Cathédrale : un vocabulaire confus

« La Liberté », Fribourg, 17 avril 2024

Dans le Foyer pour malvoyants qui me reçoit, je m’amusai il y a peu de voir sursauter un de nos lecteurs bénévoles à la vue de ce titre repéré sur une page d’un de nos quotidiens romands : « La cathédrale de Fribourg fête son premier centenaire », alors que les archéologues nous disent que cet édifice a été construit entre 1263 et 1430, remanié et restauré plusieurs fois depuis son édification. Notre bénévole bienveillant confondait le bâtiment avec sa fonction. Je me suis amusé aussi à lire la liste des manifestations programmées pour célébrer ce centenaire : des concerts d’orgues et de chœurs, des visites guidées et documentées. Bref, beaucoup de culture, mais rien d’ecclésial ou de religieux. On ne parle que de pierres peintes ou sculptées, mais pas de l’Église de Jésus-Christ. Je suis prêt à m’excuser et rectifier mes dires si ma malvoyance était seule responsable de cette myopie journalistique.

En fait, il s’agit de la transformation en 1924 d’une collégiale en cathédrale. Étymologiquement, une bâtisse où l’évêque a sa « cathèdre », le siège d’où il enseigne et administre la portion du peuple de Dieu qui lui est confiée. Depuis cent ans, les voûtes gothiques de Saint-Nicolas de Fribourg abritent une telle cathèdre. L’événement vaut la peine d’être souligné.

Le diocèse de Lausanne qui depuis ses origines intégrait la région fribourgeoise est plus ancien que l’église de Fribourg dédiée à Saint-Nicolas. L’évêque avait alors sa résidence et sa cathédrale dans la ville de Lausanne. Une situation qui dura jusqu’au 16ème siècle quand il fut chassé de son siège et de ses terres par les conquérants bernois protestants.

Réfugié en Franche-Comté, puis en Savoie, l’ancien évêque de Lausanne sollicita un jour des autorités fribourgeoises demeurées catholiques la permission de vivre sur leur territoire, comme un requérant d’asile, sans porter le titre d’évêque de Fribourg. Évêque résident à Fribourg, mais sans cathèdre dans cette ville. Assurément une bizarrerie ecclésiastique qui prit fin en 1924. On peut comprendre ce très long délai.

La raison est la suivante. Depuis le début du 16ème siècle, le pape Jules II institua à Fribourg un chapitre ou collège de chanoines avec ses titres, ses droits et ses devoirs. Son prévôt était mitré et crossé. La ville de Fribourg en l’absence d’un évêque résident chez elle ne demeura donc pas sans clergé local. Elle disposait d’une « collégiale » dont les chanoines, souvent choisis au sein de l'aristocratie veillaient au service pastoral en accord avec le pouvoir politique. Et cette situation dura fort longtemps. Je ne suis pas centenaire, mais je me souviens du temps où les chanoines étaient nommés par le Conseil d’État et le prévôt élu par le Grand Conseil. La venue d’un évêque résident à Saint-Nicolas, sans supprimer le chapitre mais en limitant ses droits, faisait de la collégiale une cathédrale. Un événement qui sera commémoré au cours de cette année 2024.

Une rectification qui n’est pas seulement verbale, alors que par anachronisme on parle encore de cathédrale à Lausanne et à Genève. Depuis 1924, l’évêque de notre diocèse pluricantonal n’a qu’une seule cathèdre et une seule cathédrale situées à Saint-Nicolas de Fribourg.

Des lecteurs que je puis comprendre trouveront anodines ces précisions, alors que notre monde passe par des zones de turbulence qui n’épargne pas notre Église. Peut-être est-ce le temps de nous souvenir que le vrai Temple de Dieu n’est pas fait de mains humaines, mais d’hommes et de femmes unis et mis en mouvement par le souffle de l’Esprit. C’est au milieu de ce peuple vivant que l’évêque a sa place. Le bâtiment d’où il parle n’est que décoratif.