Cathédrale de Genève : la messe est dite !

Après quasi 500 ans

Ce samedi 5 mars, à la cathédrale St-Pierre de Genève, devenue temple protestant, « la messe est dite ». Ou plutôt, « redite », après près de cinq siècles d’interruption. L’événement aurait dû se produire il y a deux ans si le Covid n’avait pas perturbé les plans de deux amis, l’abbé Pascal Desthieux et le pasteur Emmanuel Rolland, qui avaient imaginé cette messe singulière. Ils assumaient à Genève des charges importantes dans leurs Eglises respectives : vicaire épiscopal pour l’un, pasteur de la paroisse St-Pierre pour l’autre.

La remise à plus tard de ce projet fut bénéfique. Ce délais apaisa l’irritation de quelques calvinistes purs et durs et mit un frein aux sentiments revanchards d’une poignée de catholiques rêvant de reconquérir « leur » cathédrale volée par de lointains hérétiques.

Reconnaissons que l’enjeu de célébrer cette messe était de taille et le symbole puissant. La cathédrale St-Pierre était celle du prince-évêque de cette Ville-Etat, expulsé de ses terres par ses sujets qui adoptèrent du même coup « la foi nouvelle » prêchée par Guillaume Farel, l’émissaire de leurs alliés bernois. Faut-il s’étonner si les calvinistes genevois ont développé au cours des siècles une allergie à la fonction épiscopale et à tout ce qu’elle représente ?

Mais l’affaire se corse quand il s’agit de la messe. Au 16ème siècle, ce mot signifiait à lui seul pour les propagandistes de la Réforme la superstition papiste dont il fallait se débarrasser au plus vite. On votait alors dans notre pays pour ou contre la messe. L’abandon de cette seule pratique équivalait à accepter tout l’édifice réformé. Ne nous étonnons pas si par réaction la messe est devenue le point de ralliement du monde catholique et sa liturgie investie d’une autorité quasi infaillible.

Cette histoire a pesé sur le conscient et l’inconscient collectifs des catholiques et des protestants de Genève qui depuis l’abolition des frontières religieuses ont tout de même dû se côtoyer et apprendre à vivre ensemble. D’abord comme chiens et chats, puis acquis à l’œcuménisme dont cette messe devait être sans doute pas le point d’orgue, mais un moment exceptionnel et prophétique.

Parmi les 1.500 personnes qui avaient répondu à cette invitation, nombreuses étaient celles qui depuis les années conciliaires ont cheminé à petits pas vers ce point de non retour. Déçus des atermoiements et des mises en garde, mais reconnaissantes de ce qu’elles ont partagé et partagent encore. Parmi tant d’œuvres communes aux protestants et aux catholiques de Genève, mentionnons l’Atelier Œcuménique de Théologie, le Bureau de service et de recherche catéchétique, les aumôneries de prisons et d’hôpitaux, l’accueil œcuménique des requérants d’asile, ou d’autres organismes moins officiels comme les communautés de base, le Cursillo, les Foyers mixtes. Sans parler de l’imprégnation chrétienne des institutions civiles et étatiques, même si la République de Genève affiche sa laïcité et que ses habitants de plus en plus interreligieux et internationaux ne peuvent survivre que dans un univers sécularisé. La croix demeure encore au cœur de l’emblème du CICR, fondé par Henry Dunant.

La messe à la cathédrale devait tenir compte de cette histoire complexe, ancienne et contemporaine. Surtout, éviter tout faux pas et marquer une nouvelle étape sur le chemin vers l’unité. Ce défi fut relevé, malgré quelques inévitables approximations.

Tout d’abord, ce fut la paroisse réformée de St-Pierre qui invita les fidèles catholiques à célébrer leur messe dans la cathédrale vouée au culte réformé. La liturgie ne fut donc pas œcuménique, mais confessionnelle, conforme au rite catholique latin dans sa forme ordinaire. Au premier rang de la procession d’entrée figuraient une délégation de pasteurs et le conseil paroissial du lieu. Le président de ce conseil fut du reste le premier à prendre la parole, saluant le Vicaire épiscopal, Pascal Desthieux, président de la célébration, et à travers lui la petite cohorte de prêtres et de diacres qui l’accompagnaient, ainsi que la foule catholique qui remplissait la nef. Ce geste indiquait bien qu’il ne s’agissait pas d’une reconquête ou d’une récupération, mais d’une réponse à une invitation fraternelle.

Célébrée au début du carême, la messe devait donner une large place à la pénitence. Trop insistante à mon goût. Il aurait mieux valu nous réjouir de nous retrouver en ce lieu, et si bien accueillis. Je suis lassé de ces litanies usées et stéréotypées qui nous invitent à demander pardon pour nos fautes contre l’unité. Un aveu formel et rhétorique, finalement sans lendemain. Par contre, l’imposition mutuelle des cendres entre pasteurs et prêtres, puis aux fidèles de l’assemblée, avait plus de signification. Ce geste rappelait nos origines et nos destinées communes. Entre la poussière d’où nous venons et la poussière ou les cendres où nous allons, il y a place pour un espace porteur de vie et d’espérance. Encore faut-il le créer ensemble.

Les intentions de prières reflétaient ce désir profond porté par la communauté internationale qui est une des marques essentielles de l’Eglise catholique présente à Genève. L’Ukraine ne pouvait donc être absente de cette célébration. La prière pour l’unité fut confiée à un prêtre gréco-catholique de ce pays, revêtu des ornements liturgiques de son rite. Et pour couronner le tout, une chorale africaine nous invita à la danse.

A la sortie, on se saluait sur le parvis heureux de se retrouver et d’avoir vécu cette messe. Beaucoup de catholiques déjà convertis à l’œcuménisme. Parmi eux, de vieux combattants que les déceptions n’ont pu faire fléchir. Mais où se cachaient les jeunes ? Et la masse de baptisés, catholiques ou protestants, ayant coupé les amarres qui les tenaient liés à leurs institutions ecclésiales pour chercher par eux-mêmes la spiritualité qui leur convient. Sans compter tous ceux et celles qui estiment que les problèmes et dissidences des chrétiens du 16ème siècle sont désormais réglés et dépassés et qu’il est temps de répondre ensemble aux vraies questions qui agitent l’humanité d’aujourd’hui.

En ce sens, cette messe n’était pas un retour nostalgique à un passé révolu, mais une promesse de nouvelles collaborations chrétiennes pour le bien de cette cité de Genève qui pourrait ressembler à la Ninive du prophète Jonas dont le Seigneur avait pitié : « une grande ville où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne savent distinguer leur droite de leur gauche. Et des animaux sans nombre » (Jonas 4,11).

Rapport du frère Guy Musy

La cathédrale St-Pierre de Genève (photo : la rédaction)

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