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Albert Nolan

  • Fr. Guy

Quand un dominicain défiait l’apartheid

Le 17 octobre de cette année 2022, notre frère Albert Nolan (1934-2022) dominicain sud-africain retournait à la Maison du Père.

Son nom ne nous était pas inconnu. Il avait combattu l’apartheid et passé des années dans la clandestiné. Surtout, fait inédit de notre histoire dominicaine, il démissiona de sa charge de Mâitre de l’Ordre dans les minutes qui suivirent son élection par le Chapitre Général de 1983. Albert Nolan avait estimé que son engagement pour la justice dans son pays était plus impératif que l’exercice de la charge de Mâitre des Prêcheurs. Ce que comprirent et accptèrent les frères qui venaient de l’élire.

Pour lui rendre hommage, nous ne povons faire mieux que recourir au témoignage d’un frère qui a personnellement connu et apprécié Albert Nolan. Le frère Philippe Denis, professeur d’histoire à Pietermaritzburg en Répiblique sudafricaine, nous autorise de reproduire sur ce site ces lignes d’abord destinées à une publication des Fraternités dominicaines de Belgique, son pays natal. Nous lui en sommes reconnaissants.

Frère Guy Musy

 

Un témoin convaincant

Je suis devenu sud-africain par accident. Emil Blaser, le provincial dominicain, avait fait savoir qu’il cherchait des frères pour donner un coup de main à la formation des étudiants et j’ai donné mon nom. Je suis arrivé dans ce qui était alors le pays de l’apartheid le 21 janvier 1988. Albert Nolan est un de ceux, non pas le seul sans doute mais un des plus notables, qui m’ont incité, par leur témoignage, à rester en Afrique du Sud au-delà des six mois initialement prévus. J’y suis toujours. En 2002, il m’a permis, en sa qualité de provincial du vicariat général d’Afrique australe, de fonder une famille à Pietermaritzburg, devenant le père de sept enfants alors sans parents, tout en restant intimement liée à la communauté dominicaine locale. Cela a changé ma vie et celle de mes enfants. Je lui en serai éternellement reconnaissant.

Le « Kairos Document »

Au départ je ne connaissais pas grand chose de l’Afrique du Sud. A partir de 1976, Ignace Berten, alors prieur de la communauté de Froidmont à Rixensart, un groupe de frères, sœurs et laïcs dominicains dont je faisais partie depuis 1974, menait, avec la Commission Justice et Paix, une action auprès des banques belges pour qu’elles cessent de prolonger les souffrances des victimes de l’apartheid en investissant en Afrique du Sud. J’ai dû entendre parler d’Albert en 1983 quand il refusa son élection comme maitre de l’Ordre dominicain pour pouvoir continuer le combat pour la justice dans son pays. Deux ans plus tard je signais un article dans Le Soir, contrastant le Kairos Document, à la rédaction duquel Albert avait contribué, et le discours de l’Église réformée néerlandaise qui justifiait bibliquement l’apartheid.

Théologien, analyste et pédagogie

Dans les années 1980, Albert résidait avec quelques-uns de ses frères à Mayfair, à l’ouest de Johannesburg, un des rares quartiers multiculturels de la ville. Ils vivaient là simplement, joyeusement, dans une grande sobriété. Albert frappait par sa bonne humeur, par son sens fraternel et aussi par la clarté de son jugement. Combien de fois l’ai-je entendu dresser avec brio un tableau de la situation politique, économique et sociale de l’Afrique du Sud lors d’assemblées dominicaines, dans des groupes de base ou dans d’autres lieux d’Église. Bon théologien, excellent analyste et il était aussi un grand pédagogue.

Supérieur exceptionnel

Comme supérieur général de 1976 à 1984 il contribua à donner au vicariat général dominicain d’Afrique australe une véritable impulsion prophétique. Il rencontra toutefois des résistances, notamment de la part de certains de ses frères dominicains qui ne comprenaient pas pourquoi il avait transféré la maison provinciale dans une quartier pauvre, difficile d’accès. Le premier geste d’un de ses successeurs, en 1992, fut de fermer la maison de Mayfair et reloger la maison provinciale dans un quartier plus « sûr » de Johannesburg. Albert, autant que je sache, ne lui en tint pas rancune. Il a toujours été un homme de paix. Non qu’il fût dénoué d’émotions. Il ressentait beaucoup. Mais mieux que d’autres, il contrôlait ses émotions et aidait ses interlocuteurs ou interlocutrices à en faire de même.

Clandestin dans son pays

Je voudrais dire un mot sur Albert Nolan comme théologien. Comme des milliers d’autres lecteurs j’ai été fasciné par son portrait de Jésus dans Jesus before Christianity (1976) un best seller traduit dans de nombreuses langues. Il s’est trouvé que c’est à moi qu’est incombé la tâche de traduire en français God in South Africa (1988) un ouvrage qu’Albert a rédigé alors qu’il vivait dans la clandestinité – à l’université du Cap, comme on l’a appris par la suite – pour échapper à l’arrestation sous l’état d’urgence. J’étais proche de lui quand il écrivit Jesus Today (2006). Son propos était de montrer que chaque époque est invitée à suivre les « signes du temps », pour employer le langage du concile Vatican II. Sous l’apartheid, il s’agissait d’entendre l’appel de Dieu à lutter contre l’injustice sociale et la discrimination raciale en Afrique du Sud. Mais après la libération d’autres enjeux méritaient l’attention. Une nouvelle spiritualité était à inventer. Ce fut à cette tâche qu’Albert s’attela.

Théologien contextuel

En février 2016 j’ai participé à un colloque organisé à l’Angelicum, une université romaine, pour célébrer le huit-centième anniversaire de la fondation de l’Ordre dominicain. La plupart des orateurs tenaient un discours thomiste, plus ou moins ringard et en tout cas complètement déconnecté des enjeux sociaux, culturels et politiques. J’ai présenté pour ma part, un exposé sur la théologie d’Albert en essayant de montrer que, selon lui, toute théologie est située dans un contexte et n’a de sens que par rapport à ce contexte. C’est ce qu’on appelle la théologie contextuelle, version sud-africaine de la théologie de libération. Plusieurs participants, originaires des pays du Sud principalement, sont venus me remercier. Ou plutôt remercier Albert. Voilà un discours qu’ils pouvaient entendre.

La main au cambouis

Théologien reconnu, titulaire de plusieurs fonctions dans l’Ordre dominicain, Albert ne s’est jamais pris au sérieux. Il a ainsi accepté la fonction de syndic conventuel à Pietermaritzburg, n’hésitant pas à mettre la main au cambouis pour faire tourner la maison. Plus tard, à Mondeor, près de Johannesburg, où il était maitre des novices, il frappait par sa grande hospitalité. Grâce à lui et à quelques autres, j’éprouvais un grand plaisir à me rendre dans cette communauté. En fin de vie, il a vécu dans une communauté de sœurs à Boksburg. Malgré les atteintes de l’âge, il restait égal à lui-même, l’esprit vif, le regard porté sur l’autre. C’est avec peine que nous l’avons laissé partir le 17 octobre 2022.

Philippe Denis

Le frère Albert Nolan (photo : op.org)

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