Du rire et de la joie, avant même la fin du monde

Que dans le Royaume nous rirons longtemps et de bon cœur (en chantant l'alléluia), je n’en ai aucun doute. Le rire ici-bas soulève parfois des doutes. Certains philosophes antiques et médiévaux regardaient le rire avec suspicion, y voyant, non sans raison, la soumission aux forces irrationnelles de l’homme. Et pourtant, saint Thomas d’Aquin dit que la faculté de rire est une qualité propre à l’homme.

Dès lors pour se retrouver un jour dans le Royaume, il faut s’y exercer déjà maintenant. Je me souviens qu’adolescent je m'entraînais à sourire devant le miroir quand quelqu'un me faisait remarquer que je souriais très peu.

La capacité de sortir de soi, de trouver des petits motifs de joie, même dans les moments sombres, aide beaucoup. La joie est un reflet du paradis, provisoire, certe, mais plein d'esperance. La joie pure, sans cynisme, ironie ni passion, c'est la liberté !

La tradition dominicaine (dans Vies des Frères Prêcheurs de Géraud de Frachet) a conservé une histoire qui illustre bien cette realité. Elle raconte que le bienheureux Jourdain de Saxe, le premier successeur de saint Dominique comme maitre de l’Ordre, un jour « était suivi d’un groupe de novices, dans une ville où il n’y avait pas de couvent. Un soir, comme il récitait Complies avec eux et ses autres compagnons dans une hôtellerie, l’un d’eux se mit à rire. En le voyant, les autres commencèrent à rire aussi, très fort, à qui mieux mieux. L’un des compagnons du Maître s’efforça de les calmer, en leur faisant des signes; mais ils riaient de plus en plus. A la fin des Complies, le Maître s’adressa au frère lui disant: Frère, qui t’a nommé Maître des novices? Est-ce qu’il t’appartient de les corriger? Il se retourna ensuite vers les novices: Riez bien fort, mes bien-aimés, et ne vous arrêtez pas à cause de ce frère. Je vous en donne la permission, car vraiment vous avez bien sujet de vous réjouir et de rire. N’êtes-vous pas sortis de la prison du diable, brisant les chaînes dont il vous avait liés pendant bien des années? Riez donc, bien-aimés, riez! Les novices furent consolés parfaitement par ces mots et, depuis lors, ils ne purent pas rire de façon désordonnée. »

fr. Zdzisław Szmańda