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Comme Jésus, Kibogo est monté au ciel !

  • Fr. Guy

Le dernier roman de Scholastique Mukasonga

Le dernier livre de Scholastique Mukasonga paru cette année 2020, intitulé : « Kibogo est monté au ciel » est édité chez Gallimard comme ses œuvres précédents. Cette référence éditoriale est déjà une consécration littéraire pour l’auteure, née au Rwanda, réfugiée au Burundi, avant d’émigrer en France où elle réside actuellement.

Toute son écriture se réfère au Rwanda qu’elle a connu dans ses jeunes années, mais surtout au Rwanda idéal et imaginaire d’avant la colonisation et l’épopée missionnaire. En particulier, le Rwanda qui précéda la « révolution sociale » de 1959 qui mit fin au régime monarchique qui imposait sa tutelle au pays des Mille Collines.

L’auteure a puisé sans doute son inspiration après de sa vieille maman qu’elle a immortalisée dans un petit chef d’œuvre « La femme aux pieds nus » (2008). Mais son roman jusqu’ici le mieux connu est « Notre-Dame du Nil » (2012) où elle décrit l’atmosphère délétère d’un collège de jeunes filles rwandaises – était-ce le sien ? – en proie à la discrimination et aux violences ethniques, signes avant-coureurs du génocide qui allait survenir trente ans plus tard.

 

La thématique du dernier roman de Mukasonga – celui qui fait l’objet de cette recension – est un de ses sujets de prédilection : faire apparaître le christianisme introduit au Rwanda par les missionnaires Pères Blancs comme facteur d’une double destruction : l’abolition de la religion ancestrale et la suppression du système féodal qui deviendra effective à la fin des années cinquante. Le pouvoir et l’influence des missionnaires étaient alors considérables, tant sur les autorités coloniales que sur de très larges couches de la population.

Si le cadre géographique du roman reste flou, on ne peut en dire autant de la période où l’auteure situe l’action qu’elle décrit. Les faits se passent au cours des années trente du siècle dernier, alors que le colon belge, soutenu et conseillé par le missionnaire, venait de destituer le vieux roi païen Musinga et instaurer pour prendre sa place son fils Mutara, baptisé et dévoué à leur pouvoir. Tout le monde au Rwanda connaît ce revirement politique et religieux. On parlait dans les publications missionnaires de l’époque d’« Esprit-Saint qui soufflait en tornade ». Il y avait en effet pléthore de baptêmes sur les collines. Mais étaient-ce de vraies conversions ou plutôt l’alignement populaire au nouvel ordre établi ?

Je me suis étonné en lisant ce roman à thèse de la vraisemblance des comportements et du langage prêtés par l’auteure à ses personnages prétendus imaginaires. Scholastique Mukasonga est remarquablement informée. Bien sûr, elle n’ignore pas l’usage de la caricature et des clichés. Les missionnaires barbus qui n’ont à la bouche que le mot « enfer » ne sont pas les seuls à en faire les frais. Les anthropologues « francs-maçons » qui procèdent à des enquêtes sur la religion traditionnelle ne sont pas épargnés eux non plus.

Enfin, l’intrigue au service de la thèse défendue par Mukasonga est secondaire et simpliste. Quels sorciers ou devins parviendront à faire tomber la pluie du Ciel sur un Rwanda asséché et affamé ? Les rogations des Pères Blancs ou les incantations des « prêtres » d’autrefois ? L’auteure ne choisit pas. Les rites cohabitent et se confondent. Akayezu, le séminariste défroqué, est un bon indice. Retourné aux anciens rites divinatoires, il les colore de pratiques et de croyances chrétiennes. Comme le Jésus des Blancs, son héros rwandais Kibogo se sacrifie pour le salut de son peuple, monte au ciel et promet son retour.

Ce syncrétisme est-il la nouvelle religion de Scholastique qui voudrait recoudre la tunique déchirée de son pays natal ? L’écrivaine franco-rwandaise se garde bien de l’affirmer.

© Éditions Gallimard

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