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André Valet (1937 – 2021)

  • Fr. Guy

Frère au service de ses frères

Je rends grâce à Dieu pour ce frère et ce compagnon de route. Selon mes souvenirs – à vérifier et rectifier si besoin ! – je tente de reconstituer quelques étapes de sa vie.

André et sa sœur jumelle Irène sont nés à Olten le 20 octobre 1937. Son père, Eugène Valet, employé de la firme von Roll, avait épousé une dame d’origine alsacienne et protestante. On parlait allemand en famille jusqu’au jour où Eugène Valet fut déplacé pour des raisons professionnelles à Choindez, hameau perdu dans une gorge de la Birse, non loin de Moutier. La firme von Roll exploitait à cet endroit le seul haut fourneau à métaux de la confédération suisse. Un site francophone aussi qui imposa au jeune André de se mettre à l’étude du français enseigné à l’école du village, tandis que, j’imagine, on continuait à parler un dialecte alémanique dans l’enclos familial. Je crois que cette plongée – obligée – dans un univers culturel différent de celui qu’il avait hérité de ses parents n’a pas laissé que des bons souvenirs chez le jeune André. J’en tiens pour preuve l’irritation qu’il ressentait et exprimait ces dernières années à la moindre plaisanterie innocente de notre part sur nos confédérés d’Outre-Sarine, de même son extrême susceptibilité face à toute remarque, désobligeante ou justifiée, sur nos frères protestants. Sans doute, par respect pour sa mère alémanique et réformée.

Ce qui n’empêcha pas le jeune homme de s’intégrer sans problème dans le village jurassien francophone et catholique de Courrendlin à l’entrée du Val Terbi où sa famille avait élu domicile après son passage à Choindez. C’est dans l’église de ce village qu’il célébra sa première messe en avril 1964. Il s’était préparé à cet événement par un cycle d’humanités classiques au Collège St-Charles de Porrenrtruy, puis en classe terminale au collège de l’Abbaye de St-Maurice, avant de frapper en 1957 à la porte des Prêcheurs à Fribourg, d’entreprendre son noviciat et ses années de formation qui devaient lui obtenir un jour une double licence en philosophie et en théologie.

Mais qui donc l’avait conduit chez les Dominicains ? Je crois me souvenir, pour l’avoir entendu dire de sa bouche, que l’idée lui vint à la suite d’une retraite de fin d’études gymnasiales prêchée par le frère Dominique Louis, alors aumônier des étudiants à l’université de Fribourg. Mais notre premier contact date de l’automne 1957 quand je le vis débarquer au couvent wallon de La Sarte où je venais de prononcer mes premiers vœux religieux. Il commençait son année de noviciat alors que je passais dans l’aile du couvent réservée aux étudiants. Je le précédais d’une année tout au cours de nos études de base. J’ai gardé le souvenir d’un compagnon jovial et enjoué avec qui nous passions en compagnie des jeunes dominicains suisses de merveilleuses quoique frugales et sportives vacances estivales ou hivernales sur les pistes de ski des Préalpes fribourgeoises, le long des rives du Wagitalersee schwytzois ou encore sur le rêche et froid plancher d’une école primaire valaisanne très haut perchée.

On lui connaissait une attirance ou un faible pour la philosophie. Etait-ce pour cette raison ou parce qu’on aurait un jour besoin de lui pour prendre la relève d’un de nos frères enseignant cette discipline dans un collège romand qu’on l’envoya à l’Angelicum, notre université romaine ? L’expérience ne dura guère, puisque en 1966 déjà, il me rejoignait dans notre minuscule communauté du Boulevard de Grancy à Lausanne. Bien que très bref, ce séjour romain a marqué André. Il ne parlait guère de l’enseignement qu’il reçut à l’Angelicum, mais plutôt du « pollo » dominical qui lui était servi, un volatile apprêté à l’italienne qui lui souleva le cœur pour le restant de sa vie. Mais il avait le Forum romain sous ses fenêtres et de bons amis dominicains francophones qui concoctaient dans leur cellule de bons petits plats qui lui rappelaient son chez lui. André a toujours été un fin gourmet et un cuisinier hors pair. Notre communauté peut en donner de nombreuses preuves. De même, elle peut témoigner de ses goûts esthétiques qu’il désespérait parfois à lui faire partager. Les rayons de sa bibliothèque étaient tapissés de livres d’art et de catalogues d’expositions qu’il avait visitées. Il aimait aussi dessiner au crayon ou au fusain. Ajoutez le « bel canto » et vous aurez rassemblé les meilleures pièces de son héritage romain.

A Lausanne, il prit la succession du frère Luc Dumas comme aumônier des gymnases tout en donnant des cours de philosophie à l’institut Montolivet, un collège de jeunes filles dirigé par des religieuses.

