« Heureux qui pense au pauvre et au faible, le Seigneur le sauve au jour du malheur ! » (Ps 40, 2)

Homélie du frère Philippe Jeannin pour la solennité de Jésus Christ Roi de l'Univers

Frères et sœurs,

Ce que vous venez d’entendre est vrai ! Ça s’est vraiment passé comme ça… J’y étais… Et, avec les moyens modernes, au fur et à mesure que le roi leur disait : « j’avais faim… j’avais soif… j’étais un étranger… j’étais nu… j’étais malade… j’étais en prison… », défilaient derrière lui, sur des écrans tout autour de la grande pièce à la lumière tamisée, les situations où l’on reconnaissait peu à peu Jésus, ici sous les traits d’un bédouin se faisant donner de l’eau par un enfant ; sous les traits d’un réfugié, fuyant son pays en guerre, un enfant presque évanoui dans les bras, accueilli par des policiers à un poste frontière ; dans une chambre d’hôpital, relié à des machines et un visiteur lui apportant un petit bouquet de fleurs ; ou dans une geôle putride, recroquevillé sur une paillasse et un gardien accroupi à ses côtés qui lui tend une gamelle de soupe… C’était émouvant : ces situations, ces visages qui, progressivement, s’illuminaient, rayonnaient… et se transformaient subtilement en visage du Christ…

Mais le plus surprenant, ce fut la réaction de ceux qui ont été comme écartés, balayés à sa gauche, d’un geste qui n’appelait aucune contestation : passé l’étonnement, la stupeur se lisait sur les visages pétrifiés, horrifiés… Quelques-uns, poussés sans ménagement par les anges, ont quand même essayé de protester. L’un d’eux s’est mis à crier : « Non, c’est injuste ! » Alors le roi l’a fait venir pour s’expliquer…

Agenouillé, il a commencé à bafouiller… « Maître, heu… Sire… enfin, je veux dire, Seigneur… Sauf votre respect, n’y a-t-il pas erreur ? Je suis là avec quelques amis et je peux assurer que nous avons toujours eu le plus grand respect pour votre Saint Nom, pour vous servir, fidèlement, dimanche après dimanche, messe après messe, sauf quand une épidémie de Covid nous a empêché d’assister à la messe. Alors nous avons même protesté, manifesté silencieusement pour qu’on rouvre nos églises pour ne pas manquer notre messe et pouvoir communier. Nous nous sommes rassemblés, même sous la pluie, le dimanche, devant les cathédrales et avons prié à genoux le chapelet pour qu’on nous laisser prier. 

Pour qu’on ne nous prive pas de l’Eucharistie. Nous avons lancé une association « Pour la messe » et ouvert un site internet qui a recueilli plus de 100 000 signatures en quelques jours que nous sommes allés déposer chez notre président… Nous avons œuvré, résisté, nous nous sommes mobilisés pour que vous soyez prié, adoré, honoré par vos fidèles et ne pas vous faire oublier… On s’est battu pour vous, sans compter… Pour que le Corps du Christ, votre présence réelle parmi nous, ne soit pas bafouée… N’y aurait-il pas quelque injust… heu, je veux dire, quelque méprise, après tout ce que nous avons fait pour vous, à nous envoyer de ce côté ?? »

Le roi se tourna alors vers un homme qui ressemblait à un vieillard de petite taille, un peu vouté, le visage plissé et buriné, vêtu d’une grande tunique blanche avec des petits boutons du haut en bas… et lui dit : « Explique-leur… » Il s’avança vers le groupe massé à gauche et raconta : 

