Une situation où tout reste à construire est différente d'une situation où tout doit être fermé

Entretien avec le frère Benjamin Ekman

Le frère Benjamin Ekman est originaire de Suède et a rejoint la Province de France de notre Ordre en tant que novice en 2019. Frère Benjamin s'est installé à Fribourg ce mois-ci après plusieurs années passées à Lyon pour poursuivre ses études de théologie. Il sera le deuxième frère scandinave de notre communauté, aux côtés d'Andreas Riis, du Danemark, arrivé l'année dernière.

Frère Benjamin a pu trouver un peu de temps pour parler avec la rédaction de son parcours long et varié jusqu'à notre couvent. Nous avons découvert de nombreuses richesses : sa vision spirituelle englobe un chemin de conversion, une appréciation de la nature, une exploration académique des frontières de la théologie et une vision pleine d'espoir pour l'avenir du catholicisme en Scandinavie. Nous partageons ses remarques ici :

La rédaction : Frère Benjamin Ekman, bonjour !

Frère Benjamin Ekman : Bonjour !

Réd. : On m'a dit que tu viens de Scandinavie...

BE : C'est vrai (rires).

Réd : Pourrais-tu m'aider à comprendre tes origines de manière un peu plus détaillée ?

BE : Certainement. Je suis né et j'ai grandi dans la ville d'Uppsala, en Suède. Je viens d'une famille de protestants fervents. Mon grand-père maternel était pasteur méthodiste et missionnaire en Inde. Ma mère est née là-bas. Mon père était un pasteur luthérien et a plus tard fondé une communauté charismatique dans laquelle j'ai été baptisé et où j'ai reçu la foi en Jésus. Ma réception dans l'Église catholique a eu lieu alors que j'avais déjà 30 ans.

Réd. : Il n'est pas rare que des frères soient les seuls catholiques de leur famille, mais il est rare qu'ils aient été tellement ancrés dans une autre tradition. Qu'est-ce qui t'a conduit à l'Église catholique ?

BE : C'est un parcours à multiples facettes. L'une d'entre elles avait une sorte de dimension historique newmanienne[1]. J'ai commencé à reconnaître que l'Église primitive était profondément catholique. Mais plus profondément, j'ai été attiré vers l'Église catholique par une aspiration à une vie sacramentelle et par le désir de faire partie d'une Église véritablement universelle. J'aspirais à une vie de prière et de communion. La vie religieuse – la vie consacrée – en a été pour moi un témoignage très puissant, qui n'existe pas vraiment dans le monde protestant. En fin de compte, c'est mon désir d'une connexion plus profonde avec Dieu qui m'a conduit à l'Église.

Réd. : Beaucoup d'entre nous ne sont jamais allés dans ton pays. Si je devais t'accompagner en Suède, que me montrerais-tu ?

BE : J'adore les randonnées et les longues promenades. C'est dans l'extrême nord de la Suède, dans les étendues sauvages du parc national de Sarek, que je me suis sentie le plus vivant. Il y a quelques étés, j'ai eu le plaisir d'inviter quelques frères français à un pèlerinage à pied en Suède, où nous avons marché jusqu'au sanctuaire de Sainte Birgitta à Vadstena, et jusqu'aux ruines du monastère de notre bienheureuse dominicaine Ingrid de Skänninge.

Réd. : Je ne savais pas qu'il y avait un héritage dominicain aussi riche en Suède.

BE : Oui. Et lorsque tu lis la vie des premiers dominicains, et même de saint Dominique lui-même, tu vois qu'ils marchaient partout à pied, en priant tout le temps. Je trouve que ce genre d'itinérance priante me convient vraiment.

Réd. : Mais tu es en Suisse plus pour t'asseoir à un bureau que pour vagabonder.

BE : C'est vrai (rires).

Réd. : Tu es venu à Fribourg pour étudier la théologie...

BE : C'est vrai, mais le monde académique ne m'est pas étranger. J'avais déjà fait pas mal d'études avant d'entrer dans l’Ordre. J'ai étudié la théologie et la littérature au Wheaton College, près de Chicago. C'est une université évangélique. Ensuite, j'ai fait un master en patristique au Pays de Galles. J'ai également passé quelques années à travailler sur une thèse doctorale sur les scholies exégétiques d’Évagre le Pontique (un moine du quatrième siècle qui vivait dans le désert égyptien) à l'université de Lund en Suède. Mais ce travail a été mis en suspens lorsque je suis entré au noviciat.

Réd. : C'est un profil vraiment riche, mais inhabituel pour un jeune frère.