Ce séjour lausannois lui aussi ne dura guère, puisque on retrouve André à Fribourg responsable de l’aumônerie francophone de l’université de 1971 à 1973. Etait-il prieur du couvent St-Hyacinthe à cette époque ? Je n’en suis pas certain puisqu’en septembre 1970 je quittai la Suisse pour le Rwanda et vécus dans ce pays dix-neuf années. André vint même un jour me rendre visite au pays des Mille Collines, comme il l’avait déjà fait en 1965 lors de mon séjour d’études à Heidelberg. Nous partagions du reste le même goût pour les voyages. A mon retour en Suisse, nous avons exploré ensemble les monastères baroques autrichiens, l’Alhambra de Grenade, le pont St-Charles de Prague, les rives du Danube à Budapest ou encore les canaux de la sérénissime République. Je ne fus pas le seul frère à avoir eu part à ses randonnées lointaines. Il aimait parler de ses découvertes au Mexique, en Russie, en Scandinavie ou en d’autres lieux idylliques où l’emmenaient ses amis et amies genevois.

C’est à la paroisse St-Paul de Genève, en 1973 précisément, que l’on retrouve André, et cette fois-ci pour une plus longue période qui s’achèvera en 1984. Pendant une année, il fut vicaire du frère Jean-Bernard Dousse, avant de lui succéder comme curé. C’est aux paroissiens de cette époque de dire quels furent les sentiments et la pastorale de leur curé. Je ne m’aventurerai pas sur cette piste, si ce n’est pour pressentir un pasteur attentif et sensible aux besoins de ses paroissiens, mais peu enclin à innover. Son prédécesseur avait déjà procédé aux grandes transformations conciliaires. André n’avait qu’à s’y glisser. Il le fit sobrement, éloigné de tout débordement de piété sentimentale dont il avait une sainte horreur. Sa foi était étayée par de solides fondements qu’il exprimait avec pudeur, sans fioritures inutiles. Ses sermons comme sa prière portaient la marque de la liturgie dominicaine : « breviter et succinte ».

Puis, on retrouve André prieur du couvent St-Hyacinthe de Fribourg, de retour à l’aumônerie universitaire de cette ville, charge qu’il exercera de 1989 à 1991. Il présida le chapitre provincial tenu à Pensier en 1990 avant de se rendre à Zurich prendre la direction de la Mission catholique de langue française, succédant au Père Jean-Marie Pelfrène, dominicain français, qui avait occupé ce poste le temps de le remettre à un frère de la province suisse.

Après le départ pour Fribourg du frère Roger Berthouzoz, jusque là prieur du couvent de Genève, André est élu prieur par les frères de ce couvent et retrouve donc la métropole du bout du lac. Il étoffe alors son priorat d‘une nouvelle charge diocésaine, celle de responsable du Service catholique de catéchèse du canton de Genève et cela de 1995 à 2000. Cette dernière date marque la fin de ses charges externes à sa communauté, si ce n’est, de 2000 à 2006, une présence à temps partiel d’auxiliaire et de confesseur à la Basilique Notre-Dame de Genève. André avait donc largement dépassé l’âge officiel de la retraite quand il se mit vraiment à la retraite, tout en offrant quelques années encore à son couvent ses services de procureur. Je ne crois pas trop me tromper en écrivant que ce dernier séjour genevois ne comptera pas parmi les années les plus heureuses de sa vie. Je l’avais déjà trouvé fatigué à son arrivée de Zurich et son priorat genevois ne fut pas particulièrement aisé.

Il passa ses ultimes années de vie dans notre couvent, le plus souvent retiré dans sa chambre. Non qu’il fut désœuvré, mais lisant, recourant à des sources sérieuses d’information, recevant quelques amis très chers à qui il aimait aussi rendre visite, s’offrant des plages de détente à la télévision, privilégiant l’écoute de la radio alémanique, affectionnant d’échanger quelques propos dans sa langue maternelle avec Margrit, notre cuisinière zurichoise…

Mais, au fil des ans, ses forces physiques déclinant, sa mobilité de plus en plus réduite, il souhaita lui-même devenir pensionnaire au Foyer-EMS St-Paul à proximité de notre couvent. Il y vécut de 2017 jusqu’à son décès, survenu le 25 novembre 2021, prenant part quand il pouvait encore le faire à nos fêtes et à notre table dominicale, nous recevant comme ses hôtes dans l’aile réservée aux invités de son Foyer, toujours lucide et gardant vive sa mémoire. Puis, vint le mal qui l’obligea à être nourri artificiellement, l’immobilisa sur sa couche et finit par l’emporter.

Lors d’une de mes dernières visites, à l’aide de signes de sa main venant au secours de sa voix chevrotante, il m’indiqua sur une étagère deux volumes de la Pléiade que je devais emporter. Sans doute un cadeau qu’on lui fit, à moins que ce ne fut lui-même qui se l’offrit. Deux titres qui disent le sérieux de ses recherches et la profondeur de sa foi : « Premiers écrits chrétiens » et « Ecrits spirituels du Moyen Age ».

Cher André, tu nous auras étonnés jusqu’à la fin.

Merci ! Et « Au-revoir ! »

— frère Guy

Le frère André Valet (photo : Jean-Claude Gadmer)

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