Interview : Adrian Wyparło de la fraternité St-Dominique de Genève

Le cheminement d'un laïc dominicain

Adrian Wyparło est né en 1983 à Dąbrowa Górnicza, dans le sud de la Pologne, dans une région autrefois connue pour ses mines de charbon, ses fonderies et son industrie lourde. Il a étudié l'architecture à l'École polytechnique de Wrocław (Breslau), une ville dans laquelle nos frères dominicains sont très actifs.

Après sa troisième année d'études, il a effectué un stage à Lausanne dans un bureau d'architecture. Ce qui fut pour lui une première expérience de vie en Suisse. Il est ensuite retourné en Pologne et a obtenu son Master en architecture. 

Après quelques années de travail, Adrian s'installe à Varsovie, où il découvre la Fraternité laïque dominicaine au couvent St-Hyacinthe, un couvent du 17ème siècle dans le vieux centre de la ville.       

Après une période probatoire de trois ans dans cette communauté, pendant laquelle il est retourné en Suisse, Adrian a renouvelé son engagement temporaire en tant que laïc dominicain dans notre église de St-Paul à Genève, pour une période d'un an. Cet événement a été commémoré par un article sur notre site.

A l'occasion de son engagement dans la Fraternité, notre frère laïc Adrian Wyparło a aimablement accepté de s'asseoir avec la rédaction pour une brève interview.

***

La rédaction : Adrian Wyparło, bonjour.

Adrian Wyparło : Bonjour.

Il semble que vous n'ayez pas toujours été en contact avec l'Ordre dominicain. Comment avez-vous découvert les dominicains, et qu'est-ce qui vous a attiré dans l'héritage de saint Dominique ?

AW : J'ai découvert les frères dominicains alors que j'étais étudiant à Wrocław. C'était bien avant que je pense à devenir membre d'une fraternité laïque. J'avais grandi dans une famille traditionnellement catholique, mais je ne dirais pas vraiment que la foi était particulièrement vivante dans notre foyer. Dans notre paroisse locale, la liturgie et la prédication étaient sérieuses mais peut-être sans éclat. 

J'ai découvert une approche différente de la foi grâce aux dominicains. J'ai perçu que les frères étaient passionnément engagés dans les écrits sacrés et la tradition chrétienne. Ils accordaient beaucoup d'attention à la liturgie et cultivaient une belle musique sacrée. Tout cela m'a vraiment interpellé. J'avais connu une église d’une petite ville, mais ce genre de pratique de la foi était révolutionnaire pour moi. Les dominicains ont bâti pour moi un pont vers l'Eglise.

En quoi les liturgies des frères de Wrocław étaient-elles particulières ?

AW : Les liturgies des frères mélangeaient la prière avec des périodes de silence. La prédication était profonde et bien réfléchie. J'avais l'impression d'avoir découvert chez les dominicains quelque chose de très précieux. Je pense que si les frères ont pu m'atteindre, c'est en partie parce qu'ils avaient derrière eux une formation solide. Ils savaient ce qu'ils croyaient et pouvaient l’expliquer.

Je comprends…

AW : En fait, les dominicains ont une longue tradition en Pologne. En effet, en 2022, ils célébreront 800 ans de présence ininterrompue dans le pays. Ces profondes racines et cet héritage impressionnant, peut-être paradoxalement, attirent les jeunes. En tout cas, lorsque moi et mes amis étions à l'université, cela nous a certainement séduits. 

D’accord, mais vous étiez à l'université au début des années 2000. Nous voyons maintenant dans la presse qu'il y a une crise croissante dans l'Eglise en Pologne, surtout chez les jeunes. Certains séminaires qui étaient pleins il y a seulement 10 ans sont presque vides aujourd'hui. Que se passe-t-il ?

AW : Je pense que j'ai eu de la chance de trouver les dominicains au moment où je les ai trouvés. Ils m'ont montré, ainsi qu'à d'autres jeunes en questionnement, que la foi n'est pas seulement intellectuellement défendable, mais qu'elle stimule sans cesse l'esprit et le fortifie. C'est la « beauté toujours ancienne et toujours nouvelle » comme l'écrit saint Augustin dans ses Confessions. Mais beaucoup de jeunes n'ont pas la même chance que moi. Ils ont peut-être été élevés dans des foyers traditionnellement pieux, mais ils ne sont jamais parvenus à s'approprier leur foi en tant qu'adultes et à s'engager à être des disciples à la suite d'une décision libre de leur part.

De nombreux jeunes quittent l'église aujourd'hui en Pologne, mais ils ne comprennent pas que l'église est une réalité complexe. L'Église mérite d'être connue plus profondément. En fait, elle exige d'être connue de plus en plus profondément si nous souhaitons rester fidèles.

