Le pied dans la porte

Homélie du frère Philippe Jeannin pour le 32ème dimanche du Temps Ordinaire

Pas vraiment charitables, ces vierges prévoyantes qu’autrefois on disait « sages » ! Un peu comme la fourmi de La Fontaine : « La fourmi n’est pas prêteuse, c’est là son moindre défaut… » Et pas vraiment sympa, le marié, qui claque la porte au nez des vierges insouciantes qu’autrefois on disait « folles ». On attendait vraiment autre chose comme happy end ! Quelque chose de plus… évangélique, non ??

Ces jeunes filles prévoyantes qui ne veulent pas partager… Ont-elles oublié la recommandation de l’époux : « Qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera » (Mt 16, 25). À vouloir préserver leur réserve d’huile, ne risquent-elle pas d’y perdre ? Apparemment non puisqu’elles sont admises dans la salle de noces ? Jésus enseignerait-il donc l’égoïsme après la générosité et le partage ?

Et l’époux ? A-t-il déjà oublié la générosité du maître qui rétribue l’ouvrier de la 11e heure comme celui qui a trimé toute la journée ? « Mon ami, je ne suis pas injuste… Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? » (Mt 20, 13-15). Alors pourquoi l’époux, ici, ne réserve-t-il pas le même sort à toutes ces femmes ? Le Fils de Dieu qui « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 45) ferait-il exception entre les jeunes femmes insouciantes et les prévoyantes ?

Et peut-on blâmer ces insouciantes lorsque Jésus lui-même nous enseigne : « Ne vous souciez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni, pour votre corps, de quoi vous le vêtirez… Ne vous faites donc pas tant de souci… Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine » (Mt 6, 25-26. 31-34).

Vous le comprenez, frères et sœurs, ce n’est donc pas entre la prévoyance et l’insouciance qu’il faut chercher la clef de cette parabole… mais orienter ailleurs notre regard pour en saisir le sens.

Il y a la mention du milieu de la nuit… l’époux qui tarde et le sommeil qui gagne les jeunes filles… et la conclusion : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. » Il est vrai que les premières générations de chrétiens attendaient le retour imminent du Christ, comme il l’avait laissé entendreou promis : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? » (Jn 2, 22) - « Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. » (Jn 14, 3). Et comme la venue de Jésus tardait et que la foi et l’espérance s’assoupissaient, cette parabole n’a-t-elle pas été orientée pour raviver l’attention des croyants ? Déjà l’éternelle question du Déjà-là et du Pas encore lorsqu’il s’agit de parler du Royaume de Dieu… Voilà pour le contexte…

Il y a, au cœur du texte, ce cri : « Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre ! » Et si c’était l’invitation qui nous était adressée tout particulièrement en ce temps de confinement où nous sommes invités à rester chez nous et à ne pas sortir ? Au contraire… sortir à la rencontre du Seigneur. Sortir de nos craintes, de nos angoisses, de notre inquiétude, à la rencontre de Celui qui nous dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne MA Paix ! » (Jn 14, 27). Sortir comme le pape François y invite l’Église : l’Église en sortie… et non en repli… L’Esprit de Pentecôte n’a-t-il pas fait sortir les apôtres timorés reclus au Cénacle ? Alors, sortons à la rencontre du Seigneur qui vient à nous dans la prière, dans la méditation de sa Parole, même si on est privé de messe ! Et aussi dans les téléphones à nous adresser les uns aux autres pour ne pas rester isolés… 

Il y a aussi cette allusion à l’huile des lampes… Et la lampe, c’est fait pour éclairer… 

À ce titre, dans la bible, l’huile est souvent le signe de la sagesse - thème de la première lecture - : la lampe qui éclaire le jugement, la conduite à tenir… Ici, elle sert à rallumer les lampes pour accompagner l’époux dans la salle des noces du Royaume.

Et si ce n’était pas les lampes mais la conduite de ces femmes qui leur permettait d’entrer dans la salle de noces ? Ces lampes désigneraient alors leurs qualités, les vertus, les attitudes pour entrer dans le Royaume : la foi, la confiance, l’espérance, la charité, la persévérance…

Et l’on comprend soudain que si ces jeunes femmes ne partagent pas l’huile, ce n’est pas par égoïsme, mais parce qu’elles ne le peuvent pas… On peut toujours partager l’huile d’une lampe mais on ne peut pas partager sa foi, son espérance, sa charité ? On s’est tous heurté à des proches qui nous ont dit un jour : « Je ne sais pas comment tu fais, mais moi, je n’arrive pas à croire… » et l’on ne parvenait pas à leur partager, à leur communiquer un peu de ce qui fait notre foi… Tout au plus, on a pu en témoigner… pour donner envie… mais on ne peut pas donner de sa foi… La foi est une aventure personnelle, incommunicable par certains côtés. Et quand on dit « partager sa foi », c’est souvent entre gens convaincus, déjà sur la même longueur d’onde, rarement avec qui ne l’a pas.

Si ces lampes de la parabole sont ce qui anime les disciples du Christ, alors on comprend pourquoi, au début de sa prédication, Jésus a insisté : « Vous êtes la lumière du monde… Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux » (Mt 5, 14-16). Et Jésus prononce ces mots juste après le discours des Béatitudes.

Oui, ceux à qui appartient le Royaume recherché, les premiers invités à la salle des noces du Royaume de la parabole, ce sont les pauvres de cœur, les doux, les affamés et assoiffés de justice, les miséricordieux, les cœurs purs, les artisans de paix, les persécutés et insultés pour le Christ… Vous êtes la lumière du monde… Jésus nous invite à leur ressembler, à être des gens lumineux, des gens éclairés qui portent leur lampe et apportent la lumière dans les zones enténébrées de notre monde, dans les cœurs, dans la vie de nos contemporains. « Que votre lumière brille devant les hommes… » jour et nuit, en tout temps, en toutes circonstances, à temps et à contretemps, pour reprendre saint Paul… et, avec vos lampes allumées, telles ces jeunes filles, vous entrerez dans la salle des noces…

Mais les autres, me direz-vous… ceux qui, comme les insouciantes de la parabole sont refoulées… Seront-ils ignorés, rejetés… ? « Entendant ces paroles, les disciples furent profondément déconcertés, et ils disaient : « Qui donc peut être sauvé ? »  Jésus posa sur eux son regard et dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible. » (Mt 19, 25-26). Pour celles-ci, comme pour ceux-là, frères et sœurs, je suggère que celles et ceux d’entre nous qui passeront dans la salle de noces laissent un pied dans la porte… pour la garder entr’ouverte et le rai de leur lumière indiquera le chemin pour les rejoindre…

fr. Philippe Jeannin

(Photo : Philippe Jeannin, Musée de l’œuvre Notre-Dame, Strasbourg)

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