Interview : le nouveau prieur provincial de la Province de Suisse

Le frère Benoît-Dominique de La Soujeole, en visite à Genève, parle de son espoir pour l'avenir

Né en 1955, le frère Benoît-Dominique de La Soujeole est fils de la Province de Toulouse de l'Ordre des Frères Prêcheurs. Entré au noviciat en 1984, il a été professeur à la Faculté de théologie de l'Université de Fribourg de 1999 à 2021. Il est docteur en théologie dogmatique. En 2016, le pape François l'a nommé consulteur de la Congrégation pour l'éducation catholique.

Le mardi 3 janvier, les frères de la Province de Suisse, réunis en chapitre au Monastère d'Estavayer-le-Lac, ont élu le frère Benoît-Dominique comme Prieur provincial de la Province de Suisse. Cela signifie qu'il est désormais le supérieur de tous les frères de la Province.

Le frère Benoît-Dominique commence son mandat dans une période importante pour la présence dominicaine en Suisse. Il est interpellé par la diminution du nombre de frères après des décennies au cours desquelles peu de jeunes ont été reçus dans l'Ordre. Il doit donc aujourd’hui stimuler le témoignage dominicain de manière renouvelée.

Malgré ses nombreuses responsabilités, le frère Benoît-Dominique a accordé un moment à la Rédaction lors de sa récente visite au couvent de Genève. Nous avons donc le plaisir de présenter ici cette première interview de son provincialat.

La Rédaction : Frère Benoît-Dominique, bonjour et bienvenue à Genève.

Frère Benoît-Dominique de La Soujeole : Bonjour ! Merci...

Réd. : Tu as été élu Prieur provincial le mardi 3 janvier par les frères réunis en chapitre. Je crois savoir que tu étais de retour à Toulouse lorsque la nouvelle de ton élection t'est parvenue. Cet appel des frères suisses a-t-il été une surprise ?

BDS : J'étais effectivement à Toulouse le 3 janvier. J'arrivais de Fribourg où je venais de déménager, depuis le 1er janvier, du Couvent St-Albert-le-Grand, l' « Albertinum », où j'avais vécu pendant des années. Alors oui, la nouvelle de mon élection a été une surprise totale. Après l’avoir acceptée, au terme d’une consultation avec le Maître de l'Ordre, j'ai dû trouver un moyen de rentrer en Suisse au plus vite. J'étais de retour le 5 janvier.

Réd. : Une tournure dramatique des événements.

BDS : Inattendue, je dirais plutôt, et peut-être providentielle. 

Réd. : Quelle a été la relation avec Fribourg et avec la Suisse que tu as développée pendant ton séjour à l'Albertinum ?

BDS : Il y a à Fribourg deux couvents dominicains, le couvent St-Albert-le-Grand et le couvent St-Hyacinthe. Le Couvent St-Albert-le-Grand dépend du Maître de l'Ordre et a sa raison d'être à l'Université, et j'y étais en tant que professeur à l'Université. Il y a aussi le Couvent St-Hyacinthe, qui est le couvent de la Province suisse, distant d'environ 1,5 kilomètres du Couvent St-Albert. Je fus pendant 22 ans professeur de dogmatique à la Faculté de Théologie. Mon principal domaine de recherche est l'ecclésiologie, et ce qui lui est lié, les sacrements. J'ai publié en 2006 en français et en 2011 en anglais et ensuite en 2020 en espagnol mon grand cours d'ecclésiologie Introduction au mystère de l'Église, dont l'objet principal est de manifester théologiquement l'unité de toutes les composantes de ce mystère qui s'appelle l'Église. Une Église qui a un côté humain et un côté divin. Comment cela s'articule-t-il pour faire l'unité de la terre et du ciel ? L'Église en tant qu'unité a été mon grand sujet de recherche. 

Réd. : Lorsque nous parlons de l'unité de toutes les composantes de l'Église, cela résonne avec des thèmes actuels et même avec ce qu’on peut lire dans la presse...

