Une bombe sanitaire

Pandémie… quelques réflexions pour aller plus loin

La pandémie évoque chez moi l’image d’une bombe, et d’une bombe qui n’en finit pas d’exploser avec un impact et des conséquences qui eux aussi n’en finissent pas de nous toucher et de nous destabiliser. Ils nous ébranlent profondément.

Je m’interroge : Pourquoi nos sociétés si performantes apparaissent-elles si démunies ? Qu’est-ce que cela révèle au niveau de la société humaine donc aussi comme chrétien, de notre rapport à la Foi et à l’Eglise ? Que nous renvoie-t-elle de nous-mêmes mais aussi, ne l’oublions pas, de nos capacités à rebondir ?

Et pourtant, ce n’est pas la première pandémie de notre humanité…N’oublions pas son Histoire.

La crise que nous traversons met à nu nos fragilités, nos limites, nos peurs. Elle brise l’illusion d’une maîtrise sur tout ce qui est vivant. Elle réinterroge le mythe de la vérité scientifique, en l’occurrence ici bio-médicale, pour nous rappeler que toute vraie recherche scientifique se construit dans le doute, le débat, le questionnement, l’expérience et la temporalité.

Cette crise nous oblige en fait, à intégrer davantage une réalité que nos sociétés modernes ont du mal à gérer, celle de l’incertitude et de la complexité.

La crise nous rappelle aussi que le vivant dont nous faisons partie, ne grandit que dans une approche systémique de ses relations avec l’environnement et à quel point nous sommes tous interdépendants. Le Pape François nous l’a rappelé dans ses deux dernières Encycliques « Laudato si » et « Fratelli tutti ».

Mais peut-être est-elle surtout le révélateur d’un mal-être beaucoup plus profond de nos modes de fonctionnements et de notre rapport de pouvoir à la création.

Alors, oui, cette bombe sanitaire qui n’en finit pas d’exploser nous plonge dans l’urgence et nous agissons comme des pompiers, au plus pressé, au risque d’ajouter de la souffrance à la souffrance. Je pense à l’impact du confinement sur les personnes âgées et seules, la difficulté, voire l’impossibilité d’accompagner un être proche dans les derniers moments de sa vie…Toutes situations qui mettent particulièrement en tension notre besoin vital d’affection, de proximité et le souci du Bien commun.

Nous sommes donc devant un questionnement fondamental sur notre manière de concevoir ensemble le vivant dans toutes ses dimensions et de le penser en termes de priorité.

Malgré tout cela, la crise actuelle peut nous enseigner quelque chose. Elle nous rappelle non seulement à l’humilité de notre origine, celle de cet humus duquel nous a été donnée la vie…mais aussi d’avoir un regard d’espérance en l’être humain capable de donner le meilleur de lui-même : je pense bien sûr à tous ces élans de solidarité mais aussi à la réalisation en des temps aussi courts de vaccins et de thérapies toujours mieux ajustées à l’imprévu.

C’est probablement la première grande leçon de cette crise bien plus que sanitaire : humilité, solidarité et compétence mises au service du Bien commun.

Cela peut paraître paradoxal…Non, cela illustre précisément l’identité profonde de notre humanité dans ses ressorts pour avancer, quelle que soit la gravité des évènements qu’elle traverse.

 

Et qu’en-est-il pour l’Eglise ?

Sur le fond, je ne ferai pas de distinction majeure, quant à ma réflexion, entre Société et Eglise. De par le mystère de l’Incarnation, tout chrétien est appelé à vivre sa foi dans le paysage social, économique, culturel et religieux.

Alors, oui, la pandémie a bousculé la pratique de la foi. Oui, la participation d’un nombre limité de personnes aux célébrations et les consignes sanitaires pèsent sur la pratique communautaire, malgré nos efforts. Oui, comme prêtre identifié « à risque » à cause de l’âge, je me suis trouvé en contradiction avec mon ministère de proximité, d’accompagnement, interdit de pouvoir l’exercer dans toutes ses dimensions.

Et c’est là que les questions fondamentales apparaissent : comment passer, par exemple, de la question < Peut-on laisser mourir une personne sans les sacrements de l’Eglise, alors qu’elle en a fait la demande » à « Comment, en de telles situations, authentifier sereinement et dans la paix, dans un acte de communion par la prière, et l’union de pensée, la grâce de Dieu relevant et sauvant, qui échappe par principe à toute nomenclature et catégorie ? (Jn 3,8) ». Nous le savons, en situations exceptionnelles, l’Eglise sait proposer des ressources souvent insoupçonnées qui libèrent. Qu’en est-il en pratique ?

Les paroisses ont fait preuve aussi d’inventivité. A St Paul, comme ailleurs, pour ne refuser personne, nous organisons plus de messes et quand celles-ci ont été suspendues, nous les visionnons en ligne.

Tous ces ajustements illustrent nos capacités à rebondir mais nous le savons, ces réponses ne nous satisfont pas.

Alors, les réflexions commencent à apparaître :

- la pandémie a révélé la vulnérabilité d’une pratique de la foi trop axée sur le bâtiment église, sur les messes, les sacrements célébrés et sur une démographie presbytérale aux limites et qui s’essouffle depuis plusieurs décennies déjà.

