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Conflit ou amitié entre les civilisations ?

  • Fr. Guy

Deux Prêcheurs ouvrent une piste

« Prêcheurs », le bulletin de liaison de la province dominicaine de France consacre quelques pages de sa dernière édition (juin 2021) au frère Henri Dominique Saffrey récemment décédé, après avoir célébré au Champagne son centième anniversaire.

« Il était un grand savant…l’un des derniers de cette tradition de dominicains français depuis au moins le début du vingtième siècle », commente le frère Régis Morelon qui lui rendit hommager lors de ses obsèques le 27 mai dernier. Voilà qui campe bien son personnage. La bibliographie de Henri Dominique Saffrey compte 289 entrées et la dernière référence date de 2018. Il avait alors 97 ans !

Ce que j’estime chez ce frère, plus encore que sa longue et austère fidélité à la recherche et l’édition, est son souci concret de rejoindre l’humble peuple de Dieu qui n’avait guère accès à ses œuvres scientifiques. Il ne voulait pas être « déconnecté », disait-il, de la réalité et désirait rencontrer des humains en chair et en os, hors des microfilms et des bibliothèques.

C’est ainsi que, bénévole, le Père Saffrey fit partie du groupe d’accueil des visiteurs de Notre-Dame de Paris, établissant de nombreux contacts et même, quand on le lui demandait, exerçant son ministère de réconciliation.

On le retrouve aussi animateur spirituel au sein d’un groupe de pèlerins désireux de mettre leurs pas dans ceux de saint Paul, un apôtre qu’il affectionnait particulièrement depuis que le Père Maydieu, qui l’avait orienté vers l’Ordre, lui avait conseillé d’en lire les Lettres. Un livre paru en 1991 dans la collection « Lire la Bible » intitulé « Histoire de l’apôtre Paul » exprime non seulement l’intérêt de l’historien pour « l’apôtre avorton », mais encore son attachement personnel à ce personnage.

Le frère Henri Dominique – notre contemporain ? – eut aussi son maître dont le nom fut évoqué à l’occasion du décès du disciple : le Père André Jean Festugière (1898-1982) qui l’initia à la littérature de l’antiquité gréco-latine, en particulier à Proclus dont il allait devenir l’éditeur, le traducteur et le commentateur.

Le nom « Festugière » éveille en moi le souvenir de « L’enfant d’Agrigente », un livre que je lus avec enthousiasme dans ma jeunesse dominicaine. Non seulement le Père Festugière était un immense savant renommé bien au-delà de son Ordre, mais il savait se faire comprendre à travers des ouvrages accessibles au commun des mortels.

« L’enfant d’Agrigente » paru 1941 était de ceux-là. Un livre auquel son auteur tenait particulièrement au point de souhaiter qu’il fut le seul à survivre, si par malheur toutes ses autres œuvres venaient à disparaître. Le Père Saffrey eut la bonne idée de rééditer ce livre en le commentant et l’amplifiant en 2006. Mais que contenait-il de si particulier ?

Non pas la confrontation entre le paganisme antiques et le christianisme naissant, ni la dissolution du premier dans le second ou l’inverse, mais leur distinction et peut-être aussi leur convergence et même leur complémentarité. Autrement dit, quoi de commun entre Socrate et Jésus ? Une phrase de Festugière me fera comprendre : « Il reste que l’Evangile est d’un autre ordre et qu’on a le droit peut-être d’aimer ce qui est aimable chez l’homme antique tout en restant chrétien ».

Je mesure aujourd’hui l’actualité et la pertinence de cette réflexion. Alors que nos contemporains on tendance à opposer les civilisations et même à les dresser les unes contre les autres, nos deux frères veulent construire des ponts. Refusant le syncrétisme, ils reconnaissent toutefois l’originalité de chacune, mais aussi leurs richesses qui devraient les faire aimer de tous. Ils ont pris la peine et le temps de les connaître ; ils peuvent donc en parler avec compétence.

Je considère donc les frères Festugière et Saffrey comme des avant-coureurs et des ouvreurs de pistes vers un monde, divers sans doute, mais enfin pacifié.

L'École d'Athènes de Raphaël (détail), 1509 – 1511, palais apostolique (image : Rafael Edwards/Flickr. Cette photo est publiée sous licence internationale Attribution-NonCommercial 2.0 Generic (CC BY-NC 2.0))

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