BDS : Certainement. Ce thème de l'Église profondément unie pose immédiatement la question de l'œcuménisme, par exemple. Quelles sont les relations, les rapports, entre les différentes confessions chrétiennes, qui sont basées sur le baptême unique que tous ont reçu ? Il pose également la question des relations entre religions : les autres religions ne sont pas simplement « vides ». Elles ont une relation qui, je crois, est très profonde avec le mystère de l'Église. Il y a d'autres sujets liés, par exemple toute la théologie mariale, puisque Marie est l'icône de l'Église, comme mère et comme épouse. Le thème de l'Église en tant qu'unité est donc en un sens au cœur de l'ecclésiologie.

 La vie communautaire est pour nous l'école de la charité. Nous sommes là pour apprendre à aimer notre prochain comme nous-mêmes. Voilà le chemin concret, quotidien, existentiel de l'amour de Dieu. Ce chemin est toujours à reprendre depuis les 800 ans que notre Ordre existe. Cela n'a jamais été total, parfait, définitif – c'est toujours à reprendre et à développer. 

Réd. : Tu as parlé d'œcuménisme et de dialogue interreligieux, mais qu'en est-il de l'unité au sein de l'Église catholique – entre les fidèles dans toute leur variété, ou entre les fidèles et les évêques, par exemple ?

BDS : Alors oui, cette unité se voit à l'intérieur de l'Église catholique sous plusieurs formes. Si nous parlons de l'âme de l'Église, nous parlons de l'Esprit Saint. Il est la source de l'unité. Et il y a des causes subordonnées à cette influence du Saint-Esprit, dont les ministères évidemment qui sont eux-mêmes unis autour de l'évêque de Rome. Il y a ensuite les relations entre les ministres et les fidèles, qui sont des relations réciproques et non à sens unique. C'est un concert. L'image qui nous vient des Pères de l'Église est celle de l'orchestre, n'est-ce pas ? Tout cela est l'étude des différents modes dans lesquels l'unité de l'Église est donnée par Dieu et reçue et construite par des hommes.

Réd. : On sait que tu n'es pas seulement professeur et chercheur mais que tu as aussi exercé des charges dans notre Ordre. Tu as déjà été supérieur dans différents contextes...

BDS : Oui, avant de venir à Fribourg en 1999 j'avais été prieur du couvent de Marseille. Je fus aussi membre du conseil provincial de la Province de Toulouse dont je suis fils. Arrivé au couvent St-Albert je fus prieur et sous-prieur. Mais chez les Dominicains, les charges de gouvernement sont toujours limitées dans le temps : prieur d'un couvent, trois ans ; prieur provincial, quatre ans. Et il y a des règles pour éviter trop d’élections successives : pas plus de deux mandats successifs pour un prieur provincial, par exemple. Ce qui fait que dans la vie dominicaine le nombre de frères qui assument les charges est beaucoup plus élevé que dans d’autres ordres plus verticaux, si j'ose dire, comme dans les ordres monastiques. Cela fait partie des choses que l'on doit savoir accepter.

Réd. : Ton travail de théologien et d'enseignant peut-il informer ou enrichir ton exercice de ce ministère de supérieur ?  

BDS : L'exercice d'une fonction gouvernementale demande, comme on le dit traditionnellement, sagesse et prudence. Donc du côté de la sagesse, c'est-à-dire la connaissance profonde des choses – et non pas seulement techniques ou pratiques mais aussi les choses essentielles – une formation académique ne peut évidemment qu'aider. Le côté prudence, lui, est à peu près tout assuré par l'aspect expérience. Il faut savoir conjuguer les deux.

 Si nous parlons de l'âme de l'Église, nous parlons de l'Esprit Saint. Il est la source de l'unité. Et il y a des causes subordonnées à cette influence du Saint-Esprit, dont les ministères évidemment qui sont eux-mêmes unis autour de l'évêque de Rome. Il y a ensuite les relations entre les ministres et les fidèles, qui sont des relations réciproques et non à sens unique. 

Réd. : Peux-tu parler, si ce n'est pas révéler des secrets, des enjeux actuels pour cette Province, celle de la Suisse ?

