Barnabé

L’homme du réconfort

L’appellation « Barnabé » n’est pas réservée à un café-théâtre très couru du Jorat vaudois. Elle concerne aussi un personnage biblique de l’Eglise primitive fort peu connu, mais à vrai dire moderne, humain et sympathique. Je m’en voudrais de ne pas lui rendre hommage le jour de sa fête célébrée ce 11 juin. L’Eglise a fait de lui un « apôtre », même si de son vivant Barnabé ne côtoya jamais Jésus de Nazareth. Son histoire nous est narrée au livre des Actes des Apôtres.

C’est un vitrail d’Alexandre Cingria de notre église St-Paul de Genève qui attira mon attention sur Barnabé. L’artiste le représente avec Paul, son compagnon missionnaire, dans une posture singulière. La population fruste et crédule de la ville de Lystre, à la vue d’un miracle de Paul, veut sacrifier un bœuf à ces deux hommes reconnus comme des dieux descendus de l’Olympe (Actes14,8-18). Pris comme Zeus, Barnabé horrifié repousse cette offrande idolâtre, tout en acceptant, comme Paul, la maquette de la future église genevoise présentée par le curé Francis Jacquet qui prit l’initiative de la construire. Les deux apôtres donnèrent ce jour-là un bel exemple d’abnégation dont devraient s’inspirer les ecclésiastiques de tous les temps.

Mais revenons aux étapes de la vie de Barnabé. Né à Chypre, c’est un juif helléniste, donc « biculturel », qui dut faire ses classes à Jérusalem. Il adhère très tôt à « lavoie » ouverte par Jésus et devient membre de cette première communauté de disciples qui mettent en commun leurs biens. Barnabé apporte son écot : le prix d’un champ qu’il a mis en vente. Plus tard, il viendra encore au secours de ses frères de Jérusalem frappés par une famine. En Syrie, il organisera une collecte de vivres en leur faveur. Est-ce pour cette raison qu’on le surnomma : « fils du réconfort » ou de « la consolation » ?

Il mérite assurément ce titre lorsqu’il se porte garant auprès de la communauté de Jérusalem de la bonne foi de Paul lorsque l’ancien persécuteur converti, mais toujours redouté, revint de Damas. Un lien très fort va désormais unir les deux amis dans l’exercice  d’une même mission.

Lorsque les chrétiens d’origine juive de Jérusalem s’émeuvent ou se scandalisent que des Grecs païens d’Antioche aient pu recevoir le baptême, c’est encore Barnabé qui est envoyé en enquêteur. Il n’hésite pas à quitter la Judée pour cette métropole. Arrivé sur place, il se réjouit de la conversion des « Grecs » plutôt que s’y opposer. La mission est si importante qu’il se déplace à Tarse pour appeler son vieil ami Paul à la rescousse. Ce dernier avait entretemps regagné sa ville natale, supportant mal sans doute le climat de suspicion qui pesait encore sur lui à Jérusalem.

Ensemble, ils participent à Antioche à l’éclosion et au développement d’une communauté chrétienne ouverte à la multiplicité culturelle. C’est sans doute sous l’influence de Barnabé qu’à Antioche encore, et pour la première fois, les disciples de Jésus se dénommèrent « chrétiens ».

Mais l’itinérance est la marque de fabrique du missionnaire. Un jour donc, la communauté d’Antioche décide, après avoir prié l’Esprit, d’ouvrir toutes grandes portes et fenêtres vers le grand large. Autrement dit, vers les autres provinces d’Asie Mineure de l’empire romain, à commencer par les plus proches. Elle envoie donc très solennellement Paul et Barnabé entreprendre un premier périple d’évangélisation.

Tout naturellement, les deux missionnaires s’embarquèrent pour Chypre que connaissait déjà Barnabé. Ils emmenèrent avec eux un  « auxiliaire », un certain Jean-Marc qui ne tardera pas à les abandonner quand ils retourneront sur le continent. Ils poursuivirent leur mission jusqu’à Iconium, faisant une escale mémorable à Lystre dont on a déjà parlé.

Les chapitres 13 et 14  des Actes  rapportent avec détail ce que fut ce premier voyage apostolique. Il ne manqua pas d’incidents, de souffrances et d’oppositions, mais suscita aussi dans le cœur des missionnaires beaucoup de consolations. De jeunes et sans doute fragiles communautés furent fondées dont la conduite fut confiée à des « anciens ». Les deux apôtres s’efforçaient de les soutenir quand il leur arrivait de revenir sur leurs pas pour les visiter.

Nos deux compagnons décidèrent un jour de retourner à Antioche, leur  camp de base, pour faire rapport de leur mission à la communauté qui les avaient envoyés. Ils le firent avec d’autant plus de conviction et d’enthousiasme que certains individus s’étaient infiltrés dans la communauté d’Antioche pour condamner leur entreprise sous prétexte qu’on ne pouvait baptiser des païens qui préalablement ne s’étaient pas faits circoncire. L’affaire fit grand bruit et menaça de  diviser la communauté. On fit donc appel aux « colonnes » de l’Eglise, les apôtres et les anciens de Jérusalem, pour dirimer ce débat. Barnabé et Paul furent délégués pour faire état devant ce synode de leurs activités missionnaires. Le chapitre 15 des Actes relate cet épisode ainsi que le compromis qui fut accepté pour mettre fin à ce conflit. Sans trop de succès  d’ailleurs, si on en croit les Lettres de Paul.

Le retour à Antioche des deux délégués fut suivi d’une « brouille » mémorable qui entraîna leur séparation. La cause n’est toujours pas éclaircie. Selon le Livre des Actes (15.37-38), elle s’explique par le fait que Paul s’opposa à ce que Jean-Marc qui les avait abandonnés fasse partie de la deuxième caravane missionnaire prête au départ. Les deux « apôtres » se séparèrent et prirent chacun un autre chemin. Barnabé et Jean-Marc regagnèrent Chypre, sans qu’on ne sache ce qu’ils sont devenus, tandis que Paul avec Silas, son nouveau compagnon, entreprenait une nouvelle campagne missionnaire qui devait cette fois-ci le conduire jusqu’au cœur de la Grèce.

La Lettre de Paul aux Galates (2,13) semble donner une raison plus sérieuse à ce conflit de personnes. Barnabé est accusé par Paul de s’être laissé entraîner dans le double jeu de Pierre qui à Antioche, après le synode de Jérusalem, se serait abstenu de prendre son repas avec des chrétiens non circoncis. Par faiblesse sans doute, plus que par conviction. Mais Paul ne transige pas avec ces inconséquences. Pour lui, c’était à prendre ou à laisser.

On n’en saura pas davantage sur Barnabé. Du moins, dans les Ecrits bibliques canoniques. On aurait préféré peut-être un happy end. Un compagnonnage sans rupture, une amitié sans faille et une mort en beauté. Ne confondons pas toutefois l’hagiographie légendaire et faussement édifiante avec le bois vert où sont taillés les vrais saints. Chez eux, comme chez nous, la grâce fait péniblement son chemin entre peines et misères. Tant mieux si nous ignorons quelle fut l’issue de la vie de notre cher Barnabé. Pour lui comme pour nous, c’est un secret dont Dieu seul détient la clef.

fr. Guy Musy

Icon de saint Barnabé, musée de Salamis, Chypre (Wikimedia Commons)

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