BE : C'est vrai. Tu peux donc comprendre que mes supérieurs ont dû me trouver un cursus qui n'était pas tout à fait standard. À Lyon, j'ai suivi des cours de théologie, mais j'ai surtout travaillé sur un second master en philosophie de la religion. Je rédige un mémoire sur la réception de la théologie spirituelle d’un dominicain du XVIIe siècle, le frère Louis Chardon, dans le contexte de sa réception dans la théologie dominicaine française des années 1930. Cela a nécessité un travail d'archives passionnant au Saulchoir à Paris, où j'ai redécouvert des articles inédits, oubliés à cause de la Seconde Guerre mondiale.

Réd. : C'est fascinant, car ni la théologie du XVIIe siècle, ni le travail effectué dans les années 1930 ne sont particulièrement à la mode dans les milieux théologiques d’aujourd'hui.

BE : Non, et je pense que c'est dommage, parce que lorsque nous lisons ces théologiens en tant que croyant et en tant que catholique, nous trouvons des continuités frappantes. On peut se demander si un moine du IVe siècle comme Évagre le Pontique et un dominicain du XVIIe siècle comme Chardon ont quelque chose en commun. J'ai l'impression que c'est le cas, à un niveau très profond. Ce qui m’attire chez ces personnages, c'est la façon dont ils habitent une tradition donnée – l'école d'Origène pour l'un, celle de saint Thomas d'Aquin pour l'autre – mais, grâce à une imagination débordante et à un langage poétique, ils explorent ces systèmes. Ils exploitent les possibilités de ces écoles de pensée et se livrent à des expérimentations audacieuses. J'apprécie cette audace.

 Nos pays ont besoin de communautés de frères et de sœurs qui peuvent servir de ponts entre la culture mondaine et l'Évangile. 

Réd. : Chaque frère apporte quelque chose de son expérience à St-Hyacinthe, et il y a tellement de nationalités ici...

BE : C'est certain.

Rédacteur : Alors, ta dernière escale a été la France. Tu es chez toi là-bas parce que tu es fils de la province française, mais aussi étranger, en tant que Suédois. As-tu appris quelque chose en France que tu peux partager avec nous ?

BE : Cela va peut-être te surprendre, mais j'ai été très édifié par mon séjour en France. Je dirais que l'Église de France a de l'avenir. En tout cas, c’est celle que j'ai rencontrée à Lourdes lors de nos pèlerinages annuels du Rosaire. Les visages des malades, des personnes loyales et héroïques aidant les malades, et tous ceux qui marchaient ensemble dans les processions – tournant autour de la Croix, comme un centre cosmique. Ces moments m'ont donné une image indélébile de ce qu'est l'Église : un lieu de miséricorde et de guérison. Il y a beaucoup de problèmes et de scandales à notre époque, c'est vrai. Mais il y a aussi l'Église pèlerine des saints cachés.

Réd. : Mais si l'on regarde le tableau d'ensemble, beaucoup vont dire que l'Église en Europe est confrontée à un déclin. Comment vois-tu cette situation ?

BE : Les défis auxquels est confrontée l'Église en Europe sont en effet considérables, mais il est important de ne pas peindre toutes les régions avec le même pinceau. Dans l'Europe catholique, les inquiétudes concernant les institutions et le rétrécissement des communautés prédominent, mais je vois un paysage différent et passionnant en Suède. Nos paroisses sont multiculturelles, avec des communautés dynamiques de Polonais, d'Irakiens, de Syriens, d'Érythréens, et autres. Nous avons en même temps une vie liturgique qui est profondément suédoise, avec des hymnes traditionnels, qui sont un mélange de compositions luthériennes et de compositions catholiques.

Réd. : Oui, c'est différent de ce qui se passe en France.

BE : En effet. En Suède, nous sommes dans une situation où tout reste à construire. Ce qui est très différent d'une situation où tout doit être fermé.

Réd. : Certainement.

BE : À bien des égards, je pense que les pays scandinaves peuvent offrir un aperçu de ce à quoi l'Église future pourrait ressembler. J'envisage un avenir où nous aurons de nouvelles communautés dominicaines en Scandinavie et en Finlande, et pourquoi pas, même en Islande. Nos pays ont besoin de communautés de frères et de sœurs qui peuvent servir de ponts entre la culture mondaine et l'Évangile. Il feront cela par l'enseignement et la prière, mais aussi par l'écoute et l'aide en cas de besoin – par le simple don de l'amitié.

Réd. : Je pense que c'est une bonne note pour terminer, frère Benjamin. Bienvenue à Fribourg, et merci d'avoir pris le temps de discuter avec nous aujourd'hui.

BE : Merci.


[1] Le frère Benjamin fait référence à l'œuvre du théologien John Henry Newman (1801-1890) – ndlr.

Le frère Benjamin Ekman (photos pour cet article : fr. Ivan Zrno)

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