

Alors, le récit biblique prend un sens plus mystérieux. André et Philippe sont invités à demeurer – et pour très longtemps dans l’intimité de Jésus. La cohabitation commence tard. A la dixième heure d’un jour qui n’en compte que onze. Mieux vaut tard que jamais. Nos deux amis ont déjà tout un pan de vie derrière eux. Mais tout change désormais : ils ont trouvé le Messie.

Ce n’est pas une nouvelle que l’on garder pour soi tout seul. André est dévoré par le désir et l’impatience de la communiquer. « Avant tout autre », dit l’évangile, il va trouver « son propre frère », Simon-Pierre, resté au village ou dans sa barque.

Et il l’amène à Jésus.

Une autre histoire commence, celle de Pierre. Comme dans une course de relais, Pierre reçoit le témoin de son propre frère et court à son tour. Un long périple qui l’emmènera un jour à Rome, finir sa course dans les arènes du Vatican, cloué lui aussi sur une croix.

Mais le quatrième évangile n’oublie pas André, le premier appelé, le protokletos comme le désignent les Grecs d’aujourd’hui.

De Grecs précisément, il en est question dans le même évangile. Quelques Héllènes se trouvent un jour de fête à Jérusalem. Ils désirent eux aussi « voir Jésus ». Une démarche s’impose. Philippe qui tout comme André porte un nom grec et, on le présume, parle cette langue, veut bien les introduire auprès du Maître. Mais il ne le fera qu’avec son vieil ami André, lui aussi citoyen biculturel de Bethsaïde. « Ensemble, dit l’évangile, ils le dirent à Jésus. »

Notre cher André n’oubliait jamais de nous rappeler chaque 30 novembre la fête de son patron céleste. C’est pourquoi, même avec un jour de retard et devant son cercueil, je relis ce passage de l’évangile de Jean. Notre frère André, comme tout dominicain qui se respecte, pourrait se reconnaître dans cette belle histoire. J’aimerais en évoquer quatre moments qui me paraissent fondamentaux.

Tout d’abord, on n‘a pas accès à la maison de Jésus sans que quelqu’un ne nous y introduise en nous prenant la main. Une histoire de vie a précédé ce moment essentiel. Des hommes, des femmes, des livres, des événements nous ont mis sur cette piste. André de Courrendlin a eu ses devanciers, ses précurseurs, comme André de Bethsaïde a eu le sien, Jean le Baptiste.

On peut être appelé tardivement à cette rencontre décisive. Pour l’André des évangiles ce fut au crépuscule, alors que le soleil du jour déclinait. Pour notre André ce fut au printemps de sa vie. Mais l’intensité de l’attente et de la recherche du Christ ne se mesure pas en années, en heures et en minutes, mais en disposition du cœur et de l’esprit. On peut revenir de loin, de très loin, sans n’être jamais sorti de son petit chez soi.

L’important, finalement, n’est pas de rechercher Jésus, mais de demeurer avec lui, dans sa maison. Là, à demeure, nos deux André eurent tout le loisir de le connaître pour ce qu’il est vraiment et de ne pas le confondre avec n’importe quel messie va-t-en-guerre et triomphant. Vivant dans l’intimité de Jésus, ils ont appris à lire à travers l’image de cet agneau immolé la réalité d’un Dieu souffrant.

De même, ces Grecs auront appris que la véritable célébrité est celle du grain qui meurt seul en terre, pour se réveiller fécond, porteur de fruits en abondance. Un passage étroit vers la résurrection. Celui que tu as douloureusement traversé ces mois derniers, cher André, pour entrer dans la vraie Vie.

Je termine en faisant l’éloge de la nécessaire communication fraternelle. Il fallut un Jean Baptiste pour faire naître la foi d’André et il fallut André pour faire naître celle de Pierre.

C’est notre métier de prêcheurs. Nous avons de qui tenir. Nous sommes redevables à tant de témoins, croyants ou non, qui nous ont précédés. Et notre devoir, je dirais le plus agréable, est de communiquer à d’autres ce que nous avons appris et reçu, ce qui nous fait vivre maintenant. Aliis tradere. Transmettre à d‘autres ce que nous avons reçu et découvert, telle est la devise des dominicains. Et, comme André de Bethsaïde, nous devons le faire en commençant par ceux qui nous sont les plus proches.

Nous communiquons, chacun selon ses charismes personnels, que ce soit par nos écrits, nos cours, nos conférences, nos sermons, et parfois même par notre silence. Pour tout dire, par la totalité de notre vie. Il arrive aussi que nous puissions nous tromper et tromper ceux qui nous écoutent, mais nous ne craignons pas de nous rétracter, comme notre frère, le grand saint Augustin, nous l’a a appris.

Tu avais ta manière à toi de communiquer, cher André. Parfois un peu déroutante et déconcertante pour ceux qui ne te connaissaient pas très bien. Mais, comme ton saint patron, tu gardais les yeux de ton cœur ouverts sur l’Agneau mis en croix. Sans paroles, ton index était dirigé vers lui, comme le doigt de Jean-Baptiste du retable d’Isenheim que tu as contemplé toi-même au musée Unterlinden de Colmar. Et de ta voix qui pouvait être aussi forte que faible tu ne cesses de nous répéter, maintenant plus que jamais :

« C’est Lui le Christ. Ne vous fiez pas aux apparences. N’hésitez plus. Ne cherchez plus. Entrez dans sa maison et demeurez chez Lui. »

— frère Guy Musy, Église St-Paul de Cologny, 1er décembre 2021

Une icône de saint André du musée Benaki à Athènes (image : Sharon Mollerus/Wikipédia)

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