Des pieds et des mains…

Homélie du frère Philippe Jeannin pour la fête de saint Dominique

Il y a quelques mois, avec le frère Claude, nous avons changé de place cette statue baroque de saint Dominique dans la salle commune. Son attitude, sa posture m’intriguaient, comme son visage où les deux yeux ne sont pas alignés, un regard bizarre, un peu torve… Un râté du sculpteur ? Un air presque larmoyant qui a l’air de nous toiser de haut, avec commisération… Et puis, ce trou dans la manche… une main qui a disparu… et que j’imaginais faire refaire…

À Pâques, l’an dernier, j’interrogeais une amie de passage, antiquaire comme son père, sur cette statue et pour savoir si elle connaissait quelqu’un qui pourrait refaire la main ? Elle attire mon attention sur le soulier de Dominique et en déduit que la statue était faite pour être placée en hauteur, et non au niveau du regard.

Dominique ne nous toise donc pas, il veille sur nous, avec cette impression de vouloir nous dire quelque chose… la bouche est entre-ouverte, prête à laisser passer un message, une phrase, un encouragement… Ce qu’il faisait avec ses frères, nous dit-on, toujours prêt à les stimuler, à les pousser à aller de l’avant… en pensant à notre Sauveur ! Et si l’on regarde ce visage par en-bas, en contre-plongée, on remarque que ces yeux non alignés sont bien calculés, pour lui offrir un regard plus doux sur ceux qu’il soutient, non seulement par la parole, mais aussi du regard…

* * *

Lorsqu’avant-hier, le frère Zdzislaw, à la demande d’Anne-Lise qui préparait la décoration florale, m’a interrogé pour savoir s’il y aurait un portrait de saint Dominique devant l’autel pour sa fête… j’ai fini par lui proposer de mettre cette grande statue. Mais aussitôt Zdzislaw s’est écrié, « mais il lui manque une main… » - « Merci ! - lui ai-je aussitôt répondu - tu me donnes une piste pour l’homélie… »

En effet, vous connaissez, sans doute, cette prière, attribuée à un anonyme du XVe s. :

Christ n'a pas de mains : Il n'a que nos mains pour faire son travail aujourd'hui.

Eh bien, notre pauvre saint Dominique non plus n’a pas ses deux mains : Dans l’une, il tient l’Évangile de Matthieu et les épîtres de saint Paul dont on nous dit qu’il ne s’en séparait jamais, mais il lui manque l’autre, et cela nous invite précisément à être celle qui lui manque… pour prolonger son œuvre aujourd’hui…

Cette prière anonyme médiévale dit également :

Christ n'a pas de pieds : Il n'a que nos pieds pour conduire les hommes sur son chemin.

Notre Dominique, en revanche, a bien ses deux pieds… ici avec de solides chaussures de bon marcheur… il en faut pour aller sur tous les chemins, par le monde entier, annoncer la Bonne Nouvelle du salut… 

« Comme il est beau de voir courir sur les montagnes le messager de la bonne nouvelle qui annonce le salut… » avons-nous entendu au début de la première lecture. Une traduction plus ancienne disait même : « Qu’ils sont beaux les pieds de celui qui annonce la Bonne Nouvelle »

Christ n’a pas de pieds, dit la prière, mais il a eu ceux de Dominique qui a sillonné l’Europe, puis ceux de ses frères pour prêcher sur tout le globe… On est étonné de voir avec quelle rapidité l’Ordre s’est répandu à travers le monde… Mais aujourd’hui, pas besoin d’aller loin pour prêcher… il me semble que l’on peut commencer à nos portes, dans notre entourage, notre famille même… Nécessité impérieuse aujourd’hui d’annoncer aux hommes, à nos proches, nos contemporains, une parole de vie, une parole vraie, qui se vérifie, une parole lumineuse, qui remet debout, en route… 

Christ n'a pas de lèvres : Il n'a que nos lèvres pour parler de lui aux hommes.