BDS : Alors l'enjeu majeur est, pour prendre un mot qui est très à la mode, de rebondir. La Province est en phase de réduction d’effectif, et par conséquent de diminution de forces apostoliques. Il faut la reconfigurer et la redisposer pour rebondir, c'est à dire cesser de s'abaisser pour commencer à remonter. Concrètement, nous devons disposer notre Province au mieux pour l'accueil et la formation des vocations.

Réd. : Et quelles sont tes idées pour faire cela ?

BDS : Il n'y a pas de recette toute faite – sinon elle aurait déjà été appliquée, et depuis longtemps. Il y a actuellement quelques opportunités – notamment un projet d'association assez direct avec la Province de France, notre grande voisine, justement pour nous aider à rebondir. 

Réd. : Ce projet d'association avec la France va-t-il changer la composition de nos communautés en Suisse ? Nos amis verront-ils des frères quitter leurs couvents pour travailler par exemple à Paris ?

BDS : Je ne pense pas. L'idée qui préside à ce rapprochement France-Suisse est justement de maintenir la présence dominicaine en Suisse et de la renforcer – de l'augmenter, et non de l'appauvrir. Concrètement, nous avons trois lieux de présence qui sont Zurich, Fribourg et Genève. Ces lieux doivent être et seront maintenus, c'est sûr.

Red. : Si j'ai bien compris, un défi majeur est le manque de frères dans ces communautés.

BDS : Oui, exactement.

Red. : Alors vois-tu des signes d'espoir pour l'avenir ? Nous savons que de nombreux jeunes, surtout en Europe, sont totalement inexpérimentés dans la foi. Comment vois-tu la possibilité d'en attirer de nouveaux vers ce mode de vie qui est le nôtre ?

BDS : Posée en termes sociologiques, la question des vocations est vite résolue : il ne peut y en avoir, vu la façon dont la culture occidentale évolue dans un climat postchrétien, d'indifférence ou parfois de mépris. Mais surtout d'une ignorance croissante. Donc si on se limite à ça, ça ne vaut pas la peine d'aller plus loin. Mais si on est vraiment dans le cadre d'une vie chrétienne on voit que la cause déterminante est Dieu : Dieu est fidèle. Le charisme dominicain est authentique. Le Seigneur continue d'appeler des jeunes à ce charisme authentique. La question qui se pose est donc : quelle est notre capacité d'accueil et de formation ? Nous avons quatre vocations jeunes : un jeune prêtre, un jeune diacre, deux jeunes frères en formation initiale. C'est Dieu qui les a rencontrés. C'est Dieu qui a orienté ces jeunes vers nous. Nous les avons reçus. Ces jeunes sont une manifestation claire de la volonté de Dieu sur nous, et que c'est cela que nous devons savoir accueillir et de plus en plus mais surtout de mieux en mieux. Il y a par exemple à Fribourg 11'000 étudiants. Il me semble curieux que sur ces 11'000 étudiants il n'y en ait pas deux ou trois par an qui répondent à la vocation dominicaine.

 Nous avons quatre vocations jeunes : un jeune prêtre, un jeune diacre, deux jeunes frères en formation initiale. C'est Dieu qui les a rencontrés. C'est Dieu qui a orienté ces jeunes vers nous. Nous les avons reçus. Ces jeunes sont une manifestation claire de la volonté de Dieu sur nous, et que c'est cela que nous devons savoir accueillir et de plus en plus mais surtout de mieux en mieux. 

Réd. : Y a-t-il des choses que nous, dominicains, pouvons mieux faire pour exprimer notre vocation et ainsi faire venir des jeunes intéressés par notre charisme ?

