Jeudi Saint : Faites ceci en mémoire de moi…

L'homélie de notre prieur le frère Philippe Jeannin

L’an dernier, nous avons été privés des célébrations pascales… 

Cette année, dans la limite des restrictions sanitaires, nous pouvons nous réjouir de pouvoir célébrer à nouveau, même si nous ne pourrons pas donner à ces célébrations toute leur ampleur du fait qu’on ne peut pas chanter, pas processionner… mais voilà bien le défi pour nous cette année… Comment donner toute sa dimension au mystère de l’Eucharistie que nous célébrons ce soir, en commémorant son institution.

Qu’a fait Jésus, ce soir-là ? Au cours du repas pascal qu’il partageait avec ses disciples, il s’interrompt pour leur laver les pieds puis, prenant le pain et la coupe de bénédiction, il leur partage en disant : « Ceci est mon Corps ! Ceci est mon Sang ! Prenez, mangez, buvez… » Et ces gestes, ce don, il les a faits pour ses disciples, tous ses disciples, même pour celui dont il savait qu’il allait le trahir, le vendre, le livrer…

Nous trouvons cela touchant, émouvant… Christ qui se met à nos pieds, qui se donne à nous en pain de vie pour nous assurer la vie éternelle : Oh merci, mon Dieu ! « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » (Jn 6, 51) dira-t-il ailleurs.

Tout cela, me direz-vous, nous le savons déjà et, tant bien que mal, nous essayons d’en vivre. Mais il y a une chose que l’on risque d’oublier facilement, c’est la dimension universelle de ces gestes et les autres paroles que Jésus a laissées à ses disciples, ce soir-là. Dimension universelle, car Jésus n’a pas posé ses gestes que pour sa douzaine de disciples, ni pour nous, par extension, mais pour l’humanité tout entière. Hier, aujourd’hui et demain. Dans le sens des paroles qu’il laisse aussi en héritage : « Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. » (Jn 13, 14) et il ajoute : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » (v 15)

Il ne dit pas : pour que vous regardiez… ni… si vous voulez… mais… afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. Il y a là une injonction : pas seulement une invitation… 

Qu’est-ce à dire ? Que l’on doit, nous aussi, nous mettre à genoux et nous laver les pieds les uns des autres ? On n’y arrive pas si facilement, aussi simplement, du premier coup… Si on ne peut pas aller jusque-là, alors que tant de soignants sont capables de le faire, il nous faut nous demander ce soir, chacun, de quelle manière je peux mettre en œuvre l’exemple que Jésus nous donne.

Juste après les versets que nous avons entendus ce soir, Jésus ajoute : « Amen, amen, je vous le dis : un serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni un envoyé plus grand que celui qui l’envoie. Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites. (Jn 13, 16-17). Le rapport Maître à Serviteur, mais plus encore de Maître à Disciple nous invite à nous mettre d’abord à l’école du maître : frères et sœurs, c’est seulement en nous mettant à l’école de ce Maître, doux et humble de cœur, que nous comprendrons son geste, que nous deviendrons capables de le reproduire, comme il nous a dit de le faire. Et là est la clef du bonheur… 

Au cours de ce repas, Jésus a aussi pris le pain et la coupe de bénédiction, il les a partagés à ses disciples en disant : « Ceci est mon Corps ! Ceci est mon Sang ! Prenez, mangez, buvez… »

L’évangéliste Luc, qui rapporte la scène, ajoute : « Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » (Lc 22, 19b). Comment comprendre ce « Faites cela en mémoire de moi. » Qu’est-ce à dire, faire cela en mémoire de Lui ? C’est ce que nous faisons à chaque Eucharistie, me direz-vous… Mais est-ce suffisant ? Est-ce bien cela que Jésus voulait dire, faire comprendre ?

Et si ce « Faites cela en mémoire de moi. » nous emmenait plus loin, nous engageait plus que nous ne l’imaginons ? Jésus n’a pas institué l’Eucharistie que pour nous… il a débordé le cadre de la Pâque juive en offrant la coupe de la Nouvelle Alliance, nouvelle et éternelle… pour nous… ET pour la multitude, en rémission des péchés… Geste absolu de pardon offert, pour les fautes du passé mais aussi pour les fautes présentes, la trahison de Judas, le reniement de Pierre, la fuite des disciples… et surtout à venir, pour nos fautes à nous, pour la multitude incontrôlable. Il s’offre éternellement en versant son Sang, dans la coupe ce soir, sur la croix demain, pour réconcilier définitivement tous les hommes entre eux et avec Dieu.

 « Faites cela en mémoire de moi. » nous engage donc nous aussi sur la voie du pardon et de la réconciliation, de manière définitive. Chaque fois que nous sommes confrontés à un pardon demandé, à donner, à une réconciliation à encourager, à sceller… nous faisons cela en mémoire de lui. Comme il nous a pardonnés, comme Dieu nous a pardonnés, il nous invite à faire de même en mémoire de lui. Alors, cette phrase si difficile du Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi… » devient plus évidente car nous aurons appris du Fils, non seulement les mots de la prière, mais les gestes qui vont avec, indissociables de l’Eucharistie : les pieds lavés, le pain partagé, le pardon offert, la vie donnée.

Oui, frères et sœurs, ces paroles qui accompagnent ces gestes ce soir nous engagent. Bien sûr, nous essayons d’en vivre, mais nous devons chercher aussi à en être digne, comme le dit saint Paul immédiatement à la suite de la 2e lecture : « Et celui qui aura mangé le pain ou bu la coupe du Seigneur d’une manière indigne devra répondre du corps et du sang du Seigneur. On doit donc s’examiner soi-même avant de manger de ce pain et de boire à cette coupe. Celui qui mange et qui boit mange et boit son propre jugement s’il ne discerne pas le corps du Seigneur. (1 Co 11, 27-29). Discerner, pas seulement dogmatiquement ou mystagogiquement, mais concrètement. Discerner dans le Corps du Seigneur tout ce que Jésus a voulu faire passer et nous faire comprendre en nous laissant aussi en héritage ses propres mots : « Faites ceci en mémoire de moi… » et « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » pour que nous ne cessions jamais de prolonger, continuer et réaliser son œuvre, son don.

 « Comment donner toute sa dimension au mystère de l’Eucharistie que nous célébrons ce soir, en commémorant son institution ? » demandais-je pour commencer ? La réponse est donc entre nos mains, frères et sœurs. Chacune, chacun, ce soir, doit se demander, dans le prolongement de cette Eucharistie célébrée, de cette communion reçue : « Qu’est-ce que je peux faire, là où je suis, dans ma situation, pour réaliser ce que le Seigneur me demande quand il me redit ce soir : « Fais ceci en mémoire de moi… » et « C’est un exemple que je t’ai donné afin que tu fasses, toi aussi, comme j’ai fait pour toi. »

Illustration du frère Yves, de l'Abbaye Sainte-Marie de la Pierre-qui-Vire pour le tableau du Rosaire au Mont Sainte-Odile

Commentaires

×

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner un nom valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner une adresse email valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Google Captcha Is Required!

Vous avez atteint la limite de commentaires !

* Ces champs sont requis.

Soyez le premier à commenter