« Des fidèles étaient venus me chercher au comble du désespoir. Un voleur avait pénétré dans leur église et, sacrilège suprême, il avait fracturé la porte du tabernacle pour prendre le ciboire. En pleurant, les fidèles m’ont raconté comment ils avaient trouvé les hosties consacrées dans la boue et ils m'ont demandé de célébrer une messe de réparation. J'ai accepté, bien sûr, et, pendant la messe, je leur ai dit : "Mes frères ! Comme nous sommes aveugles ! La découverte des hosties consacrées dans la boue nous a bouleversés. Mais le Christ dans la boue, chez nous, c'est un phénomène de tous les jours. Nous rencontrons Jésus-Christ tous les jours dans des taudis sous-humains ! Réellement présent dans l'eucharistie, le Christ connaît une autre présence réelle : dans la misère humaine. »

Je reconnus alors le vieillard : c’était Don Helder Camara, que j’avais rencontré lors du congrès eucharistique de Lourdes en 1981 : il m’avait ému à la manière dont il serrait sur son cœur le ciboire après avoir distribué la communion.

Le roi reprit : « Je ne vous blâme pas : vous avez bien fait, mais n’avez-vous pas oublié que le Corps du Christ n’est pas présent que sur l’autel et dans les tabernacles, mais en chacun de vous : et en particulier dans les plus pauvres, l’humilié vers qui je regarde, et celui qui a l’esprit abattu ? » (Is 66, 2). Vous êtes-vous donné autant de peine pour les visiter, les secourir, les aider, les aimer pendant que vos églises étaient fermées et vos messes empêchées ? »

Oui, « C’est un devoir pour nous, les forts, de porter l’infirmité des faibles et de ne pas rechercher ce qui nous plaît. » (Rm 15, 1) ajoutait l’un de ses proches en qui je reconnus Paul. 

En écho, un autre roi, David, caressa sa cithare et un chœur d’anges se mit à psalmodier : « Heureux qui pense au pauvre et au faible, le Seigneur le sauve au jour du malheur ! » (Ps 40, 2)

Des quatre Vivants qui entouraient le trône, celui qui avait comme un visage d’homme et celui ressemblait à un jeune taureau (Ap 4, 7) ajoutèrent en chœur : « Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu. » (Mt 4, 4, Lc 4, 4 citant Dt 8,3). Avez-vous pensé à vous nourrir de la Parole quand le Pain ne vous était pas distribué ? »

« Allez de ce côté, leur dit le Roi, pas définitivement, rassurez-vous, mais je pense qu’un petit séjour au creuset de mon amour pour tous les hommes, je dis bien tous, vous fera le plus grand bien. » 

Oui, reprit Paul, quand vous serez pleinement baignés, enracinés, établis dans son amour, « alors vous serez capables d’en comprendre avec tous les fidèles la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur… Vous connaîtrez ce qui dépasse toute connaissance : l’amour du Christ. Alors vous serez comblés et vous pourrez entrer dans toute la plénitude de Dieu. » (Ep 3, 17-19).

« Il est venu le moment où tout sera achevé, où le Christ va remettre le pouvoir royal à Dieu son Père… puisqu’il a anéanti le dernier ennemi, la mort. Il vient le moment où le Fils à qui tout est soumis se mettra lui-même sous le pouvoir du Père et ainsi, Dieu sera tout en tous. » (1 Co 15, 24-28)

Les Vivants se mirent à rendre gloire, honneur et action de grâce à celui qui siège sur le Trône et qui vit pour les siècles des siècles. Les vingt-quatre Anciens, après s’être prosternés devant lui, ont lancé leur couronne devant le Trône en disant : « Tu es digne, Seigneur notre Dieu, de recevoir la gloire, l’honneur et la puissance. » (Ap 4, 9-11)

Et alors les trompettes et les timbales ont résonné si fort que… ça m’a réveillé… Juste le temps de me préparer et de venir vous le raconter… Je vous assure, c’était vraiment une magnifique fête du Christ dans toute sa majesté, sa splendeur, sa royauté, mais toujours avec ce visage si doux, bienveillant pour chacun et plein d’amour qu’on lui connaît…

fr. Philippe Jeannin

Christ Pantocrator (photo : fr. Philippe Jeannin)

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