Irénée de Lyon

Pacifique et combattif

Tout le monde le sait. Le plateau suisse se partage en deux espaces géographiques: le versant nord où s’écoulent les eaux qui vont vers le Rhin et celui du sud-ouest où elles vont alimenter le Rhône. Deux voies de pénétration et de consolidation du christianisme dans cette région.

Incontestablement, Genève appartient à la zone rhodanienne. L’évangile a remonté le cours du Rhône depuis le port de Marseille pour atteindre Lyon dès le deuxième siècle et Genève au quatrième. Un relais important sur cette trajectoire fut précisément saint Irénée évêque de Lyon, fêté le 28 juin, selon le calendrier romain. Un vitrail de notre église St-Paul le représente en compagnie de Pothin, son prédécesseur qui fut le premier primat des Gaules et de Salonius, mort en 459, fils de saint Eucher, un autre évêque de Lyon, et qui fut le premier à occuper le siège épiscopal de Genève.

Il faut remonter encore plus haut dans le temps  pour repérer  tous les chaînons de cette filiation. L’évangile n’est pas né à Marseille. Ce sont sans doute des marchands ou des soldats chrétiens venus d’Asie Mineure qui l’ont fait connaître dans la ville phocéenne, avant qu’il ne remontât la vallée du Rhône pour atteindre Lyon. Des liens vivants se sont noués entre ces deux rives – éloignées – de la même Méditerranée. L’histoire en effet fait naître Irénée à Smyrne vers l’an 120-130. Il aurait connu Polycarpe, évêque de cette ville et disciple de l’apôtre Jean. Une filiation solidement enracinée sur le terreau apostolique.

Irénée arrive à Lyon en 175. Il prend rapidement contact avec la communauté chrétienne de cette cité regroupée alors entre la Saône et la colline de Fourvière. « Presbytre » ou Ancien au sein de cette communauté, très cultivé et fervent, il en prend naturellement la direction quand, deux ans après son arrivée, Pothin, le premier évêque de Lyon sera exécuté sous la persécution de Marc-Aurèle. Irénée assumera sa charge pastorale jusqu’à sa mort survenue en l’an 202, martyrisé à son tour sous l’empereur Septime Sévère.

Deux axes pour définir l’activité de ce prélat hors du commun qui ne cesse d’éclairer l’Eglise de notre temps.

Tout d’abord, son rayonnement pastoral. Primat des Gaules, il aura à cœur de donner à la foi chrétienne un rayonnement qui dépassera la région lyonnaise. Sous son épiscopat se fondent des communautés chrétiennes à Vienne, à Valence et Besançon. Successeur des Apôtres, il porte avec eux le souci et le devoir de porter l’évangile jusqu’aux extrémités de la terre. Son zèle d’évangélisateur a dû inspirer ceux et celles qui après lui ont fait de l’Eglise lyonnaise un pôle important de l’expansion de la mission chrétienne. Ne mentionnons que la figure de Pauline Jaricot (1799 – 1862), une laïque lyonnaise promise à une béatification prochaine.

Mais Irénée intervient aussi dans la vie des autres Eglises. Le plus souvent comme médiateur. Son nom Irénée ou Pacifique est à lui seul un programme pastoral. En son temps comme dans le nôtre, l’Eglise est en ébullition. La fixation de la  date de la fête de Pâques met le feu aux poudres. Est-ce le 14 du mois juif Nizan ou le dimanche qui le suit ? L‘évêque de Rome excommunie ses collègues qui ne partagent pas son avis. L’intervention d’Irénée évite le schisme et plaide en faveur du droit des Eglises locales de régler elles-mêmes leurs problèmes dans la mesure où ils n’ébranlent pas les fondements de la foi universelle. Ce qui n’est le cas quand il s’agit de querelle de  calendrier. Un peu plus tard, les esprits ouverts et conciliants répéteront dans une Eglise tiraillée par ses divisions le célèbre adage attribué à saint Augustin, mais si proche de la pensée d’Irénée : unité dans les choses nécessaires, liberté dans celles qui ne le sont pas, mais charité dans tous les cas. Une sagesse bien érodée de nos jours !

C’est surtout comme théologien qu’Irénée s’est fait connaitre à la postérité. Deux sujets l’ont passionné. Tout d’abord, affirmer l’enracinement apostolique de l’Eglise en démontrant la succession de ses pasteurs à partir des origines.  Ainsi, dresse-t-il la liste des évêques de Rome, à partir de Pierre et Paul. De même, il affirme rigoureusement l’unicité de l’Evangile, bien que rédigé sous quatre formes – canoniques – pour satisfaire l’esprit humain. Un souci de faire reposer la foi sur des bases solides et bien établies.

Cette recherche de solidité amènera Irénée, le pacifique, à polémiquer contre les gnostiques, à la mode en son temps comme dans le nôtre, qui substituent à la réalité concrète de l’incarnation des doctrines ésotériques et éthérées, spiritualités fumeuses contraires à l’authenticité de la chair assumée par le Verbe de Dieu. Irénée, si proche par ses origines de la famille johannique, devait se souvenir de ces versets qui inaugurent la Première Lettre de Jean : « ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux…ce que nos mains ont touché du Verbe de vie…nous vous l’annonçons à vous aussi »     (I Jean 1,1-3).

Enfin, pour clore ces lignes, citons encore cette formule si répétée dont Irénée serait l’auteur : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ! ». Il est regrettable que l’on ignore ou oublie la suite de cette maxime : « et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu ! ».

fr. Guy Musy

Vitrail de l'église de Saint-Paul, Cologny (photo © Jean-Claude Gadmer)

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