De la Lituanie à Fribourg
Ce dimanche 8 septembre, durant les Vêpres, le frère Augustinas Simanavičius a renouvelé ses vœux temporaires dans l’Ordre des frères prêcheurs dans les mains du prieur provincial de la province de Suisse, le frère Guido Vergauwen.
Frère Augustinas, venant de la Lituanie, est fils de la province de France. Né en 1994, il est rentré dans l’Ordre en 2016. Il est arrivé à Fribourg après un an d’études à Lyon.
Le frère Augustinas est le seul nouveau membre de la communauté pour cette année académique 2019/2020.
Afin de vous le présenter ainsi que pour fêter le renouvellement de ses vœux nous lui avons demandé de nous raconter son parcours :
Frère, d’où viens-tu ?
Frère Augustinas Simanavičius : Je viens de Kaunas. C’est la deuxième plus grande ville de Lituanie, avec 300'000 habitants environ.
Est-ce qu’il y a une communauté dominicaine à Kaunas ?
AS : Il n’y a pas de communauté à Kaunas, mais il y a un couvent à Vilnius, dans la capitale. En fait, j’ai rencontré l’Ordre pour la première fois sur Internet, c'est arrivé un peu par hasard.
J’ai trouvé le nom d’un prêtre dominicain dans des livres en lituanien que j'avais sur mon bureau, donc, par curiosité, j'ai commencé à faire des recherches en ligne. Je suis d'abord tombé sur la province dominicaine du Canada ainsi que sur la province de Saint-Joseph aux États-Unis. L'anglais était ma seule langue étrangère à l'époque.
J'ai lu des choses intéressantes sur ces sites : comment se passe la formation spirituelle et intellectuelle d'un frère dans l'Ordre, en quoi consiste la vie d’un frère dominicain, quels sont les éléments de la vie communautaire, l'importance des études et de la prédication... À l’époque j’avais 20 ans seulement, mais j'étais déjà séminariste pour le diocèse de Kaunas.
Attends, qu’est-ce qui t’a inspiré à rentrer au séminaire ? Tu y es rentré très jeune tout de même.
AS : Alors, j’ai été baptisé quand j'étais encore enfant, mais ma famille n'était pas très pratiquante. C’est uniquement ma grand-mère qui allait à la messe chaque dimanche. Je crois que ce contexte est assez typique pour la plupart des familles lituaniennes. Bien sûr, de manière générale, les Lituaniens vont à l’église pour les fêtes de Noël et de Pâques, mais mes amis, ceux de ma génération ne fréquentent pas l’église.
Mais toi tu as commencé à aller plus régulièrement à l'église ?
AS : Oui ! C’est une histoire un peu drôle en fait, parce qu'un jour, en parlant avec des amis – c'était en deuxième classe du lycée, donc à l’âge de 16 ans – ils m’ont dit qu’ils allaient commencer un parcours de préparation en vue de la confirmation, même s'ils n'étaient pas particulièrement pieux. Je n’étais pas du tout au courant. J’ai donc décidé un peu spontanément d'aller suivre ce parcours avec eux. D'ailleurs, en y repensant, j'y suis peut-être allé parce que je n’avais rien d’autre à faire. (rires)
Les cours se déroulaient dans la salle d'une paroisse. Il y avait un bon catéchiste, quelqu’un qui avait fini ses études en théologie. Peu à peu, j’ai commencé à apprendre ce qu'est la Foi. Au début il y avait une partie purement théorique durant laquelle on suivait des conférences, et au bout de trois mois, le catéchiste nous a proposé d’animer une messe pour les jeunes. Nous étions les responsables pour la musique, le service de l'autel, les lectures et tout le reste.
Après avoir été confirmé, le diocèse m’a demandé d’aider à former des élèves de la classe après la mienne. Du coup, j'ai commencé à connaître certains prêtres, surtout les jeunes prêtres et les séminaristes qui travaillaient avec nous.
D'une méditation prêchée par le frère Augustinas lors des vêpres pendant le carême 2018 au couvent de Lyon :
Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jean 15, 13). Qui sont ces amis dont parle le Seigneur Jésus? Enfants, femmes, hommes, personnes âgées, juifs, gentils, Samaritains… des fous, des malades, des gens possédés par des démons… aveugles et sourds, qui aurais-je oublié ? Tous ceux qui sont venus à Jésus ont été reçus.
Le Christ nous a montré l'amour parfait. L'amour du Christ se révèle dans l'obéissance. Voyons-nous un exemple d'amour parfait dans cette obéissance radicale ?
Pouvons-nous aimer des personnes qui ne correspondent pas à nos projets ? Pouvons-nous recevoir à bras ouverts tous ceux qui viennent nous chercher ? Que faisons-nous de ceux qui bloquent notre chemin, qui exigent plus d’attention que nous ne voudrions leur accorder ?
