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Alexandre Soljénitsyne

  • Fr. Guy

Actualité d’un visionnaire

8 juin 1978. Je résidais à Kigali au Rwanda, assez éloigné de communications internationales. J’ignorais évidemment le discours provocateur prononcé dans la prestigieuse université d’Harvard par Alexandre Soljénitsyne, alors réfugié politique aux USA après avoir été quatre ans plus tôt déchu de sa nationalité et expulsé de Russie, son pays. Sans doute, les œuvres majeures de cet écrivain qui passa plusieurs années de détention en Goulag ne m’étaient pas inconnues. Mais non ce discours qu’une amie vient de m’offrir et qui parut en version française dans l’édition Belles Lettres/Fayard en 2020.

Alors que par milliers les auditeurs et téléspectateurs américains attendaient de l’illustre résistant une nouvelle condamnation du régime soviétique qui l’avait fait souffrir en lui opposant les bienfaits de la société occidentale qui l’avait accueilli à bras ouverts, ce fut le contraire qui se produisit. Un réquisitoire sans appel contre un Occident fondé sur la liberté individuelle et le développement matériel, en perte de valeurs spirituelles. Un Occident sans courage, proche de son déclin.

L’amie qui m’avait recommandé cette lecture estimait que dans son ensemble ce discours n’avait pas pris une seule ride depuis quarante ans et qu’il était bon de le relire aujourd’hui pour que nous cessions de marcher sur nos têtes.

Ce que je fis et finis par lui donner raison. Quelques citations de l’écrivain suffirent à me convaincre. Je vous en transmets un extrait pour que vous puissiez juger par vous-mêmes de leur pertinence.

« Le moment est venu pour l’Occident de ne plus tant affirmer les droits des gens que leurs devoirs. » (p.31)

« Tout le monde a le droit de tout savoir. (…) Bien au-delà de ce droit, il y en a un autre perdu aujourd’hui ; le droit de ne pas savoir, de ne pas encombrer son âme créée par Dieu avec des ragots, des bavardages, des futilités. » (p.35 -36)

« L’Occident, qui ne possède pas de censure, opère pourtant une sélection pointilleuse en séparant les idées à la mode  de celles qui ne le sont pas – et bien que ces dernières ne tombent sous le coup d’aucune interdiction, elles ne peuvent s’exprimer vraiment ni dans la presse périodique, ni par le livre, ni par l’enseignement universitaire. L’esprit de vos chercheurs est bien libre, juridiquement, mais il est investi de tous côtés par la mode. » (p.38)

« Non, je ne puis recommander votre société comme idéal pour la transformation de la nôtre. Etant donné la richesse de développement spirituel acquise dans la douleur par notre pays en ce siècle, le système occidental, dans son état actuel d’épuisement spirituel, ne présente aucun attrait. » (p.42-43)

« Le mode de vie occidental a de moins en moins de chance de devenir le mode de vie dominant. » (p.44)

« Aucun armement, si grand soit-il, ne viendra en aide à l’Occident tant que celui-ci n’aura pas surmonté sa perte de volonté. Lorsqu’on est affaibli spirituellement, cet armement devient lui-même un fardeau pour le capitulard. Pour se défendre, il faut être prêt à mourir, et cela n’existe qu’en petite quantité au sein d’une société élevée dans la culture du bien-être terrestre. Et il ne reste plus alors que concessions, sursis et trahisons. » (p.51)

« L’homme est-il effectivement au-dessus de tout et n’existe-t-il point au-dessus de nous un Esprit suprême ? Est-il vrai que l’activité de l’homme et l’activité de la société doivent avant tout se définir en terme d’expansion matérielle ? Est-il admissible de développer celle-ci au détriment de l’ensemble de notre vie intérieure ? » (p.63-64)

Ce discours produisit en son temps stupéfaction, sarcasmes et quolibets. L’orateur fut traité de fanatique, de mystique, réactionnaire et de doctrinaire nostalgique. Et même prié de retourner chez lui si le mode de vie occidental lui déplaisait. J’aurais pu m’attendre à de telles réactions. Elles sont devenues habituelles en notre temps dès qu’une voix s’élève pour contredire la pensée unique, la mode et le discours « politiquement correct ». Il faut être courageux pour faire face à la dictature de l’opinion.

 

Voici une vidéo du discours original prononcé à l'université de Harvard en 1978, en russe, avec traduction simultanée en anglais et sous-titres anglais :

 

Ici, un lecteur français lit l'intégralité du texte de la traduction française du discours :

Alexandre Soljénitsyne (photo : Wikipédia. Cette image est libre de droit sous licence CC0 1.0 Universal et dédiée au domaine public)

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