Laissons Dieu faire… il agit déjà
Né en 2001 à Porrentruy dans le canton du Jura, le frère Simon Meyer est arrivé à Fribourg en septembre pour commencer ses études à la Faculté de Théologie de l'Université, après avoir terminé son noviciat d'une année à Strasbourg et prononcé ses premiers vœux (des vœux « simples ») dans l'Ordre.
Au début d'une nouvelle étape de sa vie dominicaine, le frère Simon a pris le temps de parler à la rédaction :
La Rédaction : Frère Simon, bonjour !
Frère Simon Meyer : Bonjour !
Réd. : Félicitations pour avoir prononcé tes vœux simples dans l'Ordre dominicain. Je suppose que tu es venu à Fribourg immédiatement après ?
SM : C’est juste.
Réd. : Nous parlerons dans un instant de ton projet d’études, mais d'abord, peux-tu nous dire ce qui t'a amené à l'Ordre ? Tu es encore relativement nouveau dans la vie dominicaine…
SM : Alors, oui. C’est en 2017 que j’ai pour la première fois rencontré l’Ordre dominicain ; j’avais alors 16 ans. Dans ma paroisse, on avait invité le frère Paul-Bernard Hodel à prêcher la Semaine Sainte. Je viens de Porrentruy, dans le Jura…
Réd. : Beaucoup d'entre nous connaissent le frère Paul-Bernard. Il est professeur d'histoire de l'église à l'université...
SM : Oui. Mais je l'ai rencontré dans un contexte qui n'était pas strictement académique. Comme j’étais servant de messe, j’ai eu maintes fois l’occasion de discuter avec lui. Ce qui m’a tout de suite impressionné chez ce frère, c’était sa simplicité. De prime abord, je n’imaginais absolument pas qu’un éminent professeur puisse être si accueillant – et si drôle…
Réd. : Il n'y a pas de communauté dominicaine dans ton canton, alors le frère Paul-Bernard était-il ton seul exemple de ce que pourrait être un frère ?
SM : En fait, non. J'ai eu beaucoup de chance parce que l’année suivante, un autre dominicain vint prêcher la Semaine Sainte. C’était le frère Philippe Lefebvre, qui est professeur d'Ancien Testament, également à l'Université de Fribourg. Le visage du frère Philippe est bien connu de la télévision, et il a publié de nombreux livres. Dans mes discussions avec lui, je fis de nouveau l’expérience de cette simplicité quelque peu déconcertante. Je me disais : « Comment se fait-il qu’un frère si érudit puisse autant divaguer ? » (rires)
Réd. : Qu'est-ce que ces deux frères ont fait pour façonner ton idée de l'Ordre de St-Dominique ?
SM : Eh bien, ma première impression des Frères prêcheurs était des frères savants, oui, mais avant tout, des frères simplement humains.
Réd. : Mais tu n'as pas pensé immédiatement que tu devais rejoindre l'Ordre des Prêcheurs...
SM : Non, en effet. En 2020, comme j’avais depuis mes 13 ans le désir de devenir prêtre, je suis entré au séminaire de Givisiez en tant que discernant. Pendant cette année, j’ai pu plus profondément scruter le désir qui m’habitait et qui m’avait enjoint à pousser les portes du séminaire. J’ai peu à peu compris que ce que je voulais premièrement et par-dessus tout, c’était parler de Dieu. À partir de là, j’ai sérieusement commencé à m’intéresser au frères « prêcheurs ». J’ai d’abord pris contact avec eux. Je fus reçu par le frère Jean-Michel Poffet pour quelques entretiens au couvent St-Hyacinthe. Il me donna des livres que je lus avec avidité. Dans mes lectures, je fus touché par cette petite phrase qui revenait sans cesse : « Il ne parlait que de Dieu ou avec Dieu. »
Réd. : Oui, c'est une des descriptions les plus connues de St-Dominique.
SM : Oui, et c’était vraiment ça que je voulais faire : parler de Dieu à mon prochain, parler de mon prochain à Dieu, parler à mon prochain avec Dieu, parler de Dieu avec Dieu. Parler non seulement avec des mots, mais encore avec des gestes, avec des choix, comme le choix d’être pauvre par exemple. C’était ça être dominicain, et c’est ce que je voulais être. Par la suite, j’ai eu aussi quelques entretiens avec le provincial de la Province de Suisse, le frère Guido Vergauwen. Je lui ai envoyé ma lettre de demande pour entrer au noviciat, et finalement, je fus admis.
Réd. : Je vois que tu as suivi les procédures tout à fait à la lettre.
SM : (rires) Oui.
Réd. : Donc tu as commencé ton noviciat en été 2021. Qu’as-tu appris pendant ton année à Strasbourg ?