Jusqu'à présent, vous avez fait référence aux frères dominicains, dont il existe une communauté importante à Wrocław. Mais lorsque vous avez terminé vos études et que, après quelques années, vous vous êtes installé à Varsovie, il semble que vous ayez découvert un autre visage de l'Ordre...

AW : Oui. C'est à Varsovie que j'ai découvert les Fraternités laïques. Il y en a trois à Varsovie : l’une auprès du couvent le plus ancien et les deux autres dans le couvent du XXe siècle dans la banlieue, dans le quartier de Służew.

Comment avez-vous trouvé les dominicains laïcs ?

Je ne les cherchais pas, bien sûr. Mais, à l'époque comme aujourd'hui, j'étais engagé dans mon autre passion – outre l'architecture – qui est la musique ancienne. Je joue de la flûte à bec et je chante. À Varsovie, j'ai pu participer à des ensembles médiévaux, mais aussi à des ensembles baroques. Ces groupes attiraient beaucoup de catholiques croyants, car le répertoire est généralement explicitement chrétien. J'ai également joué de la musique pour des rencontres de Taizé en Pologne. 

Alors, des laïcs dominicains jouaient de la musique et chantaient avec vous ?

AW : Oui, mais ces jeunes gens étaient eux-mêmes débutants dans la fraternité laïque. Ils m'ont invité à des réunions de la Fraternité.

Beaucoup de gens y participent ?

AW : Oh oui. Dans la fraternité du centre de Varsovie, il y a presque 100 membres, dont environ 50 sont très actifs. Il y a une diversité d’age – de personnes de 20 à 80 ans. Quand j'ai commencé à participer, les personnes âgées étaient encore majoritaires, mais maintenant la majorité est constituée de jeunes.

Que se passe-t-il lors d'une réunion typique de la fraternité laïque de Varsovie ? À quelle fréquence vous réunissez-vous ?

AW : Nous nous réunissons une fois par mois, généralement le dimanche. Nous commençons par chanter les Laudes, prenons part à la messe de 9 heures, suivie d'une conférence. Celle-ci était généralement présentée par les frères qui sont les assistants de la fraternité. Les conférences mensuelles étaient généralement organisées autour d'une sorte de thème continu. Par exemple, pendant une année entière, nous avons eu une série autour du Catéchisme de l'Église catholique (1993).

Après la conférence, il y avait presque toujours une agape, qui avait lieu généralement vers midi. En d'autres termes, nous prenions ensemble un déjeuner convivial. Et nous y restions fréquemment pendant au moins deux ou parfois trois heures. Parfois, un chapelet suivait, spontanément.

Comment faisiez-vous au début pour parler avec tous ces gens que vous ne connaissiez pas bien ?

AW : Je me souviens très clairement du sentiment que nous formions une seule famille assise autour de la table. Nous partagions la foi, et avions donc quelque chose comme une vision commune et une relation partagée avec Dieu. Et pourtant, chacun a sa propre perspective. La présence de personnes plus âgées m'a beaucoup appris, et le fait d'être une famille a été, je pense, très précieux pour les plus âgés comme pour les jeunes. Nous avons appris à être ouverts à ce qui est autre – d'autres coutumes, d'autres façons de percevoir la réalité – qui sont façonnées par nos propres chemins.

Avant de quitter Varsovie, vous avez entrepris une période probatoire de trois ans, qui, selon la constitution des Fraternités laïques de notre Ordre, est la première étape pour devenir un laïc dominicain. Mais pendant cette période, vous vous êtes éloigné de la Pologne. Quand avez-vous quitté Varsovie pour revenir en Suisse ?

AW : Je suis en Suisse depuis février 2021. 

Est-ce que vous travaillez toujours en tant qu'architecte ici ?

AW : Je ne travaille pas strictement dans l'architecture mais dans le bâtiment. Je travaille surtout sur la construction et finition intérieure. J'ai trouvé ce travail tout simplement par le biais d'une agence de placement.

N'est-ce pas un changement un peu violent que de passer de la conception de bâtiments derrière un ordinateur à leur construction ?

AW : Je dirais plutôt que c'est un changement rafraîchissant. J'aime le travail créatif, mais cela ne veut pas dire exclusivement un travail purement intellectuel. Il est parfois bon de sortir de l'écran de l'ordinateur pour entrer dans le travail réel où les bâtiments sont réalisés. Je dirais aussi que ce travail m'aide à me développer intellectuellement et spirituellement.

Intellectuellement ?

