La lumière de la connaissance
Is 9,1-6 / Ps 95 / Tt 2,11-14 / Lc 2,1-14
«Je me souviens de la photo d'une femme qui regardait l'enfant qui venait de sortir d'elle. Ce regard –Dieu tout puissant!–, ce regard était plus fort que toutes les galaxies, toutes les fureurs astrales, tout le fracas du monde et la gesticulation des pouvoirs. Le Dieu d'amour commence en ce commencement.» Ces mots, signés de la main bienheureuse de Maurice Bellet, nous conduisent à ce seuil infranchissable du mystère de Noël.
Ce Dieu-là ne vient pas à nous comme un extra-terrestre. Il se donne au plus intime de ce que nous sommes. Il vient toucher en nous ce qu'il y a de plus vrai: il s'offre pour toujours, à tous ceux qui se sont dépouillés des faux-semblants et qui viennent s'incliner là, au bord de cette crèche, au bord de cette brèche où l'infini commence. Sans cette Parole incarnée, qui brille au plus secret de notre pauvreté, nous serions livrés à la nuit et au froid: ténèbres de l'entendement, obscurité glaciale du sentiment.
En cette fête de Noël, quelque chose nous est dit, mais sur le mode du murmure. Il faut se pencher et savoir écouter, ou lire sur les lèvres de l'ineffable. C'est la Parole de Dieu qui nous est donnée, qui est semée profondément en notre terre meuble: oui, le Verbe s'est incarné. Il n'est plus une déclamation lointaine et hautaine, dont l'écho se perdrait dans les immensités, mais une parole qui nous est adressée, qui nous touche comme jamais jusque-là nous n'avions été touchés.
«Sur les habitants du pays de l'ombre, une lumière a resplendi» (Is 9,1). Ça commence comme un conte de Tolkien. «Les habitants du pays de l'ombre», c'est nous! Avons-nous bien pris la mesure de ce que cela signifie, de ces ténèbres diluviennes qui seraient les nôtres, sans cette lueur qui point, non plus aux horizons lointains, mais à la porte de nos maisons, de notre cœur, de notre demeure intérieure. C'est là que le prodige se produit.
Jésus vient nous tirer de cette nuit qui était celle de l'ignorance, lorsqu'encore nous ne savions rien. Mais ce Verbe fait chair nous est donné, ici et maintenant, comme une nourriture, afin de l'intégrer au plus intime de ce que nous sommes: première eucharistie. Ne serait-ce pas pour cela que cet enfant nous est montré dans une mangeoire. Comme dans l'Apocalypse, ce livre tendu par l'ange à saint Jean, qui lui demande de le manger (cf. Ap 10,9).
Aurore de l'entendement... Et n'est-il pas jusqu'à cet arbre de Noël qui, bien que d'origine païenne, nous rappelle lui aussi l'arbre de la connaissance, dont les fruits brillants ne sont plus ceux qui nous feront expulser du paradis, mais ceux qui nous en ouvriront tout grand la porte lumineuse. Alors, «les arbres eux-mêmes danseront de joie» (Ps 95,12), selon le psaume qui vient d'être chanté. Les lumières de Noël illuminent le monde entier et la nature elle-même en tressaille d'allégresse. Et la création, si proche de son Créateur, peut nous enseigner cette vive joie à laquelle, bien souvent, nous nous sommes rendus étrangers. «J'ai appris plus de choses dans les forêts que dans les livres –affirme saint Bernard de Clairvaux–. Les arbres et les pierres sont capables de nous enseigner ce que même les plus grands maîtres ignorent.»
Oui, tous les règnes de la nature nous précèdent au chevet de Jésus: la pierre de la grotte, la paille où l'enfant est tendrement couché, le bœuf et l'âne qui semblent eux-mêmes être gagnés par l'étonnement, Joseph et Marie qui incarnent à cette heure le ravissement de toute l'humanité. Et puis, bien sûr, les anges, au comble du ravissement.
Les anges sont remplis de cette connaissance qui, à peine, nous advient. Ils sont là, escortant cette Nativité. Et le texte nous dit qu'ils exultent de joie. Cette jubilation, qui est celle du paradis, vient, selon saint Thomas, de la parfaite connaissance: savoir ce que nous sommes, connaître la place qui nous revient dans le plan divin, savoir ce que nous sommes appelés à devenir, sitôt que l'amour de Dieu nous saisit et nous tire du néant où nous nous débattions. Noël est une connaissance; mais c'est la connaissance de l'amour.
