Rendez-vous avec l'histoire

La sortie communautaire annuelle des frères de Genève

Les frères du couvent St-Dominique de Genève ont une tradition bien ancrée de faire une sortie communautaire d'une journée chaque année.



Nous voyageons ensemble hors de la ville pour nous immerger dans une riche culture et nature, tout en échangeant hors de notre cadre quotidien.

Cela peut être une expérience rafraîchissante et revigorante.



L'année dernière, malheureusement, la sortie annuelle a été annulée en raison de la situation incertaine liée au nouveau coronavirus.



Cette année, nous nous sommes rattrapés.


Grâce à l'inspiration du frère Guy Musy, qui a organisé des visites guidées le long de notre parcours, et au frère Zdzisław Szmańda, qui a organisé le côté culinaire de l'excursion, les frères ont passé une journée entière plongés dans différents aspects du riche patrimoine de la vallée de la Broye vaudoise et fribourgeoise.

Après la prière du matin dans notre couvent, les frères prennent place dans deux voitures qui, par Lausanne et Yverdon-les-Bains, rejoignent la petite ville de Payerne, située à environ 20 km de Fribourg.



Sur une petite hauteur près du centre de la ville au milieu d’une grande place pavée est édifiée la dénommée Abbatiale de Payerne, en fait un prieuré clunisien, établi sur l'emplacement de la villa romaine de la famille Paterniacus, construite au 4e siècle.



Cet édifice impressionnant est la plus grande église romane de Suisse.



Avant la Réforme, l'église et le monastère étaient habités par des moines bénédictins directement liés à l'abbaye de Cluny. 

Aux 11e et 12e siècles, les moines ont garni l'espace d'une profusion de fresques.

Parmi celles qui ont été conservées dans le narthex ou l'entrée de l'église monastique figurent le Christ en Croix soutenu par Dieu le père, la Vierge de miséricorde, et le Christ du jugement dernier face aux vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse.


On y trouvait également de précieux manuscrits, dont une importante bible, et des objets sacrés comme une croix de procession aujourd'hui à Fribourg.



Après la Réforme, l’abbatiale et le monastère ont été sécularisés. De nombreux bâtiments, et notamment l'église, sont tombés dans un état de délabrement choquant après avoir été utilisés, entre autres, comme grenier, fonderie de cloches, caserne et prison.



À la fin du XIXe siècle, le professeur zurichois Johann-Rudolph Rahn, « père de l'histoire de l'art suisse », a vanté la valeur culturelle du complexe de Payerne et a plaidé pour une restauration.

Sous son impulsion, quelques réparations pratiques ont été effectuées entre 1920 et les années 60, ainsi que des premières fouilles archéologiques.



Cependant, la véritable restauration a commencé en 2007.



Aujourd'hui, les façades sont stabilisées par des tirants métalliques et les toitures et une partie des voûtes et des peintures intérieures sont mises en valeur.

Après ces travaux d'un coût total de 20 millions de francs, l'abbatiale rouvre au public le 11 juillet 2020 avec un nouveau parcours de découverte.



Les frères ont eu le privilège de visiter ce site exquis avec une guide talentueuse et compétente, Mme Lydie Zimmermann, que le frère Guy avait précédemment rencontrée.

Une note du fr. Guy sur l’abbatiale a été publié sur notre site.



Les frères ont découvert des espaces à la fois séculaires et contemporains.



La restauration a intégré d'importants investissements dans les technologies muséales modernes telles que de grands écrans tactiles, des projections animées en haute définition, des haut-parleurs directionnels, des éclairages spécialisés et même des installations d'art contemporain.



Même si l'on peut regretter que l'espace ne soit plus utilisé régulièrement pour le culte chrétien, à l'exception d'un groupe de prière œcuménique hebdomadaire dont Lydie Zimmermann fait partie, le nouveau musée fait un travail très efficace pour expliquer la vie monastique à un public qui peut l'ignorer complètement.



La vaste nef, bien que dépouillée de toute ornementation statuaire et de fresques, élève encore l'esprit du visiteur.

Les fenêtres à claire-voie supérieures, qui apportent tant de lumière dans l'église, étaient considérées comme une innovation architecturale audacieuse à leur époque.



A la droite de la nef, les frères ont été enchantés de monter un escalier en bois pour découvrir l'ancien dormitorium du monastère, là où les moines reposaient dans une salle commune, tête-bêche sur de simples lits.



Ce dortoir a été restauré avec une installation simulant les lits et une série d'images photographiques illustrant le programme quotidien et nocturne des prières des moines.



Comme ils dormaient juste au-dessus de l'église, il aurait été facile pour les moines de descendre pour prier, même au milieu de la nuit.



Une autre installation informe sur le réfectoire ou la salle à manger, allant même jusqu'à fournir des simulations des plats typiques que les moines auraient mangés pour différents jours de l'année, qu'il s'agisse de jours de fête ou de jours de jeûne.



Aucun des frères n'avait jamais vu un musée qui présentait le monachisme de manière aussi cohérente, le tout in situ sur le flanc d'un véritable monastère millénaire.



Notre visite au prieuré de Payerne a été couronnée par un spectacle acrobatique inattendu.

Des jeunes de la région ont présenté une performance artistique de 15 minutes comprenant des acrobaties et des mouvements de type danse contemporaine, avec une narration décrivant en termes très simples l'évolution de l'église et du monastère.




