En cette fête de saint Dominique

Le commentaire du frère Philippe-Emmanuel Rausis

Nous fêtons aujourd'hui le « dies natalis » de notre Père saint Dominique. C'est-à-dire, le jour de sa naissance au ciel.

En effet, le fondateur des Frères Prêcheurs – mieux connus sous le nom de dominicains – s'est éteint (mais il faudrait plutôt dire s'est illuminé) à Bologne, il y a juste 800 ans : le jour de la Transfiguration de l'an de grâce 1221.

Comme cette date correspond à celle d'une grande solennité – celle de la Transfiguration –, la célébration de sa mémoire a été déplacée, d'abord, au 4 août, puis, depuis la réforme du calendrier romain, au 8 août.

En général, les gens ne connaissent guère cette haute figure de l'histoire du salut. Il est vrai que Dominique est nettement moins populaire que son contemporain, saint François d'Assise, dont la figure est si charismatique. Les frères qui l'ont connu n'ont d'ailleurs pas cherché à fomenter le culte de sa personnalité. Quand le doigt montre le soleil, il n'y a pas de raison de se focaliser sur le doigt : telle était leur mentalité.

Chaque franciscain est un peu, à sa manière, un nouveau saint François. En effet, cette figure si attachante a attiré tant d'hommes et de femmes qui se sont engagés, derrière lui, à la suite du Christ. D'une certaine, manière, on pourrait dire que l'ordre franciscain s'efface derrière la figure si rayonnante de celui qui en est l'origine.

Chez saint Dominique, c'est pratiquement le contraire : il passe plutôt inaperçu et l'on pourrait même dire que sa figure disparaît derrière l'Ordre qu'il a voulu fonder.

Cet Ordre, il l'a institué pour le mettre au service de la Parole... mais aussi au service du silence, dont il disait qu'il est « le père des prêcheurs ».

On ne le sait pas assez, mais avant de disperser ses frères sur les routes – à l'image d'Élie le prophète, qui marcha pendant quarante jours –, avant de les envoyer prêcher l'Évangile dans un monde qui souffrait d'une terrible ignorance religieuse, Dominique a d'abord fondé, à Prouilhe, près de Fanjeaux, une communauté de moniales qui vivaient en silence et se consacraient à la vie contemplative.

Le fondateur des Prêcheurs avait l'habitude d'affirmer que la sainte prédication n'aurait aucune efficacité, si elle n'était soutenue par la prière ardente des moniales. À l'image de l'Église, l'Ordre tout entier est un corps où chaque membre assume sa fonction particulière, mais en profonde communion les uns avec les autres. La bouche, par exemple, ne pourrait pas émettre le moindre son, si les poumons n'étaient d'abord emplis du souffle de l'Esprit. Et l'Esprit est silence ; lui par qui le Verbe est engendré ...

C'est dans ce même esprit, que saint Dominique s'est tout entier donné à ses frères et, qu'en définitive, il ne se donne à connaître qu'à travers eux. Si lui est méconnu, beaucoup de ses fils sont devenus très célèbres et se sont illustrés dans l'histoire de l'Église ou même du monde.

Que l'on pense à Thomas d'Aquin et à ses déjeuners théologiques chez le saint roi Louis ; à la prédication magnifiquement mise en peinture d'un Fra Angelico, au couvent de Florence ; aux immenses travaux d'exégèse du père Lagrange, fondateur de l'École Biblique à Jérusalem; à l'influence considérable d'un Francisco de Vitoria, défenseur des Indiens et père du droit international, dont on retrouve une immense statue dans le hall des Nations Unies à New York ; au ministère si émouvant du père Lataste, grand amoureux de sainte Marie-Madeleine et fondateur de la si belle congrégation de Béthanie ; au rôle joué par Savonarole, dernier défenseur de cet âge d'or de la chrétienté médiévale ; aux miracles inouïs d'un frère Martin de Porrès, premier métis canonisé, à l'époque de Jean XXIII ; aux sermons vigoureux d'un Vincent Ferrier, que chacun entendait dans sa propre langue, comme au jour de la Pentecôte ; à l'intelligence si subtile d'un Maître Eckhart, le plus fameux des mystiques rhénans; ou encore à la musique si belle d'un Johann Pachelbel, tertiaire dominicain.

Et l'on pourrait citer bien d'autres noms fameux... On sait moins que la grande expédition de Christophe Colomb – dont les conséquences sont incalculables – a été rendue possible par l'intercession, auprès du roi d'Espagne, du dominicain, Diego Deza, confesseur de sainte Thérèse d'Avila.

Ou que l'établissement des deux chambres – l'Assemblée et le Sénat –, dans la plupart des nations modernes, s'est inspiré des Constitutions dominicaines : cette cathédrale de droit constitutionnel ; ou encore, puisqu'aujourd'hui s'achèvent les Jeux Olympiques, que l'esquisse des fameux anneaux, qui en sont devenus le symbole, fut proposée au baron de Coubertin par le père Didon, aumônier dominicain d'un lycée à Oullins.

