Donner corps à la parole

Homélie du frère Philippe pour la Nativité du Seigneur

À peine Dieu se manifeste-t-il, qu’il parle… « Au commencement… nous rapporte la Genèse… quand Dieu créa le ciel et la terre… il dit… et cela existe… » La Parole de Dieu est créatrice… Il lui suffit de dire pour que les choses adviennent… 

Mais où et comment entendre cette Parole ? « Les cieux racontent la Gloire de Dieu, le firmament l’ouvrage de ses mains… » dit le psaume 8. C’est dans sa création, d’abord, que Dieu se dit, se donne à contempler… Mais les destinataires ont des yeux et ne voient pas…

Puis Dieu parle par ses envoyés : « Oracle du Seigneur… » disent les prophètes pour situer la Parole dont ils ne sont que les messagers… Mais les destinataires ont des oreilles et n’entendent pas…

Alors, même si « À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé,
a parlé à nos pères par les prophètes
; nous voici à la fin, en ces jours où nous sommes, où il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes… et à qui il redit aujourd’hui : Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. » Hb 1, 1-6

Oui, engendré, non pas créé, nous célébrons ce Fils que Dieu nous envoie et par qui il veut nous parler encore aujourd’hui, car s’il a tout dit par Lui, nous n’avons pas tout entendu ni tout compris de Lui. Le Fils, Verbe, Parole du Père, qui a créé toutes choses et par qui tout est venu à l’existence… vie et lumière des hommes… venu dans le monde une nuit sur les routes de Palestine, a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme. Et il a habité parmi nous. Tous ne le reconnaissent pas, aujourd’hui comme hier, ne le reçoivent pas, mais à tous ceux qui l’ont reçu, il donne de pouvoir devenir enfants de Dieu à leur tour.

***

La naissance de Jésus, Emmanuel, Dieu-avec-nous, est l’accomplissement de la Parole divine au début de la Création, l’aboutissement de sa Promesse… Car quand Dieu parle, il s’engage…

Ce n’est pas comme nous… Nous parlons parfois pour ne rien dire, nos paroles nous engagent-elles vraiment ? Vous connaissez ce raccourci sur la fonction de la parole dans nos cultures ? On dit parfois que, en Europe, on parle pour exprimer quelque chose. En Égypte ou dans les pays de culture arabe, on parle pour faire plaisir à l’autre… et en Afrique, on parle pour faire passer le temps… C’est très caricatural mais donne à réfléchir au statut de nos paroles.

On se rappelle la chanson « Parole, parole, parole… » qui dénonce le beau parleur redoublant de compliments pour draguer sa belle qui n’en croit pas un mot… ou encore les politiques avec leurs promesses électorales difficiles à tenir… On en est venu à se méfier des paroles, des discours et des mots : ne dit-on pas : « Verba volant scritpa manent » ? Les paroles s’envolent mais les écrits restent

Mais quand Dieu parle, c’est sérieux… il tient Parole… Il donne sa Parole et ne la reprend pas… jamais, quoi qu’il arrive. Non par fierté ou orgueil, comme je l’ai vu en Égypte, mais parce que Dieu donne, généreusement, largement, et ne reprend jamais. Non pas qu’il ne le puisse pas, mais parce que, une fois donnée, sa parole ne peut plus revenir en arrière. Une fois prononcée, elle agit, efficace, comme aux premiers jours de la Genèse… 

Et lorsque sa parole, en plus, prend chair, c’est dans un but précis : « Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a… envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. » Jn 3, 16-17

En ce jour de Noël, après l’émotion de la nuit, nous sommes invités à imiter Dieu lui-même puisque nous sommes ses enfants, à donner nous aussi poids à nos mots, corps à nos paroles, dans l’honnêteté, la sincérité, la vérité.