Après le déjeuner dans un restaurant près de l'abbatiale, les frères ont repris la route vers un autre site culturel peu connu.




À environ 5 km de Payerne se trouve un musée spécialisé construit sur le flanc d'une villa romaine, le Musée romain de Vallon.



Les vestiges de la villa avaient disparu dans le temps jusqu'au moment dans les années 80 où on aménagea le terrain en vue d’une nouvelle construction.



Les ouvriers ont découvert des parties de ce qui s'est révélé être deux mosaïques romaines colossales presque parfaitement conservées sous une couche de cendres, de gravats et de terre.



Heureusement, les travaux ont été interrompus et les autorités locales ont décidé d'investir dans la construction du musée que nous voyons aujourd'hui, qui fête maintenant son 20e anniversaire.



Sous la direction de M. Pierre Chaignat, « guide par passion », qui avait lui-même une longue carrière dans la construction, les frères ont percé les mystères de la civilisation gallo-romaine en Suisse aux 2e et 3e siècles après J.-C.

L'aile orientale du bâtiment compte deux étages. Le rez-de-chaussée comprend une salle d'exposition. À l'étage, le musée propose régulièrement au public des expositions temporaires.



M. Chaignat a guidé notre visite avec enthousiasme, répondant aux questions alors que les frères découvraient deux grandes mosaïques qui sont demeurées à leur emplacement d'origine.



En particulier, le musée vise à la mise en valeur des mosaïques de la « chasse » et de « Bacchus et Ariane ».

 Des vidéos détaillées des deux mosaïques peuvent être visionnées sur ce lien.

La mosaïque de Bacchus et Ariane est la plus petite et la plus ancienne des deux mosaïques de Vallon.

Elle mesure 27 m² et date d'environ 160 ou 170 après J.-C.

L'ensemble est composé de minuscules tesselles brillamment colorées qui ont été mises en place par des artisans dont on soupçonne qu'ils vivaient dans la région.



Cette mosaïque servait de sol à une élégante salle de réception destinée à souligner la richesse et le pouvoir du maître de maison.



La seconde mosaïque, plus récente, est celle dite « de la chasse ».

 Les venationes (de venatio, la chasse en latin) sont un genre de spectacle dans les jeux de l'amphithéâtre de la Rome antique.

Ces jeux mettent aux prises des animaux sauvages entre eux, ou des animaux et des hommes, ou encore des simulacres de chasse dans un amphithéâtre dont l'arène était occupée par un décor censé rappeler le milieu naturel d'origine des animaux.



Il s'agit d'un grand spectacle que les élites romaines présentaient à la population une fois par an. Le spectacle, comme l'explique M. Chaignat, était souvent suivi d'une collation animée par l'exécution publique de criminels.



Cette mosaïque, d'une taille étonnante de 97 m², date d'environ 220 après J.-C.



La mosaïque n'a pas été déplacée de son site. Au lieu de cela, un édifice approprié a été érigé au-dessus de la mosaïque avec un excellent éclairage et des conditions climatiques spécialement contrôlées avec un taux d'humidité très élevé : près de 90 %.


Ce taux d'humidité préserve le dallage et a également l'avantage de faire ressortir ses brillantes couleurs rougeâtres, bleutées, jaunes et crèmes.



Les frères ont été conquis par l'éventail de motifs géométriques joints à de charmants médaillions illustrées d'animaux et de chasseurs.



***

En toute fin de notre visite, une autre joie inattendue : les frères ont simplement traversé la rue pour découvrir la belle église rurale de Saint-Pierre de Carignan.



Construite sur un affleurement rocheux naturel, l'église Saint-Pierre, appelée autrefois Dompierre-le-Grand, est l'une des plus anciennes de la région, comme l'ont révélé les fouilles menées par le service archéologique cantonal en 1985-86 et 1990-91, à l'occasion de la dernière restauration de l'église.



L’église trouve son origine dans un mausolée construit par une importante famille, peut-être les descendants ou les successeurs des propriétaires de la villa. Elle domine la région.

Au mausolée a succédé une église qui a été reconstruite plusieurs fois au cours de son millénaire et demi d'existence.



Une première église a été construite au VIe siècle, son plan semblant avoir été inspiré par l'église Saint-Maire de l'ancienne cité épiscopale d'Avenches.



Ce que nous voyons aujourd'hui fait partie d'une reconstruction de l'année 1512, après que l'église ait été attribuée au clergé d'Estavayer-le-Lac.

Aujourd'hui, l'église est dominée par un brillant vitrail de la crucifixion, créé en 1986-87 lors des changements apportés au sanctuaire après le deuxième concile du Vatican par l'artiste-peintre serbe Ljubomir « Ljuba » Popović (1934-2016).

***

Après une journée entière remplie d'inspiration spirituelle, de beauté esthétique étonnante et de profonde appréciation historique, les frères sont rentrés en voiture à Genève pour les vêpres et un repas commun. 

Les frères sont reconnaissants à ceux qui les ont guidés sur ce chemin.  Ils sont heureux d’avoir apprécié la richesse culturelle et historique de cette région.

Les frères avec leur guide Lydie Zimmermann dans la chapelle St-Michel à l'étage supérieur de l'église abbatiale de Payerne, où une installation contemporaine a été réalisée (photos pour cet article : la rédaction)

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