Catherine de Sienne

« Comme on connaît les saints on les honore ! » Le dicton est malicieux. On honore les saints dans la mesure où ils nous sont utiles. L’hagiographe le sait, lui qui met en vedette tel ou tel aspect de la vie d’un saint dans le but de nous « édifier », tout en occultant d’autres traits du personnage qui pourraient nous offusquer ou nous scandaliser.

C’est bien ainsi que pendant de longues années mon regard se porta sur sainte Catherine de Sienne (1347-1380). On me l’avait présentée comme une mystique dominicaine promise à une mission ecclésiale de premier plan : ramener à Rome le pape qui siégeait alors en Avignon.

J’ai attendu soixante ans avant qu’un historien de métier n’épurât ma vision idéalisée. Il libérait la sainte de ses auréoles factices et me révélait une Catherine plus proche, j’allais dire, plus sympathique. Et pas moins sainte pour autant. Je dois à l’historien André Vaucher ce travail purificateur (Catherine de Sienne, Cerf, 2015).

Jusque là, les hagiographes dominicains s’étaient servis de Catherine pour promouvoir une réforme de leur Ordre. Ou alors, pour s’en faire une alliée et même une championne dans la course à la prééminence spirituelle où s’affrontaient franciscains et dominicains de cette époque. Les stigmates de Catherine valaient bien celles de saint François, même si les franciscains s’en étaient fait une marque déposée. Par ailleurs, le combat mené par Catherine pour ramener le pape à son siège romain tenait plus de sa volonté de pacifier les villes toscanes que d’une conviction ecclésiologique. Même si Catherine donnait au pape le titre de « vicaire du Christ sur la terre ».

C’est surtout la personne de Catherine et non plus son personnage qui fait l’objet de la recherche de l’historien profane. Et tout d’abord « ses passions ». Passions humaines sublimées en expériences mystiques, force de caractère évoluant en autoritarisme. Le « je le veux! », est une expression favorite de Catherine. Son goût immodéré du sang comme métaphore de l’amour, ses difficultés relationnelles avec sa mère jusqu’au jour où cette dame entra dans sa famiglia. Une jeune fille pas si inculte qu’on a pu le faire croire ; elle savait lire et même écrire et elle en a donné la preuve à travers la correspondance qu’on lui attribue. Plus encore que son «Dialogue », ces lettres constituent le corpus indispensable qui permet de tracer avec certitude son itinéraire de vie et les riches facettes de son tempérament.

L’iconographie traditionnelle représente souvent Catherine au côté de saint Dominique, recevant l’un et l’autre d’une Vierge à l’enfant le chapelet ou le rosaire dont les mystères servirent pendant des siècles de canevas à la prédication populaire des Frères Prêcheurs. Il est vrai que l’on ne prête qu’aux riches. Ni Catherine ni Dominique n’égrenèrent un chapelet de leur vivant. Mais le patronage des deux saints donnait à cette dévotion ses lettres de créance.

Nous sommes redevables à André Vaucher de nous avoir restitué notre Catherine simple et… naturelle. Je suis conscient que ce « traitement » paraîtra réducteur, minimaliste et même sacrilège à certains de ses dévots. Mais la vraie sainteté – celle de Catherine – n’a pas besoin d’artifices pour se présenter. Elle git et s’épanouit dans l’épaisseur et au cœur de sa vie, là où l’homme et la femme rencontrent leur Dieu et ses créatures. Un procès de canonisation ne fait apparaître que la pointe d’un iceberg dont l’essentiel nous échappera toujours.

J’ai connu un « saint homme », bon thomiste en l’occurrence, qui se plaisait à répéter que « la surnature est la nature sure ». Autre façon de reconnaître que Dieu imprime sa marque sur le visage de l’homme vivant. Inutile de porter un masque pour se faire valoir devant Lui. Il suffit de refléter dans sa vie « ordinaire » le portait du Créateur et du Sauveur.