SM : Je crois que j’ai appris qu’avant de vouloir parler, il fallait d’abord écouter. Écouter Dieu par la lecture de l’Écriture Sainte, dans l’oraison silencieuse, dans les signes de notre vie quotidienne. Écouter aussi Dieu qui travaille en nous, écouter nos aspirations profondes, et redresser, dans un véritable combat, tout ce qui ne nous tend pas vers Dieu. C’est cela que j’ai appris au noviciat : ce qu’est un dominicain. Le dominicain est premièrement un moine, un monos, un homme seul devant Dieu et un homme qui se bat pour être un avec Dieu. En parallèle à cet effort spirituel, j’ai appris les bases de la « culture dominicaine » : la Règle de l’Ordre, l’histoire de l’Ordre, ses grands personnages, sa liturgie, ses coutumes… J’ai appris à m’incorporer à ce corps que forme l’Ordre des Prêcheurs.
Réd. : On voit donc que tu t'es particulièrement immergé dans le mode de vie dominicain. Mais prenons un peu de recul. La vie de foi est-elle une nouveauté pour toi, ou as-tu toujours eu une relation avec le Seigneur ?
SM : Oui et non. Oui, parce que comme beaucoup de jeunes suisses j’ai été baptisé peu de temps après ma naissance, je suis allé au « caté », j’ai fait ma première communion, et j’accompagnais ma famille à quelques messes et quelques solennités. Non, parce que je ne savais pas vraiment pourquoi je faisais tout cela, je suivais un peu le courant, c’était sympa mais sans plus. En fait, je ne connaissais pas réellement le Christ. C’est en octobre 2014, alors que j’avais 13 ans, que tout a changé…
Réd. : Qu'est-ce qui s'est passé ?
SM : Je suis parti en Belgique avec le pèlerinage des servants de messe de ma paroisse (ça faisait 3 ans que j’étais servant d’autel), et pendant ce voyage j’ai fait la connaissance d’un prêtre. Pendant tout le pèlerinage, surtout lors des trajets en bus, on discutait, on riait ensemble, nous parlions de tout et de rien. C’est grâce à ces discussions que j’ai découvert le Christ. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais à partir d’un certain moment j’ai eu la conviction que quelqu’un m’aimait, que quelqu’un m’avait toujours aimé et que quelqu’un m’aimerait toujours. Avec cette conviction, il m’est venu un désir puissant de me livrer à cet Amour en le servant.
Réd. : C'est un âge très jeune pour avoir une vision spirituelle aussi forte.
SM : Peut-être, mais telle était mon expérience.Pour la petite histoire, à la fin du pèlerinage, je suis descendu du bus et j’ai rejoint ma maman qui m’attendait. Très vite je lui ai dit : « Je sais ce que je veux devenir maintenant : je veux devenir prêtre ! » Juste après cela, le prêtre est venu vers nous et a dit : « Je vais vous inviter à la cure pour qu’on puisse en parler autour d’un repas. » À ces mots, j’ai vu ma maman quelque peu pâlir !
Réd. : En effet ! Je compatis avec ta maman…
SM : Mais depuis, le Christ a définitivement fait sa demeure dans ma famille. Ma maman travaille en paroisse, mon père me parle de ses expériences mystiques et ma sœur connaît mieux la Bible que moi. Avec ma famille, nous nous sommes convertis ensemble à cet Amour. Grâce à ce prêtre qui est devenu un grand ami de la famille, nous avons redécouvert la beauté des sacrements, la vérité de la Parole et la bonté de l’oraison quotidienne.
Réd. : C'est vraiment un beau témoignage. Et maintenant tu es à Fribourg…
SM : Oui, je suis en première année de Bachelor en théologie.
Réd. : Quel domaine d’étude t’intéresse particulièrement ?
SM : Comme je suis au tout début de mes études, je ne saurais pas affirmer avec certitude quelle domaine d’étude m’intéresse plus que les autres. Mais bon, de par mes quelques lectures, je remarque que la théologie fondamentale m’attire tout spécialement. Peut-être que cet intérêt est né de mes deux grandes passions qui semblent presque contradictoires : la beauté de la Terre et la beauté du Ciel. Je peux être autant attiré par la fragilité d’une simple rose que par la profondeur qu’engendre la pensée de certains phénomènes tels que le Temps, la Vie, la Mort, ou encore par la profondeur des Mystères, tels que la Trinité, l’Incarnation, la Création... Je crois que l’exercice de la théologie fondamentale m’aide à unir ces passions en les distinguant et en les unissant tout à la fois. Peut-être que la bonté éphémère d’une fleur est le reflet de la Bonté éternelle de Dieu ? Ou encore, de quelle manière ma relation à la mort change si je crois en la Résurrection ? Ce sont des questions comme celles-ci qui me viennent sans cesse, des questions qui sont à la frontière entre la philosophie et la théologie.
