Quelle grâce est-ce pour vous !

L'homélie du frère Nicolas-Jean Porret pour le 7ème dimanche de Temps Ordinaire (Lc 6, 27-38)

En ce temps-là, Jésus déclarait à ses disciples :

 Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique. Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas. Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant. Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants. Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. 

(Lc 6, 27-38)

La semaine dernière Jésus accueillait « dans un lieu plat » les foules, et leur annonçait la joie du Royaume : heureux les pauvres, heureux ceux qui ont faim, heureux ceux qui pleurent, heureux les persécutés (Lc 6, 20-23).

Aujourd’hui il s’adresse « à vous qui m’écoutez », autrement dit à ceux qui se sont reconnus dans ces béatitudes, qui veulent bien être disciples à l’école de Jésus, ce maître pauvre qui n’a pas où reposer la tête et qui sera persécuté jusqu’à mourir en croix. Voici une école plus qu’exigeante, mais qui conduit le disciple écoutant à l’intime de la communion du doux maître de Galilée avec son Père, à la source de la bienveillance et de la compassion. Là l’auditeur de Jésus découvrira que, non seulement il est disciple, mais aussi « ami », et encore plus : fils ou fille du Père, dans l’adoption du Fils unique par nature qu’est son maître, ami, et frère aîné, Jésus. D’où cette expression révolutionnaire dans la perception religieuse : « Devenez compatissants comme votre père est compatissant » (Lc 6 36). Votre père, car il vous a donné la vie, la croissance et l’être ; et il vous donnera la filiation adoptive en son unique engendré, Jésus (cf. Ga 4, 4).

Notez que saint Luc ne dit pas « parfait comme votre père… », comme saint Matthieu (Mt 5 48), mais « compatissant », mot unique – hapax – dans tous les évangiles. Cette compassion est complémentaire de la fameuse miséricorde divine quasi maternelle (les « entrailles de miséricorde ») dont il est question dans toute la Bible : la compassion est une posture peut-être plus paternelle, de générosité, bienveillance, accueil, le « cœur qui écoute », signe de l’authentique paternité. Bref, une attitude qui trouve écho chez nos contemporains, que tous nous souhaitons expérimenter.

La liturgie de ce dimanche nous donne pour illustration de cette compassion le comportement de David, le berger fils de Jessé de Bethléem, appelé à devenir un « roi selon le cœur de Dieu » (1 S 13, 14 ; Ac 13, 22), vis-à-vis de son ennemis, le roi Saül. En ne portant pas la main sur l’oint du Seigneur, le roi Saül, David le préserve ; mais David préserve aussi sa propre onction : il ne prend pas le risque de souiller son cœur par un crime qui défigurerait la promesse dont lui-même est revêtu.

De la même manière, en étant compatissant envers mon prochain rempli d’une dignité inaliénable, je cultive ma propre dignité, j’atteste la volonté compatissante de Dieu qui a créé mon prochain et moi-même à son image et ressemblance.

N’est-ce pas la raison pour laquelle Jésus prend si souvent l’image du petit enfant ? L’enfant mérite d’être accueilli pour lui-même. Il est rempli de promesses, en quelque sorte « oint », consacré par la volonté créatrice de Dieu. Reconnaître cette onction, être un cœur bienveillant et paternel pour un enfant, c’est aussi attester l’enfance en soi-même. Car dans le fond nous voulons toujours préserver en nous l’innocence, le besoin d’être aimé, qui fait l’enfance.

La règle d’or énoncée par Jésus : « Comme vous voulez que vous fassent les hommes, faites de même pour eux » (Lc 6, 31), revient à dire : oui j’aime que l’on me rejoigne dans mon besoin d’être reconnu, aimé, accueilli, accompagné… et je veux bien entrer dans cette logique cordiale pour attester ce même besoin fondamental, premier, enfantin, chez mes proches – c’est-à-dire chez ceux dont je saurai me faire proche : mes propres enfants, mon conjoint, mon frère ou ma sœur, de sang ou de communauté, mes collègues. Mais aussi – mais spécialement – chez les pauvres, car ils participent de façon préférentielle à la grâce de l’enfance. Les pauvres, d’une pauvreté qu’ils ne choisissent pas, sont ceux qui ne donneront rien en échange. Ils sont purs réceptacles de la cordialité divine. C’est pourquoi ils sont les premiers à être déclarés bienheureux par Jésus, accueillis dans son Royaume. Quelle gratuité, quelle grâce, ce sera pour nous de les avoir honorés, surtout s’ils ne sont pas faciles ! « À vous qui m’écoutez », dit Jésus, « je vous le dis, aimez vos ennemis, faites-leur du bien »…

Pour David l’ennemi c’était Saül, à qui Dieu avait retiré la royauté ; mais David lui a fait du bien ; il a référé à Dieu-Père le mystère de sa propre élection, il a remis à Dieu le jugement de son ennemi. Sa compassion préfigure la compassion de son descendant, Jésus « fils de David », qui pardonne à ses bourreaux et les délivre de tout jugement : « Père, en tes mains je remets mon esprit » (Lc 23, 46).

Puissions-nous sans cesse attester par notre compassion l’onction de notre baptême, laisser le Seigneur remplir notre sein de la mesure débordante de sa compassion, afin d’être vraiment ses fils et ses filles, innocents de l’innocence même de son Fils !

Jésus enseigne le peuple près de la mer, James Tissot, vers 1890, Brooklyn Museum (Wikipédia)

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