Cingria, le Curé d’Ars et les Dominicains

Étude d'un vitrail dans l'église St-Paul

Alexandre Cingria (1879-1945), à ne pas confondre avec son frère écrivain Charles-Albert, est un artiste peintre verrier très connu en Suisse romande.

Mais il fut aussi un homme de lettres auquel on doit « La décadence de l’art sacré » (Lausanne, 1917), un manifeste pour le renouveau de l’Art sacré après l’iconoclasme du calvinisme pur et dur et les mièvreries saint-sulpiciennes qui envahirent l’univers catholique.

Les œuvres de Cingria – surtout ses vitraux – jalonnent le parcours des églises catholiques construites en Romandie à la fin du 19ème siècle et au cours de la première moitié du vingtième.

C’est encore Alexandre Cingria qui fonda le « Groupe Saint-Luc » qui rassemblait à l’époque les artistes acquis au renouveau de l’Art sacré. Parmi eux, le fameux architecte fribourgeois Fernand Dumas.

Alexandre Cingria était déjà connu à Genève quand on sollicita sa participation au décor de la nouvelle église St-Paul.

Dès 1912, il était à l’œuvre à l’église Notre-Dame (pas encore basilique) qui lui doit neuf vitraux dans le chœur, le déambulatoire et le transept. Son tempérament de feu était bien plus vif que celui de Maurice Denis demeuré classique.

Alexandre était né à Genève sans doute, mais sa famille d’origine dalmate (Raguse-Dubrownik) avait aussi des attaches en Orient, à Constantinople précisément. Son audace déconcertait Maurice Denis que le traita un jour dans son Journal de « barbouilleur ».

Avant d’évoquer son « Curé d’Ars », il vaut la peine de mentionner les deux fenêtres jumelles du narthex, quatre vitraux, souvent ignorés des fidèles, exécutés plus tardivement (1925-1926) par Cingria. De l’avis des experts, ces vitraux sont des chefs-d’œuvre qui méritent qu’on s’y attarde. Sont représentées quatre figures du Premier Testament : Job et Tobie puis Jacob et son fils Joseph.

Avant de pénétrer les réalités « dernières », il faut piétiner longuement sur le chemin des « avant-dernières ». L’histoire des vieux patriarches proches de notre pauvre humanité nous aide à franchir le seuil et cheminer vers le cœur du mystère.

Mais quittons le narthex, entrons dans l’église et arrêtons-nous face au premier vitrail du bas-côté gauche dessiné par Alexandre Cingria en 1916 et dédié à Jean-Marie Vianney, le « saint curé d’Ars (1786 -1859) ».

Je me suis demandé quelle pouvait être la raison de la présence du curé d’Ars, béatifié en 1905, dans cette galerie de vitraux. Etait-ce un saint du terroir pour avoir vécu dans le département de l’Ain, limitrophe de Genève ?

J’imagine plutôt que la popularité de Jean-Marie Vianney ne pouvait que croître dans le peuple et le clergé à l’approche de sa canonisation qui sera prononcée par le pape Pie XI en 1925.

Notre église dont le décor n’était pas encore achevé devait en tenir compte. Une autre supposition plus vraisemblable est que ce fut le curé fondateur de St-Paul, l’Abbé Francis Jacquet, qui émit le désir qu’un vitrail fut consacré au curé d’Ars que l’on proposait comme modèle des pasteurs de paroisse. Sur l’autre versant de la nef, le vitrail de l’Abbé Jacquet lui fait face. Tout un programme.

Trois volets accompagnés de quelques mots explicatifs illustrent la vie du « saint curé ». Sur celui du haut, le brave homme est jeté bas de son lit et Cingria en donne la raison : « comment le curé fut persécuté par les diables ». Il est vrai que la vie et les propos du curé d’Ars sont épicés de diableries qu’il ne m’appartient pas d’interpréter ici.

Le motif du volet central est plus énigmatique. J’avoue n’avoir jamais entendu parler d’une vision de saint Jean-Baptiste à Jean-Marie Vianney, lui demandant, selon les mots du peintre, « d’être particulièrement honoré à Ars ».

Et de recevoir quasi miraculeusement les fonds nécessaires à l’édification d’une chapelle en l’honneur du Précurseur.

On connaissait déjà la dévotion du curé pour sainte Philomène que l’on ne repère pas sur ce vitrail. Quant à celle qu’il vouait à saint Jean-Baptiste, le mystère demeure.

Par contre, le volet inférieur nous est plus familier parce que confirmé par l’histoire.

Alexandre Cingria le précise : « de 1826 à 1858 des foules de pèlerins se pressent à Ars ».

Non seulement par curiosité, mais aussi poussés par le désir d’écouter les sermons du curé et de se faire entendre par lui en confession. Cingria écrit sur son vitrail que des pèlerins ont afflué à Ars dès 1826, huit ans après l’arrivé de Jean-Marie Vianney dans ce hameau perdu et que ce mouvement durera pratiquement jusqu’à sa mort, survenue en 1859.

Le peintre a rassemblé devant le presbytère une foule bariolée. On y distingue un militaire avec son képi, des hommes, des femmes, des enfants et même un religieux au froc blanc, capuce et scapulaire noirs, que les connaisseurs identifient, malgré la fantaisie vestimentaire, au Père Lacordaire, restaurateur de l’Ordre des Prêcheurs en France.

Les historiens s’accordent à dire que le prédicateur célèbre de Notre-Dame vint à Ars en pèlerin le 3 mai 1845. Les « Annales d’Ars » de mai-juin 2009 relatent cette visite qui devrait intéresser les frères dominicains actuellement en charge de la paroisse St-Paul et desservants de son église.

Selon les « Annales », cette visite qui aurait dû être discrète ne le fut point. Le Père Lacordaire fut hébergé la veille dans une famille e qui possédait un château dans le voisinage. Mais très tôt le lendemain, qui était un dimanche, il se rendit à l’église d’Ars déjà remplie de pèlerins. Le curé averti de son arrivée, sortit de son confessionnal et l’invita à célébrer la messe. Le dominicain préféra assister du haut de la tribune à celle du curé et à écouter son sermon. Ce jour-là, l’Abbé Vianney commentait le verset : « Je vous enverrai l’Esprit de vérité » (Jean 15,26). A la fin de la messe, Lacordaire glissa ces mots au curé : « Vous m’avez appris à connaître le Saint-Esprit ».    

Le frère prêcheur toutefois ne put refuser de présider les Vêpres de l’après-midi et même d’y prêcher. Ce qu’il fit, note la chronique, « sans vraie éloquence ». Puis, M. Vianney accompagna son visiteur jusqu’au château où il était attendu pour passer la nuit.

Le Père Lacordaire qui devait mourir en 1861 évoquait souvent cette rencontre qui l’avait frappé. Parlant du curé d’Ars, il aurait dit un jour : « Moi, j’attire les gens sur les confessionnaux (pour mieux écouter ses Conférences), lui les attirait dedans ».

Pendant des siècles les Dominicains ont fêté leur père le 4 août. Mais depuis la réforme liturgique ils ont cédé cette date au saint curé qui précisément rendit son âme à Dieu un 4 août.

Une révérence de l’Ordre tout entier au curé d’Ars qui vaut bien celle que lui fit un jour le Père Lacordaire.

— frère Guy Musy

Un détail du vitrail représentant le Curé d'Ars dans notre église paroissiale St-Paul de Cologny (photos pour cet article : la rédaction)

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