Je soulignais que la bouche de Dominique est ici entre-ouverte, comme s’il s’apprêtait à nous délivrer un message, un secret, une bonne nouvelle, LA Bonne Nouvelle ? … Comme le miel qui coule des rayons, sa parole était douce, encourageante, parole de miséricorde et de compassion, nous dit-on… Bonne nouvelle pour son auditoire. Il ne parlait pas pour ne rien dire… Prenons-en de la graine.

Christ n'a pas d'aides : Il n'a que notre aide pour mettre les hommes à ses côtés.

Dominique a suscité des frères, des sœurs, des laïcs, passionnés comme lui… il les a enthousiasmés, ‘en théou’… c’est-à-dire qu’il les a pris avec lui EN DIEU, leur a communiqué sa passion de Dieu, de l’Évangile, et des Hommes… Voilà les aides sur lesquelles le Christ peut s’appuyer, des disciples, qui marchent à sa suite, chacun à son rythme mais qui avancent, ensemble, en communauté, malgré les lourdeurs, pour témoigner à chaque âge de la Bonne Nouvelle.

Le Dominique que nous fêtons aujourd’hui, dont la statue est devant nous… et à qui il manque un bras, une main… N’est-ce pas finalement une invitation pressante à être à notre tour son bras, sa main, pour aujourd’hui ? Et comme lui, être les mains, les pieds, les lèvres et les aides du Christ ?

Une invitation à redynamiser notre vocation dominicaine. À proclamer la Parole à temps et à contretemps, à dénoncer le mal, à encourager, patiemment, avec le souci d’instruire, de révéler, avec la grâce de l’Esprit Saint, la vérité sur Dieu, même dans un temps où l’on ne supporte plus l’enseignement solide, où l’on refuse d’entendre la vérité, où l’on court entendre du nouveau… comme le rappelait déjà saint Paul à Timothée ?

Et l’Évangile de Matthieu, que Dominique chérissait tant, ne nous interpelle-t-il pas en ce soir pour être aujourd’hui, individuellement mais aussi comme communauté, ici à Cologny et Genève, du sel pour la terre, un exhausteur de goût et de saveurs, pour que la vie reprenne des couleurs, du sens, pour redonner le goût de vivre ?

Ne nous rappelle-t-il pas, sur les hauteurs de Cologny, que notre couvent, notre communauté a vocation à être lumière pour les gens alentour ? à briller davantage pour tous ceux qui fréquentent notre belle église, mais aussi pour ceux qui passent à côté sans s’arrêter ? Verront-ils ? reconnaîtront-ils si nous faisons du bien et, si nous en faisons, auront-ils le cœur à rendre gloire à Dieu ?

Si ce n’est pas le cas, c’est peut-être que nous ne remplissons pas suffisamment ou pas assez justement notre mission. Qu’il nous faut peut-être remettre du cœur à l’ouvrage, ensemble, avec vous…

Continuer l’œuvre de Dominique aujourd’hui, voilà bien le défi pour notre communauté, mais aussi pour vous, membres de la Fraternité, et pour vous, amis de l’Ordre, de la communauté, et trouver le mode et la manière, le langage qui convient, pour faire résonner davantage la Bonne Nouvelle dans cette église, dans cette paroisse. Il ne suffit pas qu’elle se dise dominicaine, il faut qu’elle le soit vraiment, plus encore, davantage.

Vous connaissez sans doute l’expression « Faire des pieds et des mains » qui illustre la volonté de quelqu'un pour parvenir à ses fins, pour réussir son objectif. Eh bien, je nous propose, pour l’année qui vient et pendant laquelle on célèbrera les 800 ans de la mort de notre père saint Dominique, d’être ensemble davantage, de faire les pieds et les mains de Dominique. Amen !

fr. Philippe Jeannin

(photo © Dominicains Genève)

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