Blog

Dieu en Afrique

  • Fr. Guy

Regard théologique

Me parvient le dernier livre du théologien congolais (RDC) Bénezet Bujo, intitulé : « Elus en lui avant la fondation du monde. Une approche africaine pour comprendre la grâce ». Ce livre de 304 pages a paru cette année 2022 à Bâle, aux Editions Schwabe Verlag.

Cet ouvrage est le neuvième volume de la collection « Théologie africaine » dirigée par un groupe de professeurs de la Faculté de Théologie de l’Université de Fribourg.

Trois autres ouvrages de Bujo ont déjà paru dans cette collection. Il n’est pas sans intérêt de les mentionner.

   -  Le Credo de l’Eglise en dialogue avec les cultures. Existe-t-il une manière africaine de croire au Dieu de Jésus-Christ ? 2016.

   La vision africaine du monde, Pour un enseignement social de l’Eglise sans loi naturelle, 2018.

   -  Quelle Eglise pour un christianisme authentiquement africain ? Universalité dans la diversité, 2020.

Faisons encore mention d’une œuvre précieuse de Bénezet Bujo, en collaboration avec Juvénal Ilunga Muya. Elle offre en deux volumes parus à Fribourg, en 2002 et 2005 intitulés « Théologie africaine au XXIème siècle. Quelques figures » un panorama où s’affiche le portrait intellectuel de plusieurs théologiens chrétiens du continent africain. Sous le nom de chacun, une rubrique de quelques pages rédigées par un spécialiste du personnage en question. Davantage qu’un répertoire ou un dictionnaire, ces deux volumes sont une véritable mine appelée à être encore exploitée. Nous espérons la parution d’un nouvel ouvrage présentant une liste mise à jour des théologiens africains. Vingt ans se sont en effet écoulés depuis la sortie des deux volumes de Bujo. Notre professeur retraité, né en 1940, trouvera-t-il encore la force pour réaliser pareille entreprise ?

On aurait attendu que Bujo exerçât sa profession dans une faculté sise quelques part sur son continent natal. C’est pourtant à Fribourg en Suisse qu’il enseigna l’éthique et encore dans la langue de Goethe. Cet éloignement physique et culturel ne fut sans doute pas volontaire. De toute façon, Bujo ne renia jamais ses premières amours : la recherche de Dieu et des préalables évangéliques dans l’univers philosophique et religieux de l’Afrique précoloniale, celle qui précéda l’arrivée de missionnaires.

Le prophète ou l’inspirateur, reconnu ou non, qui imprégna la pensée de Bujo et de tant d’autres théologiens africains de sa génération fut sans doute le franciscain belge Placide Tempels (1906-1977) missionnaire au Katanga belge. Désespéré de ne pouvoir convertir les Congolais à un christianisme formulé selon les catégories mentales occidentales, ce missionnaire se mit à étudier la philosophie africaine dans le but de mieux adapter le message évangélique à ce système de vie et de pensée. Un livre majeur fut le fruit de ses recherches : « La philosophie bantoue », paru en 1945. La découverte majeure de Tempels fut le « principe vital », base de toute compréhension de l’homme et de la femme bantous.

Le but de cet article n’est pas de faire le bilan de la « théologie africaine ». D’autres s’y sont essayés. Ainsi le frère Emmanuel Ntakarutimana, dominicain burundais, défendit à l’Université de Fribourg une thèse intitulée : « Vers une théologie africaine. La théologie et le théologien au Congo. Projets et défis dans la période de l’après-indépendance (1960-1990) ». Cette thèse, publiée en 2002 aux Editions Universitaires de Fribourg, ne présente donc qu’un aspect partiel, localisé dans l’espace et le temps, de ce vaste mouvement théologique dont les frontières dépassent assurément celles du Congo et même celles de l’Eglise catholique du continent africain. Des théologiens réformés s’y sont aussi intéressés.

Si Emmanuel Ntakarutumana avait choisi de porter son regard sur le Rwanda et le Burundi, deux pays qu’il connaît bien, il aurait pu citer son compatriote Michel Kayoya et au Rwanda l’Abbé Alexis Kagame, Mgr Aloys Bigirumwami, son frère dominicain Bernardin Muzungu et même le Père Dominique Nothomb. Autant de penseurs catholiques qui estimaient que l’évangile était déjà contenu dans la religion ancestrale africaine, comme les « semina Verbi » – « Les semences du Verbe » – étaient présentes dans les œuvres des philosophes grecs qui précédèrent le Christ. Du moins, tel que le prétendaient certains penseurs chrétiens des premiers siècles.

N’imagions pas que cette mouvance théologique dont Bujo est un bon représentant fut la seule à motiver les théologiens africains. Elle fut contestée par certains d’entre eux. Je ne mentionne que l’ouvrage du dominicain camerounais Eloi Messi Metogo (1952 – 2017) : « Dieu peut-il mourir en Afrique ? Essai sur l’indifférence religieuse et l’incroyance en Afrique noire », paru chez Karthala en 1997. Un essai qui démystifie singulièrement la religion ancestrale et ramène l’Africain au niveau de sa réalité quotidienne, bien en-deçà des illusions de ses premiers théologiens.

Je me permets, dans ce contexte, de rappeler le nom de Jean-Marc Ela (1936-2008), lui aussi prêtre camerounais, à qui vient d’être consacré un ouvrage collectif récent, édité en 2022 chez Karthala : « Jean-Marc Ela. Une éthique de la transgression ». Ela, engagé pour la justice sociale, pourrait être un émule de la théologie de la libération latino-américaine. Il fit ses armes en vivant avec les Kirdi, peuple de paysans pauvres des massifs montagneux du Nord de son pays. Poursuivi et menacé de mort, il trouve refuge au Canada en 1995 et mourra sur cette terre d’exil. Un écrivain togolais a publié ses entretiens avec Ela dans un ouvrage paru aux Editions L’Harmattan en 1999 au titre suggestif : « Jean-Marc Ela. Le sociologue et théologien africain en boubou ».

La théologie africaine présente bien des visages et n’a pas encore dit son dernier mot. Elle s’élabore dans le silence des bibliothèques ou dans les amphithéâtres universitaires. Mais, comme toute théologie chrétienne, sa pertinence se vérifie là où vivent et meurent les hommes. Plus proche de la Parole incarnée que de la brillance du discours académique.

© Schwabe Verlag

Retour

Commentaires

×

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner un nom valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner une adresse email valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Google Captcha Is Required!

Vous avez atteint la limite de commentaires !

* Ces champs sont requis.

Soyez le premier à commenter