La Toussaint

Où donc se cachent les saints ?

Un saint ! Au-delà des auréoles, des vitraux, des statues, des spectacles de canonisation.

Un saint ! Celui qui ne fait pas courir les foules après sa mort.

Un saint ! Celui dont on sourit, tant il est inoffensif, ingénu, crédule, bonasse à force d’être bon.

Un saint ! Comme on disait autrefois : un « saint homme », une « sainte femme ». Voire même, un « saint prêtre ».

Un saint. En connaissez-vous un seul ? Pas forcément celui qui figure sur les prospectus d’une agence de voyages qui vous emmène en jet ou en car sur ses pas.

Mais un « saint de chez nous », de « chez vous » qui, à notre insu, a croisé ou partagé nos vies.

A quels critères le reconnaîtrons-nous ?

Pour répondre à cette question, je me laisse guider par un philosophe chrétien, vieux de plus de trois siècles. Plus proche de nous, Georges Bernanos a fait sienne une de ses « Pensée ». Car c’est bien de Blaise Pascal qu’il s’agit. Il a permis à Bernanos de brosser le portrait de deux saints : l’un bien réel, celui de saint Dominique ; l’autre romanesque, celui d’un curé de campagne dont l’écrivain a composé le Journal.

Mais venons-en à Pascal lui-même.

Selon ce « penseur », les humains se répartissent en trois ordres différents, au sein desquels non seulement ils évoluent, mais risquent de s’enfermer sans autre perspective.

Le premier ordre nous est devenu très familier en ce temps de pandémie. C’est celui du corps que nous voulons préserver à tout prix. Du corps aussi dont nous désirons explorer et exploiter toutes les virtualités et performances, qu’elles soient sportives, sensuelles, sexuelles, gustatives esthétiques et j’en passe. Du corps enfin dont nous aimerions qu’il ne souffre pas, ne vieillisse pas et, – pourquoi pas ? – ne meure pas.

Au-delà de cet ordre premier, il y a celui de l’esprit ou de la pensée. Immatériel par définition. Ce domaine héberge les prix Nobel, les législateurs, les académiciens, les savants religieux, politiques ou scientifiques. Bref, les intellectuels qui jettent un regard intéressé mais souvent navré et méprisant vers ceux qui pataugent dans le marais corporel. Leur présence est assurément nécessaire pour faire progresser l’humanité ou en corriger le cours. Même si certains d’entre eux enfermés dans leur suffisance et leurs bureaux capitonnés estiment que la plèbe est incapable d’accéder au paradis de la pensée abstraite.

Enfin, il y a l’ordre ou l’état de sainteté ou de charité. Il traverse et bouleverse les deux premiers, introduit une hiérarchie de valeurs « folles » dans des circuits huilés et contrôlés par l’opinion ou la raison raisonnante. Les Béatitudes en sont l’exemple le plus frappant. Elles exaltent et promeuvent tout ce dont le monde du corps ou de l’esprit se détourne et condamne. Comme s’il y avait du bonheur à avoir faim et soif. Comme si la douceur nous rendait aptes à posséder et à dominer. Comme si le combat pour la paix n’exigeait pas les astuces de la diplomatie et parfois le commerce et l’usage des armes conventionnelles ou de destruction massive. Comme si on pouvait éprouver de la joie sous la torture pout avoir pris la défense des victimes de l’injustice.

Le saint, au nom de la charité, sème le désordre dans l’ordre établi, dans le politiquement correct. Il s’infiltre dans nos systèmes comme un intrus et finit par nous faire douter du bon droit du corps et de l’esprit. Le saint est le grain de sable qui enraye nos plus belles machines à fabriquer le bonheur et les oriente dans une toute autre direction.

Il y a des gens parmi nous qui incarnent cette sainteté. Cela peut même nous arriver quand au nom de la charité nous prenons des décisions qui surprennent notre entourage. Quand nous disons « oui », alors que presque tous les autres disent « non ». Ou alors, quand nous exprimons notre opposition à l’assentiment général.

ll y a quelque chose de fou chez le saint, comme chez le ravi de la crèche de Pagnol qui reste ébahi en bordure des chemins où s’affairent les lavandières, les meuniers, les gendarmes, les mauvais bougres, les arlésiennes et leurs amants… Bref, tout ce monde dans lequel nous baignons.

Des fous, comme Benoît Labre, Maximilien Kolbe, Charles de Foucauld. Comme saint Paul lui-même qui ne se gênait pas de s’avouer lui-même « fou en Christ », alors que les Corinthiens se prenaient pour des sages.

Des saints comme des fous ! On les enferme à moins qu’on ne les fusille. Des saints qui ne courent pas les rues et n’emplissent pas les églises. Quelques uns, ici et là, semés comme des grains de sel sur nos chemins, suffisent pour donner goût et saveur à notre pauvre terre. Victimes innocentes mais bienfaisantes pour le salut de leurs frères et même pour le salut du monde.

Leur modèle ? Celui qui par amour accepta un jour de mourir pour nous sur une croix. « Victime dérisoire », comme nous aimons le chanter. Lui, « le seul saint » et, paradoxalement, « le seul Seigneur ».

— Méditation du frère Guy Musy

Le frère Guy propose un autre regard sur la Toussaint dans cette nouvelle vidéo de sa chaîne YouTube :

Fra Angelico, Les Précurseurs du Christ avec des saints et des martyrs, années 1420. Wikipédia.

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