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Dans la fabrique des identités

  • Fr. Guy

Embarras, dérives et ouvertures

Individualisme ? Communautarisme ? Le débat est ouvert et prend de plus en plus une tournure violente dans les parlements et dans la rue. Suis-je le seul guide de ma vie ? Ou dois-je tenir compte d’un groupe (religieux, culturel, national, ethnique etc.) auquel j’appartiens ou dont je me réclame ? Autrement dit, comment se construit mon identité ?

Philippe Chanson, théologien et ethnologue genevois, a tenté d’y voir clair dans un essai remarquable par sa précision et sa densité. Une soixantaine de pages, paru cette année aux Editions Ouvertures à Lausanne. Son titre : Dans la fabrique des identités : embarras, dérives, ouvertures.

Un excellent compte-rendu de cet opuscule a été rédigé par Madame Corinne Mencé-Caster, de la Sorbonne-Université. Cette recension a été reproduite dans le site de la Plateforme interreligieuse de Genève. Les responsables de cette Plateforme m’ont aimablement autorisé à en citer quelques extraits.

« Dans une démarche en trois étapes qui est en réalité une démonstration implacable, Philippe Chanson entreprend ainsi d’explorer les embarras, puis les dérives et enfin les ouvertures qui sont liés à cette « fabrique des identités ».

Il montre tout d’abord comment il serait incohérent de considérer l’identité singulière comme une inexorable permanence de soi à soi, alors que toute existence humaine est traversée de rencontres et d’imprévus qui mettent en perpétuel mouvement ce que tout un chacun a le sentiment d’être. C’est là le propre, insiste Chanson, d’une identité vivante.

Poser ce jalon lui permet ensuite de souligner l’illusion qui consiste à parler d’identité collective quand celle-ci recoupe une multitude d’identités singulières, elles-mêmes constamment sujettes au changement. Qu’elle soit dite « nationale » ou encore « religieuse », l’identité collective est donc une nébuleuse ou encore une étiquette qui masque les multiples appartenances de tout un chacun.

L’approche culturaliste, en réifiant par la culture l’identité reconnue à un groupe, participe de cette imposture consistant à subsumer la personnalité individuelle sous la personnalité collective, en postulant une sorte d’irréductibilité des différences entre les groupes. C’est alors la porte ouverte à l’ethnicisme et aux nationalismes qui sont autant de manifestations de crispations identitaires dont la forme la plus aboutie est « l’identitarisme ».

(…)

Le langage tend à durcir la réalité si on n’y prête garde et le mot « identité » a la fâcheuse tendance de renvoyer à la clôture des êtres sur eux-mêmes au lieu d’ouvrir ces derniers à l’infini du monde. C’est ce que démontre remarquablement Philippe Chanson qui, plutôt que d’« identité collective » ou d’ «identité religieuse », préfère parler de « traits culturels », les individus s’aménagent des marges de liberté et de choix dans la dynamique potentiellement écrasante du groupe.

Toutefois, en regard des usages linguistiques qui font la part belle au mot « identité », il reste difficile de changer les référentiels et les habitudes de langage. Pour trouver une issue à cette impasse, Philippe Chanson propose de « repenser l’identité en sortant des schémas classiques et des lexiques rédhibitoires » : la question pertinente dès lors n’est plus « Qui suis-je ? » mais « D’où suis-je ? », question plus à même de répondre à ce tourbillon d’appartenances qui emporte l’individu loin de cette identité singulière qu’il croyait porter à l’origine. Il n’empêche, reconnaît le théologien, que, dans le domaine religieux, il s’avère souvent difficile pour le sujet d’investir les espaces de respiration et de liberté, surtout quand son « identité religieuse », lui est assignée du dehors par la toute-puissance d’un groupe dont l’injonction plus ou moins avouée est « soumets-toi » ou « démets-toi ».

Ce primat du groupe sur l’individu se comprend mieux lorsque l’on prend en compte les biotopes et signes du religieux qui, de manière multiséculaire, ont façonné les appartenances religieuses en marquant les identités dites singulières de signes collectifs plus ou moins bien perçus du dehors. Là encore, prévient le théologien, surgit le risque de dérisions et de stéréotypes qui occultent la part toujours possible des identifications et des multi-appartenances que l’individu se choisit, montrant que c’est le différent, et non l’identique, qui structure le « vivant ». L’angoisse imaginée de se perdre dans l’Autre, dans le différent est ce qui entrave le mouvement si puissamment fécond de l’ouverture au Divers du monde, alors même que, de se laisser porter sans se soucier de qui on doit être, serait source de refondations permanentes de soi et des autres. La seule identité possible est alors ce que nous allons devenir.

Tel est l’enjeu final : sortir du piège de l’identique, du stable pour s’ouvrir au différent, à la diversité. (…) Philippe Chanson nous invite ainsi à renoncer à l’inertie du singulier pour embrasser les énergies du pluriel et réussir à vivre nos multiples humanités.

(image : pxfuel.com)

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