Dommage – soit dit en passant – qu'il n'ait pas eu l'idée d'en déposer le copyright auprès de la Société des Droits d'Auteurs ... On dit de Dominique qu'il passait ses journées à parler de Dieu et ses nuits à parler avec Dieu.

Fixé, comme saint Paul, à la croix du Christ, il a vécu d'un profond mystère de communion avec le Fils de Dieu qui transfigurait son visage : « Qui regarde vers Dieu resplendira, sans ombre ni trouble visage », venons-nous de chanter.

Chez le père des dominicains, cette lumière qui émanait de sa face était si vive qu'on le représente souvent avec une étoile sur le front.

À sa suite, ceux qui s'efforcent de suivre les pas de ce géant vivent une vie en tension perpétuelle : les pieds bien plantés sur la terre et les mains toujours tendues vers le ciel. Dans l'action, mais sans abandonner la contemplation ; au service des hommes, mais dans un ministère où Dieu est toujours le premier servi ; attachés à leur ministère, mais soumis à leur vœu d'itinérance, chaque fois que l'exige l'annonce du Royaume des cieux.

S’ils s’en allaient sur les chemins deux par deux, comme les disciples du Seigneur, c'est parce qu'on ne peut pas prêcher la charité sans l'avoir d'abord pratiquée, ainsi qu'aimait à le dire Dominique. « Cherchez à imiter Dieu, écrit saint Paul aux Éphésiens ; puisque vous êtes ses enfants bienaimés, vivez donc dans l’amour. »

Oui, notre père saint Dominique s'était donné entièrement aux hommes qu'il voulait sauver à tout prix. Selon ses enseignements, il ne s’agit pas seulement de donner du pain à ceux qui ont faim, mais d'être soi-même ce pain, c’est-à-dire de se donner aux autres. Car l’amour ne veut rien donner si ce n’est soi-même.

Si le Christ est le pain de vie, c'est parce qu’il s’est livré pour nous, parce qu’il nous a alimentés de sa propre substance, parce qu'il nous a fait le don de sa personne, dans laquelle le ciel et la terre s'étaient réconciliés. Et il est là, le grand Mystère dont vivait saint Dominique. Dans cette universelle réconciliation dont il voulait que ses fils soient les ministres. Ces noces mystiques célébrées, en chaque homme, entre la prière et le service, entre la vie active et la vie contemplative, entre le ciel et la terre qui ne deviennent plus qu'une seule réalité.

Elle est là aussi la leçon que chacun d'entre nous peut recevoir de lui. Saint Nicolas Cabasilas enseignait que chaque chrétien devrait être un moine à l’intérieur et un apôtre à l’extérieur. Voilà l'équation par excellence de toute vie chrétienne. Voilà ce que Jésus nous enseigne par sa vie tendue entre ciel et terre, entre silence et parole, entre divinité et humanité.

En lui, tout est accompli, mais cet accomplissement, donné une fois pour toute, il appartient à chacun de l'incarner en sa propre existence.

Alors, il n'existe plus aucune contradiction, puisque tout est vécu en Dieu.

Selon les mots d'un autre grand dominicain, Edward Schillebeeckx, celui qui vit le service des hommes et le service de Dieu comme deux mouvements distincts n’a pas encore intégré pleinement ce que le Christ, dans son Évangile, est venu nous enseigner.

Demandons, par conséquent, à être nous-mêmes fixés sur cette croix qui fait le lien entre ciel et terre, pour que s'accomplissent aussi, en nous, les Divins Mystères, car il se trouve là – et nulle part ailleurs – le lieu de notre véritable transfiguration.

***

Dans un enregistrement pour cette fête par nos frères de la chaîne YouTube OPChant, nous pouvons entendre le responsorium dominicain O Spem Miram, qui est traditionnellement chanté après les complies. 

La vidéo a été enregistrée devant le tombeau de saint Dominique à Bologne :

 

Les frères chantent :

O spem miram quam dedisti mortis hora te flentibus, dum post mortem promisisti te profuturum fratribus :

Imple Pater quod dixisti nos tuis juvans precibus. Qui tot signis claruisti in aegrorum corporibus, nobis opem ferens Christi, aegris medere moribus.

Une traduction française :

Ô merveilleuse espérance que vous avez donnée à ceux qui vous pleuraient à l'heure de votre mort, en promettant qu'après votre mort vous seriez utile à vos frères :

Accomplissez, Père, ce que vous avez dit, et aidez-nous par vos prières.
Vous avez illuminé le corps des malades par tant de miracles ;
Apportez-nous l'aide du Christ pour guérir nos âmes malades.

 

La vision de saint Dominique recevant le rosaire de la Vierge (détail), Bernardo Cavallino, vers 1640. Wikipédia.

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