Les Rogations

Pour qui et pourquoi prions-nous ?

Avez-vous entendu parler de saint Mamert ? Fêté le 13 mai, Il ouvre la marche des « saints de glace ». Evêque de Vienne, aujourd’hui petite ville du département de l’Isère, dans la Gaule romaine du Vème siècle qui s’éveillait à la foi chrétienne. Selon de bonnes sources, on lui doit l’institution d’une procession dont on ne parle guère de nos jours: Les Rogations. Du verbe latin « rogare » qui signifie demander ou prier avec insistance. En fait, trois défiés champêtres, entre prairies verdoyantes et blés en herbe, qui valaient aux écoliers du bon vieux temps trois matinées de congé. Précisément, les trois jours qui précédaient le jeudi de l’Ascension.

Chaque année, le retour de ces dates réveille en moi le souvenir de ces dévotions bucoliques, égayées par le chant des oiseaux, les pissenlits et la litanie des saints. Entre chantres au graduel et paroissiennes au chapelet, cheminait cahin-caha le curé du village, reliquaire pendu à son cou. Parvenue à une croix de pierre fleurie de buis, d’églantines et enlacée de lierre grimpant, la procession reprenait souffle. Le prêtre s’épongeait et, avant de donner le signal du départ vers la prochaine étape, il aspergeait généreusement d‘eau bénite les prés et les bosquets voisins.

« O tempora o mores ! », « Quelle époque ! Quelles mœurs ! ». Il me semble vous entendre, amusés ou indignés ! Alors, pourquoi cette procession ?

Le brave Mamert n’était pas un écolo précoce. Il prescrivit cette pieuse ballade comme une démarche pénitentielle pour supplier (rogare) le Ciel de mettre fin à un fléau dont on ignore encore la nature. Etait-ce la peste, la famine ou la guerre, comme le suggère une invocation de la litanie des saints : «A peste, fame et bello, libera nos Domine ! » ?

Les temps redevenus cléments, on se contenta dans les siècles suivants de processionner « pour les biens de la terre ». Autrement dit, pour le rythme harmonieux de la pluie, du soleil et des vents.

Périmée notre procession ? Je ne le crois pas. Outre le fait qu’elle renaît dans certaines communautés rurales inquiètes des changements climatiques et désireuses de confesser un credo plus écologique que trinitaire, des croyants de toute religion sont tentés  aujourd’hui face à la pandémie que nous craignons de reprendre la vieille antienne chantée autrefois au départ de la procession : « Réveille-toi Seigneur ! Aide-nous et sauve-nous ! ». Un appel déchirant, soutenu par le concours de tous les saints, réquisitionnés eux aussi à notre secours.

Quel sens donner à cette prière ? Je ne crois pas un seul instant que  Dieu nous envoie ce virus maléfique en guise de châtiment. Je pourrais à la rigueur le prier de m’en préserver, mais ce serait encore supposer que Dieu puisse permettre ce mal ou m’en épargner. Selon son bon vouloir dont les raisons profondes m’échappent. Penser ainsi, me semble-t-il, c’est déshonorer l’infinie bonté. Jamais, un vrai père procéderait ainsi avec ses enfants.

Je crois plutôt que Dieu nous accompagne dans cette épreuve et que son Esprit assiste ceux qui luttent pour nous en faire sortir. Il nous suggère mille et mille interventions en faveur de ceux et celles que cette pandémie a pris au piège ou enserre dans ses tentacules. Je pense en particulier à toutes ces files de femmes qui ces jours font la queue au centre de nos villes pour mendier quelques victuailles.

Si les Rogations visent à supplier l’Esprit de venir libérer mes énergies assoupies et me faire sortir de la prison où m’enferme mon égoïsme, je suis prêt à processionner longtemps et même très loin. De préférence, en bonne compagnie. Puisque les saints sont mes amis.

fr. Guy Musy

Croix de mission ou de rogations au bord du chemin qui mène à la Beynichie (photo : Mterrain, Wikimedia Commons)

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