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« Ars moriendi »

  • Fr. Guy

Le journal d’un chartreux

Un livre sur ma table : « Mort d’un chartreux » (Éditions du Rocher 2022). Il m’interpelle presque à chaque page, même si j’ignore tout de son auteur, Gérard Vincent, pétri dans l’humus catholique et habité par des poètes de sensibilité chrétienne.

Gérard Vincent présente son ouvrage comme un roman, alors qu’en fait son livre prend la forme d’un journal rédigé par un chartreux imaginaire de 56 ans à quelques mois de sa mort annoncée. Ce religieux est pleinement conscient que sa tumeur cancéreuse cérébrale ne lui donne aucune chance de survie.

Cette pathologie n’a rien d’extraordinaire, mais elle le devient dans le cadre précis de ce roman. Cet homme fiancé, promis à un brillant avenir professionnel, est frappé avant sa trentaine d’une profonde dépression. Evoluant en schizophrénie, la maladie le conduit en clinique psychiatrique. Une voix mystérieuse perçue au cœur de cet « enfer » lui permet de reprendre pied et l’amène à La Grande Chartreuse, saisi par le silence du monastère et son grandiose décor alpin. Il y trouve une paix qui lui permettra un jour d’envisager sans angoisse mais avec foi et sérénité la perspective de quitter un monde qu’il a tant aimé.

La proximité de son départ le libère de tout schéma artificiel et conventionnel. Il n’a plus rien à perdre, ni de compte à régler. Un seul désir l’habite : répondre une dernière fois à la voix qui vingt-six ans plus tôt l’avait arraché à la mort et l’ouvre aujourd’hui à une vie sans fin.

***

Annexe

Voici en annexe quelques propos glanés dans le journal de ce moine pas si imaginaire qu’il paraît :

« A vrai dire, écrire pour soi, écrire un journal est sans doute ce qu’il y a de plus étranger à une vocation de moine. Et un journal, même ultime, est une écriture pour soi. Une béquille, un viatique. » (op.cit.p.19)

« Au départ, un appel, un sommet de montagne qui déchire le ciel. Puis disparaît. Parfois très longuement. On continue cependant à marcher. Ma génération, plus que d’autre, a connu les grands vents desséchants de la révolte et le goût amer de la déchéance que tous les hommes de ce temps, qu’ils le sachent ou non, portent en eux comme un mal caché et insidieux. (…) J’ai vu le monastère comme un lieu de reconquête après la débâcle, la catastrophe intime, mais nul ne peut rester ici sans qu’un Père l’y invite et le garde à demeure. » (op.cit.p 29-30)

« Je cède à une faiblesse en écrivant ce journal. Mais c’est faible et démuni que je me présenterai bientôt devant le Mystérieux. Je n’oublie pas que le Maître, lui, n’a rien écrit. Celui qui n’écrit pas est le moyeu des Ecritures. » (op.cit.p.31)

« Jamais je n’ai eu autant d’attention aimante pour le Présent, la merveille du Présent, depuis que je vis jour après jour la fin du séjour terrestre. Je n’ai aucune imagination pour ce qui viendra après. Je crois que l’amour est fait d’une même étoffe de part et d’autre de notre vie corporelle, et je m’en remets à cela. » (op.cit. p.40 )

« L’endurance, c’est la mort envisagée. La mort venue au visage et au regard et reconduite par l’espérance et la prière vers ce lieu où elle est attendue et retrouvée. Ce langage est presque inaudible aujourd’hui. L’intelligence humaine a horreur de l’abandon, du lâcher-prise comme la nature a horreur du vide. Et pourtant ! Sans cet abandon qui est une vertu d’enfance, du petit enfant, impossible d’entrevoir le cœur, le temple et le paysage sans nom sur lequel ils ouvrent : le Royaume. » (op.cit. p.60)

« Jésus aujourd’hui n’a que faire du christianisme (…) Il est bien plus loin déjà. Ce qui l’intéresse aujourd’hui (…) ce sont les hommes, un par un, singuliers dans leur bouleversante nudité et dans leur désir profond de devenir des vivants. » (op.cit.p.65)

« Il y a pour l’homme deux livres et deux jardins : la création et l’Ecriture. (…) Et placé au centre de ces deux jardins, l’homme a la même tâche : une tâche de jardinier. » (op.cit.p.103)

« La faim spirituelle est la plus terrible parce que la moins visible. L’Occident est le tiers-monde de la spiritualité, disait Sulivan. Et celle-ci ne reviendra pas par des modes ou des greffes (…) mais par l’éveil à une des consciences qui s’embrasent et se reconnaissent. » (op.cit.p.100)

« Notre avant et notre après ne doivent pas trop nous préoccuper. Nous n’avons pas vraiment de prise réelle sur leur réalité ultime. Mais notre présent, notre maintenant, nous devons le servir, le nourrir, le chanter, le glorifier. » (op.cit.p.91)

« Le pain quotidien, c’est le temps accepté, médité, intériorisé. La beauté de l’espace et la saveur du temps sont les rives de la contemplation. Mais cela est tellement simple que seul un petit nombre de vivants en prend le chemin. » (op-cit.p. 63)

Monastère de la Grande Chartreuse, à Saint-Pierre-de-Chartreuse, Isère, Rhône-Alpes (cette photo est sous licence internationale Attribution 2.5 Generic (CC BY 2.5))

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