Là, cette connaissance cesse d'être inaccessible, trop haut placée pour notre petitesse: elle devient parole à nous dirigée, toute simple, inscrite dans nos vies, à notre portée: nous pouvons désormais nous en nourrir et nous en délecter.
Noël... Est-ce une coïncidence si –au mépris de toute étymologie– ce mot semble si proche de celui de “noèse”: noêsis, en grec, qui signifie justement “intelligence”. N'est-ce pas là ce qui nous est demandé, en fin de compte? Éveiller notre intelligence: celle qui consiste à “lire à l'intérieur” –intellegere–, à déchiffrer les signes des temps qui brillent au fond de notre nuit et nous indiquent le chemin d'une aube sur le monde. En effet, Noël est la fête des lumières, mais ce ne sont pas celles que les philosophes de la raison, dans un élan prométhéen, avaient cru arracher au ciel. C'est d'une autre intelligence qu'il s'agit là.
Saint Paul nous invite à «vivre dans le temps présent de manière raisonnable» (Tt 2,5). Encore une invitation à l'intelligence du mystère. Savoir faire usage de cette faculté qui, dès lors, cessera d'être une préhension pour devenir une harmonie: l'art d'accorder mon chant à celui de l'univers; et, au-delà de l'univers, à celui de ces anges qui s'ébaudissent comme des enfants. En les contemplant, «la gloire du Seigneur les enveloppa», nous est-il dit au sujet des bergers (Lc 2,9). Cela signifie qu'elle illumina leur intelligence, leur permettant d'aller au-delà de cette raison confinée qui rêve de tout expliquer, de tout enfermer dans ses catégories. Alors qu'ici, la lumière de la connaissance fait tout éclater.
Et cette connaissance, au vrai sens du terme (“co-naître”, c'est “naître avec”), cette “co-naissance” nous invite à voir le jour avec Jésus, à naître nous aussi, au plus secret de nous-mêmes. Afin que la promesse, en nous, s'incarne et que nous puissions être, dans la vie de ceux que nous croisons, cette joie de Noël capable de déchirer le voile de la nuit. Disciples du véritable enseignement: celui qui ne veut rien imposer à l'autre qui lui soit étranger, mais qui lui donne le moyen d'éveiller ce qui sommeille en lui, ce qui est en germe au fond de son être étonné. Et ce que nous portons en nous, dès le commencement, c'est l'image de Dieu selon laquelle nous avons été créés. Cette image qui nous est dévoilée, dans la nuit de Noël. «Un signe vous sera donné: vous trouverez l'enfant emmailloté, couché dans une mangeoire» (Lc 2,12). Cet enfant est donc un signe: un signe vivant. Et ce qui est visible renvoie à quelque chose d'invisible: l'infini dans l'infime, la totalité dans une minuscule parcelle de l'univers.
«L'amour –écrit encore Maurice Bellet– apparaît comme une fragile lueur: la flamme d'une bougie dans un océan de nuit. Une aventure infime, sur l'infime planète bleue, perdue dans un petit canton de l'univers.» Bien petite, en effet, cette lueur qui passe inaperçue. Mais ici l'amour inverse la perspective et, en cette nuit à nulle autre pareille, c'est l'univers lui-même qui se fait menu et c'est l'amour qui est soudain immense. L'amour n'est rien d'autre que cette émergence de l'au-delà qui luit, soudain, au cœur du monde. Sans lui, tout n'est que nuit et froid. La vérité qui nous est donnée se trouve là, dans cette vie cachée, protégée par un homme et une femme qui l'entourent de toute leur tendresse, la préservent du froid, des multiples dangers, pour mieux l'offrir au monde, à commencer par ces bergers qui, bien qu'ignorants, voient leur intelligence soudain illuminée.
Tant que l'amour n'était pas venu au monde, nous nous trouvions dans le pays de l'ombre, en prise à toutes les dérives, à tous les vertiges de l'existence. Mais là, au cœur de notre propre nuit, soudain tout est possible: c'est le monde qui recommence. Et nous nous retrouvons en pleine Genèse: «Alors, Dieu dit que la lumière soit et la lumière fut» (Gn 1,3).
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