Ces questions, comme les clous qui ont percé les mains et les pieds sacrés du Christ, peuvent faire mal. Mais nous recourons à ces clous chaque fois que nous refusons de voir le Christ en un frère. Ces clous, vieux et rouillés, ont été beaucoup trop utilisés au cours de deux mille ans.
Mais ce n’est pas chaque jeune qui s’implique dans l’église qui finit dans un séminaire, alors qu’est-ce qu'il s’est passé ?
AS : Cela s’est passé très naturellement. J’ai commencé à passer du temps au séminaire. Je me suis fait des amis parmi les séminaristes. J’ai entendu leurs témoignages et leurs histoires, et surtout j’ai observé leur manière de vivre. Je crois que quand on connaît des gens du même âge que nous qui suivent le chemin d’une vocation, il est plus facile de s’imaginer à leur place.
Bref, je me posais des questions, et à un certain moment je me suis senti prêt à me présenter comme candidat pour entrer au séminaire. C’est un beau témoignage, quand on voit un jeune prêtre qui donne tout pour les autres. Cela m'a marqué, je crois. Alors, à un certain moment, je me suis dit, pourquoi pas moi ?
Et comment est-ce qu’on envisage la formation des séminaristes en Lituanie ?
AS : Dans notre cas, on a commencé notre formation en étant envoyé hors de la ville. Nous sommes allés vivre dans un petit village en campagne : dans le village de Šiluva. Là-bas, il y a un beau sanctuaire dédié à la Vierge Marie. Ça se trouve plus ou moins au milieu du pays. On appelle ça une année propédeutique. On habitait la cure et on aidait le prêtre sur place. On suivait également des cours d'introduction à la théologie : des professeurs venaient dans cette campagne spécialement pour nous enseigner. On y a reçu des bases de latin et un cours sur les sacrements, par exemple.
Mais pendant cette année, je crois comprendre que tu as commencé à penser à autre chose ?
AS : En effet, j'aime beaucoup lire, et comme je l'ai dit au début, je suis tombé sur le nom d'un certain prêtre « O.P. » qui revenait beaucoup dans mes livres en lituanien. J'ai découvert le nom du frère Jonas Dominykas Grigaitis. En général, ce n’était pas lui l’auteur des livres que je lisais, mais c’était lui qui accordait le « nihil obstat » au nom de l'évêque.
Le nihil obstat [en latin « rien n’empêche » ou « rien ne fait obstacle » – ndlr.], comme tu le sais, est simplement l’attestation par un censeur de l’église qui stipule qu'un livre ne contient rien qui puisse nuire à la foi. Ce frère avait donc pour mission d'examiner les textes théologiques au nom de l'église.
À un certain moment je me suis demandé qui était ce prêtre-censeur et qu'est-ce que lui donnait la capacité de juger le contenu de tous ces livres. Donc, en cherchant sur Internet, j'ai appris que « O.P. » signifie « Ordre des Prêcheurs » – les dominicains – et que cet Ordre a une tradition de 800 ans d'étude sérieuse et de poursuite de la vie intellectuelle. C'etait là, le début de mon chemin vers l'Ordre. J’ai été attiré par cette idéal de l’étude, et j'ai senti profondément le besoin d'approfondir ma connaissance de la tradition et de la foi que je commençais à peine à découvrir.
Mais est-ce que ce frère en particulier a un intérêt pour toi ?
AS : Oui ! En fait, j’ai découvert que le frère Jonas était un personnage-clé pour l’église en Lituanie. Ce fut le dernier dominicain de la période de l'avant-guerre. Il a été ordonné prêtre avant la guerre, et il est resté dans le pays pendant l’occupation nazie, puis soviétique, et après la guerre il a continué à exercer son ministère en tant que prêtre diocésain. La vie en couvent était impossible durant cette période...
Alors quand la liberté fut restaurée dans le pays, en 1992, ce frère s’est présenté à son évêque en disant qu’il souhaitait revenir à sa vocation première, à la vie dominicaine, et recommencer à porter l’habit de l'Ordre.
C’est le frère Jonas qui est à la base de la restauration de l'Ordre en Lituanie après la chute du communisme. Même s’il était déjà très vieux, il a renforcé des frères qui venait peu à peu en Lituanie depuis les pays voisins et, juste avant sa mort, il a pu partager ses expériences et transmettre en quelque sorte l'ancienne tradition à des jeunes frères venant de la Lituanie même. Le frère Jonas est décédé en 2012. Il avait alors 98 ans.
Mais alors, dans ton cas, comment s'est passée l’entrée dans l’Ordre dominicain ? Es-tu allé directement du séminaire diocésain au couvent ?
AS : J’ai d'abord posé la question à mon père spirituel de l’époque, et il m’a dit qu’il faudrait attendre une année pour voir si cette attirance que j’expérimentais allait durer. Si après un an, je désirais toujours entrer chez les dominicains, je pourrais y aller avec sa bénédiction. J'ai trouvé ça juste. Donc je suis resté au séminaire. J’ai fait la première année d’études, cette fois-ci dans la ville de Kaunas, où je suivais des cours de philosophie à l’université.
