Pour la fête du bienheureux Henri Suso
Parmi les représentants de la mystique rhénane médiévale, les dominicains Maître Eckhart, Henri Suso et Jean Tauler, c’est seulement Suso qui a eu l’honneur d’être béatifié – très tard, en 1831 par le pape Grégoire XVI.
Suso, né vers 1295 à Constance, est d’une famille d’origine Thurgovienne. Son nom de famille était von Berg mais il a voulu porter le nom de sa mère Súse ou Seuse. « Seuse » n’a rien à voir avec le mot allemand « süss ». Ce malentendu a provoqué que Suso fut souvent considéré comme le plus tendre, le plus doux des mystiques rhénans.
Mais il suffit de lire son autobiographie, où il fait état des horribles pratiques de mortification qu’il s’imposé pendant une certaine période de sa vie.
Il faut se rappeler des suspicions et diffamations qu’il a dû subir jusqu’à l‘exil. Alors on découvre un frère dominicain, dont les inspirations mystiques sont éprouvées à travers beaucoup de souffrances extérieures et intérieures. Son langage de prédicateur et de guide spirituel est riche en images, avec des aphorismes forts, très proches des expériences quotidiennes.
Elève et disciple de Maître Eckhart il a été, comme son maître, accusé d’hérésie, démis de ses fonctions comme lecteur du couvent. Accusé par une femme, dont il s’était occupé, de lui avoir fait un enfant – il fut disculpé, mais il a dû s’éloigner et il a vécu à Ulm en Allemagne jusqu’à sa mort en 1366.
Par ses lettres aux moniales dominicaines en Suisse et en Alsace Suso a déployé une cura animarum impressionnante. Une moniale de Töss près de Winterthur, Elsbeth Stagel, a été sa fille spirituelle. Elle a contribué à la rédaction de la Vita de Suso. Elle a eu aussi une activité littéraire personnelle en écrivant les Vitae des moniales, une source importante d’information sur la vie des moniales dominicaines de cette époque.
Par ses écrits – le Livre qui se nomme Suso (son autobiographie), le Livre de la Sagesse éternelle, le Petit livre de la Vérité – Suso a influencé les courants mystiques de la spiritualité européenne jusque dans la modernité en passant par les mystiques flamands comme Ruysbroeck, par la Devotio moderna, Thomas a Kempis, Nicolas de Cues, Pierre Canisius, Friedrich Spee et Angelus Silesius (Johann Scheffler).
Dans une de ses lettres il écrit qu’il ne voulait devenir qu’« un joyeux serviteur de la sagesse éternelle » et il continue : « il me semble que je suis son charretier (Kärrner) et que, les vêtements relevés, je patauge avec de gros souliers à travers les flaques et les roseaux pour retirer les hommes des marécages profonds de leur vie coupable vers la terre ferme et sèche ; c’est pourquoi je dois me montrer satisfait quand elle me donne un pain de seigle. » (Lettre VIII, Annunciate dilecto, quia amore langueo)
Suso rappelle toujours qu’il faut passer de la théologie symbolique et la production des images vers une théologie négative accompagnée d’une pratique intérieure de délaissement (Gelassenheit). Le mystique, c’est celui qui s’unit à la vérité de Dieu et la sagesse divine avec amour. Il est détaché des images (entbildet), formé avec le Christ (ingebildet) et transformé (überbildet) dans la conformité à la divinité. D’où le conseil de Suso : « Ne demeure en rien qui n’est pas Dieu » (La vie, 49).
La voie mystique est pour Suso la voie de la recherche de la vérité et de la sagesse. Elle ne passe pas par les exercices extérieures et l’obéissance stricte aux règles. Elle est la suite du Christ. Au centre de la théologie mystique de Suso se trouve l’imitation du Christ souffrant, la recherche de se conformer à l’humanité souffrante du Christ. Dans le Livre de la Sagesse éternelle la Sagesse dit au Serviteur : « Mon humanité est la voie que l’on suit, ma Passion est la porte que l’on doit franchir si l’on veut arriver à ce que tu cherches là » (II). La Passion du Christ « est le trésor de ses pauvres » dit-Suso dans une lettre qui passe pour son testament spirituel. Dans une juste humilité et un renoncement à soi-même il faut, selon Suso, « suivre nus et dépouillés le Christ nu et dépouillé » (Lettre XXVII).
Cette voie passe par l’humble connaissance de soi-même, d’un processus de délaissement et de pauvreté, par un renversement de perspective. Les choses créées qui nous entourent sont relatives. Nous les considérons si facilement comme valables et enviables puisqu’elles semblent contribuer à la réalisation de nos propres désirs. Il s’agit par-contre d’orienter nos désirs et notre capacité d’aimer vers Dieu, qui est la source de toutes les choses. Ceci n’est pas une question de sentiment, mais c’est raisonnable : c’est un retournement ou une conversion qui nous apprend de distinguer entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas. La recherche de Dieu sur la voie mystique est dès lors la recherche de la vérité de notre vie humaine.
C’est la recherche de ce que Suso nomme : l’homme essentiel – wesentlicher Mensch. C’est l’homme qui reconnaît qu’il a – à travers et malgré toutes les souffrances – la source de son existence en Dieu. Il s’en réjouit et il est consolé sous condition qu’il n’oublie pas d’être attentif à la détresse du prochain et de répondre avec miséricorde à son appel quand il a besoin d’aide.
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