« Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée »

Homélie de la nuit de Noël du frère Guy Musy du couvent de Genève

Non, je ne vous emmène pas au théâtre cette nuit. Simplement, je vous invite à vous rendre attentifs à la page d’évangile qui vient de vous être lue. Une joyeuse et bonne nouvelle est diffusée par les anges aux bergers. Ils leur annoncent que les portes du Ciel sont désormais ouvertes.

Il y avait si longtemps que ces portes étaient fermées. On n’entendait plus la voix des prophètes inspirés. Et voilà qu’au cours de cette nuit les cieux s’ouvrent. Le Très-Haut devient le Très-Bas. Le sein d’une femme s’ouvre pour nous le donner. Dieu devient l’un de nous et ne nous quittera plus. Son nom n’est-il pas Emmanuel ? « Dieu-avec-nous », notre compagnon de route pour l’éternité.

Encore faut-il que cet Ami puisse frapper à la porte de nos logis. Soyons certains, il ne violera jamais notre domicile. Il attend patiemment que nous lui permettions d’entrer, de s’asseoir à notre table et réveillonner avec nous.

La porte du Ciel s’ouvre, alors que d’autres portes se cadenassent. Tout le monde connaît l’histoire de cet aubergiste qui flanqua sa porte au nez de ce couple de voyageurs dont la femme était sur le point d’accoucher. Comment ce commerçant aurait-il pu imaginer un seul instant que le sein de cette femme puisse décider du salut du monde ? Y compris du sien ?

Son salut ? L’aubergiste l’attendait de clients fortunés, ceux qui voyagent en classe d’affaire, les VIP qui lui promettaient de juteux profits, mais non de ce charpentier vagabond, provenant on ne sait d’où. Du reste, la fin de cette histoire ne lui a-t-elle pas donné raison ? Ce Jésus, fils de Joseph, dont on attendait monts et merveilles, n’a-t-il pas fini lamentablement cloué sur une croix ? Sur le seuil de son auberge à la belle enseigne, son balais à la main, notre homme s’écrie : « Passez ! Il n’y a rein à voir ». Du moins, pas pour les pauvres gens.

Depuis deux mille ans se répète la même histoire. On en a fait un conte que l’on raconte cette nuit pour endormir les enfants sans sommeil. L’intrigue est toujours la même : un pauvre hère, qui pourrait être un juif errant, bat la campagne dans la nuit et le froid à la recherche d’un feu de bois et d’un bol de soupe. Parfois des portes s’ouvrent, la table est mise avec dans un coin l’assiette du pauvre. Le plus souvent, les chiens aboient à son approche et le font fuir. Et si c’était lui que tout le monde attend ?

Et si cette histoire n’était pas un conte, mais une question qui nous ronge ? Que sommes-nous venus faire ici à l’heure de minuit ? Munis de notre « passe » sanitaire, nous aurions pu vivre cette nuit en d’autres lieux plus agréables et plus confortables que celui-ci.

Est-ce un brin de nostalgie familiale et religieuse qui nous attire dans cette église ? Sommes-nous fatigués de courir ci et là à la recherche de prétendus sauveurs qui s’avèrent à l’usage n’être que de banals marchands de bonheur ?

Ou alors, êtes-vous lassés de sapins verts, d’étoiles artificielles et de cadeaux empilés qui ne sont que l’emballage d’un trésor dont le contenu vous échappe ? A moins que vous cherchiez ici la paix et la joie, sans fioritures ni paillettes, promises aux hommes et aux femmes de « bonne volonté » ?

Finalement, si c’était cet enfant désarmé et désargenté qui vous avait donné rendez-vous dans cette église à l’heure de minuit ? Un enfant qui frappe maintenant à la porte de votre cœur et vous demande la permission d’entrer pour faire chez vous sa demeure.

Accueillir cet Enfant-Dieu est très risqué. Savons-nous vers quelles rives il va nous conduire ? Rien n’est prévu d’avance à qui veut suivre son évangile.

Le samaritain le sait bien, lui qui voit son programme bousculé sur le chemin de Jéricho par un moribond qui sollicitait son secours. Et nous, comment répondrons-nous aux urgences et turbulences provoquées par la pandémie ?

Pierre et André avaient-ils prévu de laisser leurs barques et leur vie tranquille quand un « passant » leur fit signe de le suivre ? Sommes-nous disposés à nous reconvertir quand un appel supérieur nous mobilise ?

Quand cet enfant propose l’amour de l’ennemi, sommes-nous prêts à nous réconcilier entre frères et sœurs, parents et enfants, maris et femmes, mais aussi entre partenaires d’une même cause sociale, religieuse ou humanitaire ?

Et si le santon de la crèche nous laisse indifférents, sommes-nous prêts à accueillir tous ces « petits » qu’il symbolise ? A commencer par ceux que nous pouvons déjà repérer dans cette assemblée, croiser sur le parvis de cette église ou apercevoir sur les trottoirs où ils font la queue non seulement pour être vaccinés, mais simplement pour recevoir de quoi manger.

Si les portes du Ciel s’ouvrent, de grâce, ne bloquons pas les nôtres à double tour. En mer, sur les chemins de l’exil, sur notre pallier, des pauvres frappent à notre porte. C‘est toujours Jésus qui veut entrer chez nous.

Ne nous barricadons pas. Laissons-nous contaminer par cet Enfant.

 

frère Guy Musy

La Nativité, du retable restauré du monastère des moniales dominicaines d'Estavayer-le-Lac, 16ème siècle. (photo : la rédaction)

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