AW :  Intellectuellement, honnêtement, grâce aux livres audio. J'installe des livres audio sur mon portable avant le travail et je peux passer 8 heures immergée dans le matériel pendant que je travaille. 

Très astucieux !

AW : Je sais que je ne serai pas ici pour toujours et j'ai des projets pour l'avenir, mais pour le moment, je suis très heureux d'être ici.

Comment avez-vous découvert la Fraternité laïque dominicaine ici à Genève ?

AW : En fait, j'ai choisi de m'installer à Genève spécifiquement à cause de la présence de la Fraternité laïque.

Comment ça ?

AW : Vous ne le savez peut-être pas, mais sur le site de l'Ordre, op.org, il y a une carte du monde avec les communautés de l'Ordre. C'est en étudiant cette carte que j'ai appris l'existence des Dominicains de Genève.

Était-il si important pour vous d'être en contact avec la fraternité laïque que vous ayez choisi Genève plutôt que, disons, Lausanne ?

AW : Certes. L'Ordre est en quelque sorte une famille élargie pour moi, comme j’ai dit. Il fournit une base à ma vie qui est importante pour moi. En fait, chaque fois que je voyage, je cherche des endroits où je sais que je peux être en contact avec l'Ordre et idéalement aussi avec des laïcs dominicains.

La fraternité laïque de Genève vous a-t-elle aidé dans votre intégration à la vie en Suisse ?

AW : Absolument, oui.

Qu'est-ce que vous appréciez particulièrement ici ?

AW : Eh bien, ce n'est pas directement lié à la fraternité, mais je dois dire, honnêtement, que pour moi, en Suisse, la nature a une grande valeur. Les montagnes me remontent le moral. Je fais des randonnées et je vais dans les montagnes sur mon vélo.

Mais qu'en est-il du côté social de la vie ?

AW : Je ne connais pas beaucoup de gens ici – et c'est parfois difficile. Il se peut, comme je l'ai entendu dire par d'autres, que les Suisses, bien qu'ils soient d'une politesse à toute épreuve, soient extrêmement lents à ouvrir réellement les portes de leur maison, ou de leur cœur, à des personnes qui viennent d'autres contextes ou qu'ils n'ont pas connues depuis très longtemps.

Je comprends ce que vous voulez dire…

AW : Oui, mais je ne suis ici que depuis moins d'un an, alors nous verrons bien ce qui se passe. En tout cas, je considère mon expérience ici en Suisse comme une étape de mon voyage. Sur ce bout de chemin, j'apprends. J’accumule des choses que j'emporterai avec moi dans la suite de mon cheminement. Il y a des expériences dans la vie qui nous touchent.

Par exemple ?

AW : À Varsovie, j'ai rencontré la fraternité laïque de manière tout à fait spontanée. Je ne l'avais pas prévu, et pourtant, cela a façonné ma vie. En 2018, j'ai effectué avec une collègue un travail missionnaire dans une école de musique pour jeunes en Bolivie. En 2020, nous sommes retournés en Bolivie et nous avons aidé à préparer des étudiants en musique pour le Festival de la Musique Renaissance et Baroque Latino-Américaine. Et puis le COVID a frappé, et nous avons été confinés avec une famille de quakers américains. J'ai appris des étudiants boliviens, et j'ai appris des quakers. Dieu nous fait parfois des cadeaux inattendus, même au milieu de circonstances particulières. Même dans les moments les plus difficiles.

Nous espérons que votre séjour en Suisse ne sera pas trop difficile mais surtout riche en nouvelles expériences. Nous sommes ravis de vous avoir ici dans la paroisse de St-Paul, et je sais que les laïcs dominicains sont heureux de vous accueillir dans la fraternité.

AW : Oui, et je leur en suis très reconnaissant.

Merci, Adrian.

AW : Merci.

***

Un regard sur la vie des laïcs dominicains en Pologne :

Dans cette vidéo récente de Cracovie, le frère Łukasz Miśko s'entretient avec Małgorzata Manado et Jacek Zejma – deux laïcs qui, en tant que membres de l'Ordre des Prêcheurs, vivent l'esprit et le charisme de saint Dominique.

La vidéo est en polonais. Des sous-titres anglais peuvent être activés.

 

Pour tout renseignement concernant les Fraternités en Suisse romande, contactez Mme Evelyn von Steffens, Responsable provinciale, par mail : evelyn.vonsteffens@gmail.com ou par téléphone : 022 735 75 20.

Adrian Wyparło dans l'église St-Paul de Cologny, où il a prononcé son engagement dans la fraternité laïque de St-Dominique samedi dernier (photos pour cet article : la rédaction)

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