Blog

Amélie Nothomb

  • Fr. Guy

Un père comme un enfant

Premier sang, Albin Michel 2021, 171 pages

On aime ou on n’aime pas les livres d’Amélie Nothomb. J’avoue les déguster plus leur liste s’allonge. Une écriture magnifique au service d’une cause qui me passionne. Mon blog avait déjà recensé « Soif », son vingt-huitième ouvrage où l’auteure prêtait à Jésus des propos empruntés à ses sentiments et, osons le dire, à sa foi personnelle.

Dans son trentième « roman », qui à dire vrai n’en est pas un, Amélie fait revivre son père Patrick, décédé à Bruxelles en 2020, sans que sa fille confinée par la pandémie n’ait pu prendre part à ses obsèques. Ce livre devrait l’aider à faire son deuil, tout en rendant hommage à ce père qu’elle a tant de raisons d’admirer.

Comme le Jésus de « Soif », Patrick parle en « je », de la première ligne à la dernière. Aucun des faits rapportés n’est fictif. Amélie ne fait que les enchaîner. Sa contribution romanesque se limite à reconstituer avec fidélité les sentiments et les propos qui furent ceux de son père.

De la vie de Patrick, Amélie ne décrit que l’enfance et la jeunesse. Une période qui précéda de quelques années sa propre naissance. Une histoire familiale bien connue dont elle entendit à mainte reprise son père en faire le récit.

Issu d’une famille illustre des Ardennes belges, Patrick Nothomb eut la malchance de perdre très jeune son père et d’être confié à la garde de ses grands-parents maternels, de la bonne bourgeoisie bruxelloise. Son malheur lui valut d’être apitoyé et blotti sous les ailes de sa grand-mère jusqu’au jour où son Général de grand-père décida pour l’aguerrir de lui faire passer de singulières vacances en Ardennes au sein de la tribu des Nothomb dont il portait le nom.

Patrick y fut reçu par le patriarche, son grand-père paternel, propriétaire désargenté d’un château menacé de ruine, entouré d’une horde d’enfants – il en eut treize – qu’il ne s’inquiétait pas de nourrir et de vêtir, préférant les voir courir affamés et en haillons dans les forêts voisines. C’est auprès de cet individu loufoque, qui se piquait d’être poète à ses heures, que se rendit cet enfant de six ou sept ans. Il devait aussi affronter une horde de jeunes sauvages qui prenaient plaisir à l’humilier.

Le récit des aventures ardennaises du petit Patrick remplit le bon tiers du livre d’Amélie. L’auteure y découvre le tempérament de son père qui ne fera que s’affirmer par la suite. Alors que tout enfant « normal » aurait supplié qu’on le ramène dans son nid douillet, Patrick prit goût à cette existence saugrenue, désirant même renouveler l’expérience lors de prochaines vacances. Non qu’il fut masochiste, mais il voulait mettre à l’épreuve toutes ses ressources et ses énergies au bénéfice de sa survie. En particulier, sa patience, sa jovialité, sa civilité, son humour, son refus de la violence ou de la revanche.

Les dernières lignes du livre de sa fille le trahissent tout entier : « il ne faut pas sous-estimer la rage de survivre ». Une rage muette sans doute, mais qui obligeait le jeune Patrick à des exploits de patience et d’intelligence quand ses petits oncles et tantes le torturaient. Cette expérience va se répéter plus tard dans un décor plus tragique.

Après ses études de droit, Patrick Nothomb devient diplomate au service de son pays. Sa première affectation est Kinshasa, capitale d’un Congo devenu indépendant. En été 1964, il est nommé consul de Belgique à Stanleyville, aujourd’hui Kisangani, dans l’Est du pays. La région est en ébullition. Une rébellion marxiste impose sa loi. Le 6 août, la population « blanche » – 1500 personnes – est prise en otage, entassée dans un hôtel, avec le consul. Ce calvaire va durer jusqu’au 24 novembre avec l’arrivée d’un commando de parachutistes belges qui va libérer les survivants. Entretemps, plusieurs otages auront été exécutés froidement et beaucoup d’autres laisseront leur vie dans le carnage final.

Mais tout au cours de ces quatre mois d’enfer, Patrick, le consul, aura exercé un travail de déminage, discutant jour et nuit avec le chef de la rébellion, usant de sa patience, de son humour, de son intelligence, faisant preuve d’une incroyable maîtrise de soi, malgré les pièges qui lui sont tendus, les intimidations et même un simulacre d’exécution.

Dans une interview, sa fille rapporte comment beaucoup plus tard son père racontait ces événements avec une décontraction surprenante : « Il trouvait cela vraiment très drôle. Je pense qu'il ne faisait pas semblant, il était très heureux d'avoir vécu cette histoire. Quel drôle de type, mon père ! ».

Comme un enfant qui joue avec l’eau et le feu sans se douter des dangers qui le menacent. Comme cet enfant de Kigali d’avril 1994 dont la candeur désarma le tueur chargé de « liquider » sa famille : « Maman, viens voir ! Le soldat a un fusil tout rouge ! ». Rouge de sang, bien sûr.

Je ne serais pas trop étonné d’apprendre que c’est cette image qu’Amélie Nothomb retient d’abord de son père. Il fut un enfant, ou un adulte qui, pour survivre, jouait à l’enfant. La citation de Sacha Guitry qui figure comme entête de son livre nous met sur cette piste : « Mon père est un grand enfant que j’ai eu quand j’étais tout petit ».

Pourquoi ai-je choisi de parler de ce livre ? Otages d’une pandémie ne devrions-nous pas nous aussi affronter cette crise avec le cœur et l’esprit d’un enfant ? Comme Patrick dans le château de son grand père. Comme Patrick encore face à ses bourreaux de Kisangani.

On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.

Le dernier mot de cette histoire a déjà été écrit par notre vieil ami Jean de La Fontaine.

© Éditions Albin Michel

Retour

Commentaires

×

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner un nom valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner une adresse email valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Google Captcha Is Required!

Vous avez atteint la limite de commentaires !

* Ces champs sont requis.

Soyez le premier à commenter