Mi-Carême !

Alors que nous avions peut-être du mal à entrer dans le temps du carême, voici qu’il s’impose à nous, sans discussion, sans tergiverser.

Mercredi des cendres, nous étions invités à nous réfugier dans la pièce la plus retirée, à fermer la porte et prier notre Père présent dans le secret ; à jeûner et faire l’aumône loin du regard des autres… Ce temps bizarre de réclusion, de confinement, d’évitement nous y contraint.

Prier : des neuvaines par internet se multiplient en lieu et place des processions d’autrefois pour éloigner le mal, les fléaux et les épidémies, aujourd’hui interdites ;

Jeûner : la folie dévastatrice des rayons de supermarché nous obligera à puiser dans nos réserves et à les gérer avec prudence le temps nécessaire ;

Faire l’aumône : de nouvelles solidarités et gestes de partage s’imposent ; attention accrue et prudente aux voisins qui ne peuvent pas se débrouiller seuls ; échanges téléphoniques avec ceux qu’on ne peut plus visiter pour l’instant dans les divers Établissements de santé ; du lien se retisse…

Nous sommes comme menés au désert pour nous recentrer sur l’essentiel : l’urgent ne l’est plus vraiment : ce rendez-vous indispensable, ce film à ne pas manquer, ce dîner prévu de longue date, ce week-end à l’autre bout du pays… tout peut attendre, perd de son importance, le nécessaire est devenu relatif… On n’a pas le choix, obligés à reconsidérer les priorités…

Un cadeau aussi : tout ce temps qui nous manquait pour ce que nous n’arrivions pas à faire nous est enfin offert ! Ces vacances qui tardaient nous sont imposées… Lire, ranger, se reposer, prendre du temps pour soi, pour ses enfants… nous y voilà contraints. La famille se réinvente, les relations se renouent…

Une mamy de 90 ans vient d’écrire à ses petits-enfants : « Votre Mamy a connu la guerre avec privation de liberté de sortir. Vous n'avez jamais connu de telles situations jusqu'à aujourd'hui mais il faut vous préparer à rester enfermés pendant plusieurs jours. – Et après leur avoir rappelé quelques consignes, elle termine par… – Voilà ce que chacun doit faire pour venir à bout de l'ennemi comme pendant la guerre, les actes de résistance. Comme pendant la guerre, une neuvaine de prières commencera le 17 mars jusqu'au 25 mars. Mais, comme dans toute épreuve, nous en sortirons grandis et mieux armés pour l'avenir. Comme on appréciera la liberté quand tout sera fini ! »

Dans un mail plus personnel, elle ajoute : « À vous, je peux le dire... Pour moi, le Coronavirus est une preuve de l’Amour de Dieu... Nous allions dans le mur, avec notre individualisme, notre soif de l'argent qui avait délocalisé pour faire travailler au moindre prix... même des enfants... Dans le mur avec la destruction de la planète... Le printemps qui arrive... le beau temps, le soleil... nous invitent à la vie alors que nous luttons tous ensemble contre la mort... »

En première ligne de lutte contre la mort : tous ces personnels de santé, dévoués et exposés ; les personnes infectées et leurs proches dans l’inquiétude ou l’angoisse ; les familles éprouvées par un décès pour lequel les funérailles sont strictement limités au premier cercle… tenu à distance… : c’est à eux que nous pensons et pour qui nous prions !

Ce temps de carême – imposé à tous – peut être l’occasion de réfléchir à ce monde fou dans lequel nous sommes précipités, de réagir et de retrouver quelques valeurs essentielles pour remettre l’homme au centre.

On ne pourra pas célébrer Pâques comme chaque année, LA fête chrétienne fondatrice de notre espérance, mais c’est bien une Résurrection de l’homme aujourd’hui que nous sommes appelés à vivre pleinement avec tous et non pas seulement à célébrer entre croyants.

Et puisqu’on ne peut plus se serrer la main, voici venu le temps de se serrer les coudes !

Frère Philippe Jeannin
Prieur