Donner corps à nos mots, à nos paroles, c’est réaliser, mettre en œuvre, ce qu’on dit et ne pas se payer de mots… Jésus nous avait déjà mis en garde : « Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. » (Mt 7, 21)

Ce que le Christ lui-même fait en venant dans le monde : « En entrant dans le monde, le Christ dit : Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps… alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté, ainsi qu’il est écrit de moi dans le Livre. » (Hb 5,7)

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Et maintenant qu’elle nous est donnée… qu’allons-nous faire de cette Parole que Dieu nous envoie ? Tel le nourrisson de la crèche, nous l’avons maintenant sur les bras, comme on se repasse le nouveau-né de bras en bras à la maternité sous les yeux fatigués, attendris et vigilants de sa maman… Et nous nous sentons vulnérables à tenir cette fragilité en nos bras, par peur de lui faire mal, de mal le tenir… et nous en prenons le plus grand soin… 

La Parole de Dieu, le Verbe fait chair, est comme ce nourrisson entre nos mains, entre nos bras : à nous d’en prendre soin… Comment : d’abord en l’accueillant… en la recevant, dans nos bras, dans le cœur… et non comme un fardeau sur les bras, un poids sur le cœur…

L’accueillir et nous laisser attendrir par cette Parole… Écouter, entendre ce qu’elle a à nous dire. Comme un murmure dans la nuit, quelques mots essentiels dans le silence… et laisser résonner, tapisser nos cœurs des mots de cette Parole : Amour, Paix, Joie, Bonté, Miséricorde, Patience, Pardon, Fraternité, Justice, Lumière… Que des mots de Bonne Nouvelle… et les laisser ouvrir en nous un nouveau chemin…

Ce chemin d’Évangile pour éclairer nos choix, guider nos décisions… nous guider dans notre conduite nous fraiera une voie droite dans ce monde parfois tordu. Et tels de nouveaux messagers, après les prophètes, après Jean le Baptiste et les bergers de la nuit, modestement, à notre place, nous pourrons « préparer le chemin du Seigneur, rendre droits ses sentiers » et Dieu pourra établir chaque jour un peu plus sa demeure parmi nous, et progressivement être tout en tous… Car nous sommes aussi responsables de sa manifestation aujourd’hui !

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Oui, de même qu’elle a traversé les âges, la Parole de Dieu doit maintenant, pour achever sa course et atteindre son but, traverser notre vie pour s’accomplir, se réaliser. En nous, à travers nous. C’est cela le but ultime de l’Incarnation : elle ne s’arrête pas à la crèche ou à la croix, elle continue sa course et s’incarne en chacune et chacun de ceux qui l’ont accueilli et sont devenus enfants de Dieu pour en faire des témoins.

La Parole, Verbe fait chair, nous est aussi donnée pour nourriture : nourriture de l’âme, mais aussi du corps. Elle nourrit notre vie chrétienne, notre vie de foi, lecture après lecture, dimanche après dimanche, méditation après méditation, Eucharistie après Eucharistie, car le Verbe fait chair c’est aussi la chair du Fils de l’Homme qui nous a dit : « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi je le ressusciterai au dernier jour. » (Jn 6, 54)

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Frères et sœurs, Noël nous rappelle la force, la puissance de la Parole de Dieu, capable de prendre les traits d’en enfant pour nous rappeler qu’elle est promesse de vie, mais aussi, dans la mesure où nous l’accueillons en nous, dans notre cœur et comme lumière pour notre vie, elle est capable de faire lever un monde nouveau dont nous sommes les témoins, une espérance pour nos contemporains si désemparés en cette fin d’année. Non, ce n’est pas la fin du monde, c’est le monde nouveau qui sans cesse naît chaque fois que la Parole de Dieu est accueillie, mise en œuvre dans nos vies, et rayonne.

Le Seigneur Dieu a tenu promesse en envoyant son Verbe sur la Terre, en s’incarnant dans notre humanité : il nous invite aujourd’hui à donner corps à notre tour à nos paroles, à nos promesses, à nos engagements.

fr. Philippe Jeannin

(photo : fr. Philippe Jeannin)

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