- Cette crise révèle aussi des problématiques ecclésiales présentes depuis longtemps en termes de fonctionnement, de besoins spirituels, d’approfondissement de la foi, de rapports mal assumés et ambigus prêtres-laïcs. En un mot la problématique du « pouvoir » sous toutes ses formes, tel un virus, constitue un véritable défi pour la Communauté ecclésiale.

 

l’Eglise comme la société civile est dans une démarche d’urgence, celle de remplir un vide, de compenser des absences pour satisfaire la structure…Cela n’est pas nouveau, mais la crise en révèle à sa manière, les contours mais peut-être aussi des espaces libérateurs de décisions et de changements nécessaires…et pourquoi pas d’ouvrir de nouveaux chemins !

Oui, si ce vide nous ouvrait à quelque chose de positif ? Si ce vide venait nous rappeler simplement que « là ou deux ou trois sont réunis en mon nom…je suis avec eux » (Mt 18,20) pour retrouver le sens d’un communautaire qui s’enracine dans des petites communautés domestiques ou autres. N’y a-t-il pas à redécouvrir comme baptisés, que nous sommes acteurs, non consommateurs de notre vie de foi et avoir la simplicité de faire de nos maisons des lieux de prière, de célébrations, de rencontres…d’accueil. Cela se fait, je le sais…mais si peu et si peu de retours en paroisse.

Dire cela, c’est d’abord ne pas poser la question « qu’en est-il pour l’Eglise ? » comme si je l’externalisais. Nous sommes l’Eglise. Qu’en est-il donc pour nous et comment réinterroger nos structures ?

N’ayons pas peur de regarder notre réalité, riche de volonté, d’engagements, de recherche, de retour à une vie plus simple, fraternelle, retrouvant cette dynamique horizontale de l’Evangile. De nombreuses voix le rappellent depuis longtemps : tout baptisé à une mission comme « prêtre, prophète et roi ». J’insiste pour que nous reconnaissions tous ces élans de solidarité, de réflexions, de questionnement sur ce qu’est « être chrétien ».

Oui, la pandémie comme tout événement qui déplace les priorités et qui touche à l’essentiel, doit nous aider à questionner notre vie de chrétiens. La pandémie a donc un impact sur les chrétiens. Comment le rendre effectif : Une démarche synodale ?

J’y vois un appel à travailler encore plus à la manière dont nous, chrétiens, nous rendons visible et crédible cette dynamique de l’Evangile. Comment développer des communautés de frères et sœurs qui vivent et partagent leurs expériences spirituelles, leurs doutes, leurs questions de foi et qui en célébrant la Parole et l’Eucharistie, s’accueillent et accueillent l’autre comme un frère, une sœur, dans la réalité de sa vie tout simplement ?

L’Eglise est sacrement de la communion. Des chemins commencent à s’ouvrir : dans la pastorale de la famille, dans la culture ecclésiale, pour ne citer que deux priorités à mes yeux. Il faut aller plus loin et laisser souffler le risque de l’Esprit.

 

La Parole, lieu de l’Espérance…

Parce que l’Église est sacrement de la communion, elle est chemin d’Espérance…Chacune et chacun sont concernés.

Il est essentiel dans ce moment lourd et difficile, avec nos limites, nos fragilités, nos doutes mais aussi notre passion, notre flamme, notre foi en l’être humain, de nous laisser provoquer par la Parole.

Ce passage de la Genèse m’est revenue (Gn 15, 2-6) en résonance avec celui de Paul (Rm 4, 18) lorsque Dieu nous fait comprendre, comme à Abraham, qu’il nous faut espérer contre toute espérance et que là où il n’y a plus lieu d’espérer, il y a précisément encore lieu d’espérer…

Oui, dans ce monde « opprimé par la pandémie », le pape a appelé à répondre par «la contagion de l’espérance ».

Cet évènement est vraiment un lieu de révélation de ce que nous sommes capables de faire, de donner, de partager, d’accompagner, d’innover…Quelle joie de voir ces cadeaux arrivés dans la période de Noël, discrètement posés dans le nartex de notre église et disparaître librement au gré d’un besoin, d’un sourire. Tout cela et bien d’autres choses, sur l’initiative des paroisses et du Vicariat.

Mais, si la tendresse de Dieu s’exprime de cette manière là, elle doit aussi interpeller notre Communauté ecclésiale afin qu’elle poursuive son travail d’approfondissement théologique et spirituel pour que sa parole comme lieu de l’Espérance, rencontre et intègre tous les chemins de vie quelqu’ils soient… C’est bien la réponse que nous essayons de faire mais, comme je l’ai dit, nous avons maintenant « … à aller au large et à jeter au loin les filets. » (Lc 5, 4).

Plus que jamais, aujourd’hui les paroles de Paul nous accompagnent dans ce travail de conversion: « Ma grâce te suffit car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse…car quand je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12,10). Ce n’est pas une exaltation de la faiblesse, c’est une démarche de reconnaissance qu’une Présence est là inconditionnelle et là je me révèle pleinement humain.

N’ayons pas peur d’entrer dans cette démarche, c’est notre force. C’est celle de l’Eglise qui ne doit cesser de se convertir pour servir.

N’est-ce pas le temps d’un « aggiornamento » ?

fr. Michel Fontaine

 

* Un condensé de cet texte est paru dans le Journal Regard à partir d’un interview proposé par Silvana Basseti (ECR – No 7 - février 2021).

Le frère Michel Fontaine (photo : Bernard Hallet)

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