Réd. : En même temps que tu découvres le milieu universitaire, tu intègres une communauté internationale de frères au couvent St-Hyacinthe. Les frères suisses sont en fait une minorité parmi les frères-étudiants...Qu’est-ce que des frères d’autres cultures pourraient gagner à connaître l’expérience de l’Église en Suisse ?
SM : Je pense que ce que l’expérience de l’Église suisse peut apporter aux frères d’autres cultures est l’attention aux sensibilités régionales. Généralement, tous les frères qui viennent d’un pays étranger font rapidement cette expérience : « Ça dépend des cantons ! »
Réd. : Oui, nous avons certainement entendu ce refrain… (rires)
SM : Mais c’est tout à fait vrai qu’on ne parle pas de la même manière à Genève, à Zurich ou à Porrentruy… Et en Suisse, il faut savoir s’adapter aux mentalités de chacun pour pouvoir entrer en dialogue. C’est aussi vrai des régions d’autres pays, mais en Suisse, j’ai l’impression que c’est particulièrement flagrant.
Réd. : Alors, l'Église en Suisse et ailleurs n'est plutôt pas dans une situation particulièrement heureuse en ce moment. En tant que très jeune frère, cela t'inquiète-t-il ?
SM : Ce qui doit nous intéresser maintenant c’est la manière de prêcher l’Évangile à nos contemporains. L’étude de l’histoire de l’Église n’a de sens que si nous l’utilisons pour éclairer le présent et non pour stigmatiser le passé.
Réd. : Cela a du sens….
SM : Et puis, je pense qu’il n’est pas à exclure que notre situation inconfortable soit permise par Dieu pour qu’il en sorte un bien plus grand que nous ne voyons pas encore clairement. Déjà à l’époque, Dieu avait envoyé Ézéchiel parler aux rescapés d’Israël tout en sachant pertinemment qu’ils n’écouteraient pas son prophète. L’Église est peut-être un peu dans le même cas qu’Ézéchiel aujourd’hui. Et si tel était le cas, nous ne devrions pas tellement nous préoccuper des fruits visibles mais nous soucier plutôt de la qualité de notre prédication.
Réd. : Que veux-tu dire par « qualité » ?
SM : Commençons par nous poser une question de base : faisons-nous vraiment tout pour rejoindre nos contemporains ? Si nous arrivons plus ou moins et péniblement à répondre « oui » en conscience à cette question, laissons Dieu faire le reste, car il est sûr qu’il agira, et qu’il agit même déjà…
Réd. : Amen. Et enfin, comment vois-tu ton avenir – même dans un contexte où les chrétiens peuvent être peu nombreux ?
SM : Comment je vois mon avenir ? Il est radieux ! Que m’importe qu’il n’y ait plus que quelques communautés chrétiennes essemées à travers l’Europe ? Ce qui importe c’est de vivre pleinement la mission à laquelle Dieu nous a appelés. C’est la meilleure manière de sauver le monde.
Cela me fait penser à une parole de sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, qu’elle a écrit à ses sœurs en octobre 1939 :
Aujourd’hui le Seigneur nous regarde, grave, mettant à l’épreuve, et il demande à chacune de nous : Veux-tu garder la fidélité au Crucifié ? Réfléchis bien ! Le monde est en feu, le combat entre le Christ et l’Antéchrist bat son plein ouvertement. Si tu te décides pour le Christ, il peut t’en coûter la vie. Réfléchis bien aussi à ce que tu promets. […]
Le monde est en feu. Est-ce qu’il ne te presse pas de l’éteindre ? Regarde en haut vers la Croix. Du cœur ouvert coule le sang du Rédempteur. Il éteint les flammes de l’enfer. Rends ton cœur libre par l’accomplissement fidèle de tes vœux, ensuite se déversera dans ton cœur le flot de l’amour divin, jusqu’à ce qu’il déborde et devienne fécond jusqu’aux limites de la terre.[1]
Réd. : C'est la première fois que quelqu'un récite un poème – ou quelque chose d'aussi poétique – dans le cadre de ces entretiens. Je ne pense pas que nous puissions faire mieux que les mots de sainte Thérèse-Bénédicte, alors terminons là. Merci, frère Simon ! Et merci de nous avoir accordé de ton temps aujourd'hui....
SM : Merci. C'était un vrai plaisir.
[1] Méditation pour le renouvellement des vœux de ses sœurs carmélites, le 14 octobre 1939, en la Fête de l’Exaltation de la Croix (aujourd’hui appelée « Fête de la Croix glorieuse »).
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