Le déluge et le baptême

Homélie du fr. Pierre de Marolles pour ce premier dimanche de Carême

Quelle drôle d’idée de dire que le déluge est une figure, un symbole du baptême !

Le déluge nous fait plutôt penser à toutes ces catastrophes naturelles qui détruisent tant de choses et ôtent la vie à tant de monde !

Notre question face à ces désastres n’est pas « est-ce que cela pourrait être une image du baptême ? » mais plutôt « comment un Dieu d’amour peut laisser faire cela ?! »

Mais visiblement un ancien comme St Pierre, ne voit pas les choses ainsi.

Il faut avant tout se représenter le monde comme le fait un homme de la Bible. En effet, le psaume 103/104 dit de Dieu qu’il retient l'eau des mers, il leur impose « la limite à ne pas franchir : qu'elles ne reviennent jamais détruire la terre » (Ps 103/104, 9). L’idée, c’est que Dieu maintient en permanence le monde contre les forces du chaos qui veulent le détruire. Dieu écarte les eaux du dessus des eaux du dessous pour créer un espace où l’homme puisse vivre.

Vous me direz cela n’excuse pas le fait qu’il relâche de temps en temps son bras ! Oui, mais vous oubliez un détail que le livre de la Genèse n’oublie pas de rappeler : avant le déluge, Dieu vit horrifié « que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre, et que toutes les pensées de son cœur se portaient uniquement vers le mal à longueur de journée » (Gn 6, 5).

C’est ce que j’appelle le « dilemme de Dieu » : s’il maintient le monde tel que nous le connaissons, il permet aux hommes de se faire du mal les uns aux autres ; mais s’il met fin à ce monde et à sa violence, pour en commencer un autre meilleur, il nous perd nous ses enfants

Du coup, même si nous comprenons mieux, nous sommes tout de même un peu choqués par la radicalité de la solution. C’est là, qu’il faut nous souvenir d’un troisième élément que la crise que nous traversons nous rappelle malheureusement manière cruelle : ne rien faire et attendre est souvent la pire solution. Il vaut mieux être radical dans nos décisions que de laisser une situation s’envenimer.

Cette radicalité, elle était très présente dans la vie des premiers chrétiens : si vous allez lire le reste de la 1ère lettre de Pierre, vous verrez qu’il y est plusieurs fois questions de souffrir la persécution. Être chrétien à l’époque c’est une décision assez radicale. Il fallait souvent couper les ponts avec les pratiques de la société païenne, endurer l’hostilité souvent dans sa famille même, être privé de tout et parfois mis à mort.

La vie de Jésus lui-même est marquée par cette radicalité. Sur la croix, il prend sur lui le mal et la mort. Et là aussi, on est choqué de le voir passer par là. On rêverait volontiers de solutions plus paisibles, plus douces, moins radicales.

Même ses 40 jours au désert, qui reprennent les 40 ans du peuple au désert, sont un signe de radicalité. Pour combattre le mal à la racine, il se dépouille de tout, affronte les tentations et en sort vainqueur mais non sans avoir lutter !

Alors quoi ! Notre Dieu aimerait-il combattre le mal en faisant le vide, en passant par la souffrance et la mort ?

Non bien sûr ! Il fait table rase, mais ce n’est pas pour nous laisser dans un monde sec et vide. Lui, le créateur des mondes, qui remplit l’univers de vie, est aussi étranger au vide et à la mort que la lumière l’est aux ténèbres.

Mais il ne craint pas le mal et utilise contre lui son propre pouvoir de destruction.

Notez cependant que s’il ne craint pas d’utiliser des solutions radicales, ce n’est jamais pour laisser le vide et la mort triompher !

Jésus ne fut pas conduit dans la solitude du désert pour y rester seul, mais pour y trouver l’intimité avec Dieu, son Père, et par Lui avec les anges et les bêtes sauvages. Il se préparait ainsi à sa vie publique entouré de ses disciples et de la foule ! S’il nous a sauver ce n’est pas à cause de sa souffrance et de sa mort, mais « par » sa souffrance et sa mort « à cause » se son amour qui n’a pas craint de souffrir et de mourir.

Les premiers chrétiens eux non plus ne souffraient pas la persécution par masochisme, mais ils portaient témoignage de leur espérance. Une espérance plus forte que la mort. Et le monde a entendu leur message !

Enfin l’arche de Noé dit quelque chose d’intéressant : si Dieu met fin à l’ancien monde et à sa cruauté pour en faire surgir un nouveau, ce n’est pas en le recréant à partir de rien. Dieu n’est pas reparti de zéro en renonçant complètement à ce qu’il avait fait. Créer l’homme et le monde n’avait pas été pas une erreur ! Noé et l’arche sont arraché à l’ancien monde pour être la semence d’un monde nouveau !

Vu de cette manière, le déluge ne représente pas d’abord une image de destruction, mais elle est surtout la figure d’une recréation, d’un sauvetage. C’est en cela qu’il est l’image du baptême. Le baptême nous plonge dans les eaux de la mort, faisant mourir en nous ce qui est mauvais, mais pour nous en faire sortir laver de tout mal, vivant d’une vie nouvelle.

L’Arc-en-ciel n’est pas un signe d’un cessez-le-feu entre Dieu et le monde. C’est le signe que même s’il est marqué par le mal, le monde reste bon qu’il y aura toujours en lui quelque chose que Dieu veut et peut sauver. Comme ces lumières chatoyantes nous rappellent au milieu d’un jour pluvieux que la lumière aura le dernier mot et que la lumière est peut-être même plus belle si elle doit se frayer un chemin entre les gouttes de pluie !

Finalement, c’est quelque chose de cette logique qui est en jeu dans notre marche de carême. Dieu nous invite à une certaine radicalité dans le jeûne, l’aumône et la prière. Il faut certes faire un peu de vide, désencombrer nos vies. Mais pas faire le vide pour le vide. Il faut choisir tout ce qui dans nos vies est vraiment beau, vraiment important, pour en faire la semence d’une vie nouvelle. Alors quand les grandes eaux de Pâques passeront sur nous, Dieu saura faire de nous une création nouvelle !

Noah rendant grâce après le déluge, John Martin, vers 1840 (The Art Institute of Chicago, A. A. McKay Fund, Licence Creative Commons Zero (CC0))

Commentaires

×

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner un nom valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner une adresse email valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Google Captcha Is Required!

Vous avez atteint la limite de commentaires !

* Ces champs sont requis.

Soyez le premier à commenter