BDS : Les personnes qui sont éveillées par Dieu ont besoin de témoins. Le charisme dominicain, on ne le voit pas passer dans la rue. Il est vécu, incarné par des personnes, des dominicains. Et par nos sœurs moniales, et nos sœurs apostoliques. Le charisme dominicain est un mode de vie qui est tout entier porteur d'une action précise : celle de la prédication de l'Évangile. Nous ne sommes pas les seuls prédicateurs, loin de là. Mais ce qui nous distingue, c'est notre forme de vie. Et notre forme de vie, que l'on appelle techniquement 'conventuelle', c'est-à-dire communautaire, nous donne la visibilité que nous devons non seulement maintenir mais développer et amplifier. « Venez et voyez ! » comme dit le Seigneur (Jean 1,39).

Réd. : Quelle devrait être la qualité de notre vie commune ?

BDS : Si nous vivons ensemble – comme le dit la Règle de Saint Augustin, notre règle fondamentale – c'est pour deux raisons. D’abord, nous nous réunissons pour cultiver une relation non seulement personnelle mais aussi communautaire avec le Seigneur, c'est-à-dire de le prier, le louer, le supplier, et le célébrer ensemble. Ensuite, la vie communautaire est pour nous l'école de la charité. Nous sommes là pour apprendre à aimer notre prochain comme nous-mêmes. Voilà le chemin concret, quotidien, existentiel de l'amour de Dieu. Ce chemin est toujours à reprendre depuis les 800 ans que notre Ordre existe. Cela n'a jamais été total, parfait, définitif – c'est toujours à reprendre et à développer. 

Réd. : Mettons-nous à la place d'un jeune homme qui cherche son chemin. Que devrait-il voir, que devrait-il entendre en entrant dans l'une de nos communautés ?

BDS : La première chose à voir et à expérimenter est la prière. Trois ou quatre fois par jour, nous convergeons vers la chapelle. La prière est de loin ce que nous faisons le mieux (ou le moins mal !) chaque jour. S'il n'y a pas la prière, il n'y a rien, c'est clair. S'il n'y a pas le cœur, le reste du corps peut être parfait mais il ne fonctionne pas. Ensuite, il y a le rayonnement de cette prière. Il y a par exemple le mode de relation que nous avons entre nous : le fait que nous partageons la même table, que nous étudions ensemble, que nous faisons notre ministère souvent ensemble. Cela se voit à l'Université, qui est un bon ministère commun, mais pas seulement là. On voit que cet aspect communautaire n'est pas du tout dépersonnalisant mais qu’il permet au contraire à chacun d'exprimer sa note dans l'orchestre, dans la mélodie.

Réd. : J'imagine que tu as devant toi de nombreuses décisions difficiles en cette période clé pour la présence dominicaine en Suisse. Il y a peut-être des décisions financières à prendre ou des décisions concernant les assignations de frères. Mais y a-t-il aussi des tâches joyeuses qui t'attendent, ou des choses que tu as hâte de faire dans ta nouvelle charge ?

BDS : Alors il y a des défis qu'il faut relever, il y a des décisions au sujet des personnes qu'il faut très évidemment comprendre et accompagner. Mais je ne dirais pas que ce sont des difficultés. Non, elles font partie de nos joies. Tout cela fait partie de notre vie commune, de notre vocation et de notre responsabilité commune. Grâce au conseil provincial qui m'accompagne, j'ai accès à des connaissances sur certains aspects de la Province que j’ignorais jusque-là. Je pense en particulier à l'ancien prieur provincial, le frère Guido Vergauwen. Il est membre de ce conseil et il porte la mémoire de notre cheminement dominicain au cours des dernières années. J'ai également nommé un socius, c'est-à-dire un compagnon ou un conseiller, le frère Didier Boillat. Il est aussi ancien provincial. Je ne suis pas seul à relever nos défis. Nous travaillons ensemble pour rebondir, renforcer et amplifier notre témoignage. Tous les obstacles qui peuvent surgir maintenant sont à considérer comme faisant partie de ce mouvement ascendant. Alors ils sécrèteront la joie de l'espoir, je crois.

Réd. : Merci, frère Benoît-Dominique.

BDS : Merci !

Le frère benoît-Dominique de La Soujeole le 8 janvier au centre d'accueil du monastère d'Estavayer-le-Lac (photos pour cet article : la rédaction)

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