Pendant cette année j’ai quand même gardé contact avec les dominicains, surtout en participant à une « journée des vocations » organisée par un frère qui était parmi les plus jeunes frères lituaniens. Il y avait aussi une sœur apostolique et un laïc dominicain [du Tiers Ordre]. Tous les trois, ils ont présenté leurs vocations et parlé de leurs vies. La journée s'est terminée par une belle célébration eucharistique... Je ne sais pas si ce genre de journée existe ailleurs, mais personnellement, ça m’a aidé à developper l'attirance que j'avais pour l'Ordre dominicain.
En plus, pendant les vacances universitaires j’ai eu envie de faire une retraite au couvent des dominicains. Je me suis présenté avec ce projet à un jeune frère qui était alors diacre. Il m’a regardé avec un certain étonnement et il m'a dit que ce n'était pas d'usage d’accueillir des jeunes au couvent pour des retraites personnelles. Mais puisque j'étais séminariste, on a fait une exception pour moi.
Et jusqu’à aujourd’hui je reste reconnaissant pour cette belle expérience. C'était en fait le frère Bernardas Verbickas qui a rempli le rôle du maître de récollection durant cette retraite, un peu spontanément, particulièrement pour moi.
Alors à la fin de cette année de philosophie tu t’es finalement présenté aux frères à Vilnius ?
AS : Oui. Et là j'ai commencé un long chemin. Depuis des années, tous les frères lituaniens sont envoyés en France pour leurs études. Notre partie du monde fait partie de la province de France. J'ai donc passé deux mois à Vilnius pour apprendre les bases de la langue française avant de partir pour la France. Puis, j'ai suivi un cours intensif de français à Rennes, où j’ai passé un semestre entier. J’ai appris la langue autant que possible, en habitant au couvent avec les frères de Rennes et en participant à la prière et à la vie communautaire avec eux. Vraiment, je crois que la vie en communauté m’a beaucoup aidé à apprendre, surtout au niveau de la compréhension de la langue, comme elle est parlée, et pas forcément comme elle est présentée dans les manuels scolaires.
Ce n’est qu’en septembre 2016 que j’ai reçu l’habit dominicain et commencé mon noviciat à Strasbourg. C'est d'ailleurs beau, maintenant à Fribourg, de pouvoir revoir un de mes co-novices : le frère Alexandre Frezzato, avec qui j’ai passé cette année difficile mais remplie de grâces.
Et après le noviciat ?
AS : Après mes premiers vœux je suis allé à Lyon avec les autres frères profès de la province de France pour étudier à l’université. On y suit un programme qui mélange philosophie et théologie et encore d’autres sujets. J’ai trouvé le programme exigeant, et il faut dire que le système d'éducation est tout-à-fait différent en France par rapport à la Lituanie.
Et maintenant tu as de nouveau changé de contexte, puisque tu es venu en Suisse...
AS : C’est vrai, mais dans la communauté du couvent Saint-Hyacinthe – qui est très internationale et dans laquelle habitent des frères qui viennent littéralement de tous les continents – j’espère pouvoir m’intégrer dans la vie fraternelle et y trouver ma place comme frère « étranger » parmi beaucoup d’autres frères « étrangers », chacun avec sa culture, sa langue et ses expériences. Parmi les frères dans ce couvent je connais déjà trois frères qui étaient à Lyon un an avant moi. Ils poursuivent maintenant leurs études à Fribourg : les frères Cyprien-Marie, Matthieu-Marie et Matthieu. En plus, j'espère profiter de l'expérience des « vrais Suisses » qui habitent la maison, surtout parmi les frères aînés. Et j'aimerais découvrir un peu l'église locale de Fribourg qui semble très dynamique et pleine de nouvelles initiatives.
C’était ce dimanche lors des Vêpres ; tu as renouvelé tes vœux temporaires dans l'Ordre, pour une période de deux ans. Avec tous les défis que tu as pu expérimenter depuis le début de ton temps dans l’Ordre, pourquoi as-tu pris la décision de rester et de continuer ?
AS : C’est une bonne question. Je crois qu’au fond, mon intuition est la même qu'à l'époque : quand j’étais encore au lycée et que j’entendais les témoignages des jeunes prêtres. C'est le même sentiment que j'ai expérimenté quand j'ai découvert l'histoire de la vie du frère Jonas. Simplement, je crois qu’il vaut la peine de donner sa vie entièrement : de la donner totalement au Christ, et, par Lui, d'offrir sa vie et ses talents entièrement à nos frères et à l'Église. L’idée de faire de sa vie un don — un don sans réserve — c’est cette intuition qui me pousse à continuer dans l'Ordre de Saint-Dominique.
Merci, Frère.
Vidéo : Jésus-Christ – mon espérance [Kristus Jėzus – mano viltis], chanson pour la visite du pape François en Lituanie en septembre 2018, composée par David Hedin.

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