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Apolline

  • Fr. Guy

Ou la prière sans défaut

Apolline Dukuzemariya : Pourquoi je leur ai pardonné. Récit recueilli et mis en page par Joël Reymond. Dépôt légal : BCUL 2018, 207 p.

J’avoue que cet ouvrage m’est tombé entre les mains lors d’une circonstance fortuite. C’est le nom de l’auteure, manifestement rwandais, qui a attiré mon attention. De même que son titre qui à première vue faisait allusion au génocide qui a meurtri le Rwanda en 1994. J’allais pourtant négliger cet ouvrage pour en avoir lu tant d’autres sur le même sujet et de la même veine, quand je découvris le nom du préfacier, le professeur Innocent Himbaza, maître d’enseignement et de recherche à l’université de Fribourg, Cette autorité académique cautionnait le contenu de ce livre et m’encourageait à le lire. Je lui en suis reconnaissant.

Ce récit m’a fort intéressé, même si sa rédaction et sa relecture furent confiées à des personnes proches de l’auteure qui inspira ces lignes. Son point de départ et celui de son arrivée sont loin de m’être étrangers. Apolline est née, a grandi, s’est mariée, a vécu à Butare et dans ses faubourgs, alors que je venais moi-même de passer quelques années dans cette région du sud du Rwanda. Tous les lieux et institutions qu’elle évoque me sont connus. Après des souffrances indicibles dues au génocide, traversées avec un courage et une volonté de vivre inouïs, je la retrouve quasi chez moi avec son mari, ses enfants et petits-enfants, devenue ma compatriote, propriétaire d’une coquette maison familiale située dans une charmante ville vaudoise. Après ce parcours de combattante, son récit se termine donc en happy-end. Mais est-ce bien le terme du parcours ? Plus directement, ce livre est-il vraiment un récit de vie ? Je ne suis pas prophète pour répondre à la première question, mais lecteur suffisamment averti pour donner un avis sur la seconde : ce livre est d’abord la prédication d’une pasteure, plutôt qu’une histoire de vie.

Une prédication sans doute enrobée dans un témoignage personnel poignant, parsemé d’événements douloureux dont l’horreur génocidaire est au premier rang de l’abominable. Mais une prédication tout de même, avec une teinte de prosélytisme qui veut séduire de nouveaux adeptes à rejoindre une Eglise constituée de « born again », d‘hommes et de femmes « renés » en Christ, après avoir végété formellement dans une dénomination pour des raisons sociales et familiales, sans n’avoir jamais adhéré au Christ en personne libre et responsable. Loin de moi de mettre en doute la chaleur et la piété de ces groupements, ni leur sincérité, qui sous certains aspects suscitent mon admiration. Je m’en tiens toutefois au témoignage d’Apolline et lui souhaite que son nouvel entourage helvétique la rende attentive à l’espace œcuménique qui règne dans son pays d’adoption. Il arrive à l’Esprit de souffler aussi sur ceux d’en-face.

Ceci dit, je me permets quatre remarques. La première, élogieuse, concerne les pages du livre qui décrivent le milieu familial où grandit Apolline. Tout particulièrement, le sort pénible et humiliant réservé aux femmes et aux jeunes filles. Cela est dit sans fard, sans détour ni fausse pudeur. Sans aigreur non plus. Des mots vrais qui n’empêche pas l’affection.

La seconde remarque concerne la prédication de la pasteure. Si je l’ai bien comprise, tout ce qui nous arrive, de bien ou de mal, est le produit de la prière. La Providence transforme en avantages nos souffrances, nos désarrois et même nos atermoiements. Elle a libéré Apolline de ses « massacreurs », mais elle a aussi permis à son mari de décrocher un diplôme médical et à toute la famille d’obtenir le fameux sésame qui fit sauter le verrou de la porte bien capitonnée de la Confédération suisse. Il se pourrait que le diable fasse partie du parcours. Mais, une fois de plus, la Providence veille à tout et fait tourner au bien le mal qui pourrait nuire à ceux qui aiment Dieu.

Le lecteur bienveillant et intelligent l’aura compris. Cette remarque n’est ni caustique ni polémique. Elle veut simplement mettre l’accent sur le sérieux de la prière, sans donner aux incroyants des motifs faciles de dérision. Peut-être, une lecture commune et attentive entre chrétiens divers des pages d’évangile qui abordent cette question complexe devrait-elle nous aider à voir plus clair. Qu’en pensez-vous, chère Apolline ? Seriez-vous partante ?

Ma quatrième et dernière remarque concerne le pardon de l’auteure à ses bourreaux. Elle en fait allusion dans le titre qu’elle donne à son livre. Certains avec raison pensent découvrir dans ce geste le cœur même de l’ouvrage. Elle puise la force de le faire dans le pardon que Jésus donne à ses bourreaux, comme s’ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Pour y parvenir, Apolline fait défiler un par un chacun de ses agresseurs. Si elle le savait, elle prononcerait leur nom, pour être débarrassée à tout jamais de ces ignobles personnages, retrouvant ainsi sa liberté et sa paix intérieures. Elle utilise la même démarche pour faire face à d’autres agressions mineures, comme certains comportements xénophobes dont elle fut occasionnellement la victime sur le territoire suisse. Evidemment, le pardon donné ne relève pas de l’obéissance externe à un commandement, mais d’une disposition intérieure personnelle. Apolline peut faire valoir son expérience. Elle lui donne le goût de revivre et redouble ses énergies. Elle fait bien de nous en parler.

Un très beau livre !

(image : rdf.ch)

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