Blog

De 7 à 77 ans

  • Fr. Guy

Au-delà et en deçà

A 7 ans, disait-on jadis, l’enfant atteint l’âge de raison. Mais au-delà des 77 ans, l’adulte redevient irraisonnable. Entre ces deux dates fatidiques, place au plaisir de lire et relire les aventures de Tintin, à la chance de pèleriner aux quatre coins du monde et, si possible, à la vanité de se faire un nom et laisser derrière soi quelques traces de son passage. 

Je ne me souviens guère des années qui ont précédé la première limite, mais j’ai largement franchi la deuxième frontière. Il m’arrive même de me plaire dans cette troisième et ultime étape et de ne point trop regretter la précédente. Même si un verset psalmique reconnaît que les années qui suivent la huitantaine ne sont que « peines et misères ». Ce qui n’empêche pas notre Psautier de faire l’éloge de quelques intrépides survivants qui « vieillissant, fructifient encore ». Comme ces oliviers centenaires qui persistent à donner du fruit.

Ceci, hélas, n’est pas la règle générale, même si elle concède quelques notables exceptions. A notre époque, François de Rome et Joe de Washington en sont de bons exemples. Je me refuse par contre d’évoquer les noms d’autres vieillards qui ont semé ou sèment encore la mort sur leur passage. Il aurait mieux valu pour le salut de l’humanité que ces nonagénaires maléfiques fussent « parqués dans le troupeau des enfers que la mort mène paître ». Encore une citation des Psaumes, décidément d’une redoutable sagesse.

Il m’arrive, mais à mes risques et périls, de franchir la ligne rouge qui m’interdit de déserter le camp qui est devenu le mien. Je me garderai bien de me vanter que « vieillissant je fructifie encore ». Je témoigne toutefois que mon âge que l’on dit « avancé » me permet de m’aventurer sur des terres jusque là inexplorées.

Et bien, vous allez rire, j’ai tendance à penser que Jean-Jacques Rousseau a raison de prétendre que l’homme est « naturellement bon ». La preuve ? Autour de moi et de mes bobos, une foule d’humains attentionnés dans les transports publics, les bureaux, les salles d’attente. Sans parler du personnel médical qui prend soin de ma petite santé. Une foule, vous dis-je, de « toute tribu, peuple etnation », alertée à la vue de ma canne blanche. Bien sûr, quelques réfractaires dans ce lot. Mais ils ne pèsent pas lourd face à cet ouragan de bienveillance.

Cette expérience bénéfique devrait contribuer à ma tardive conversion. On reproche souvent aux gens de mon âge, et non sans quelques raisons, d’être aigris, de mauvaise humeur, soupçonneux et méfiants. Sans doute, je ne suis pas isolé dans ce groupe de vieux pécheurs. Mais je ne supporte pas que l’on me traite comme un moins de sept ans confié à une crèche ou une école maternelle.

Même s’il est bon de ressembler aux enfants pour entrer dans le Royaume promis, je ne me sens pas encore suffisamment petit pour que l’on m’aborde avec des babillages. Encore heureux que l’on ne me traite pas de radoteur – ce qui pourrait à la rigueur me convenir – ou, pire encore, de « dément », sous-homme à qui manque une partie essentielle de lui-même. Personne n’oserait prétendre qu’un moins de sept ans puisse être dément. On réserve ce type d’injures à ceux qui ont dépassé les 77 ans.   

« Mens sana in corpore sano », disaient encore les anciens. Il est souhaitable que corps et âme fassent bon ménage. Mais le corps peut être gravement affecté sans que sa « mens » ne disparaisse. Seul lui fait défaut le cadre adéquat pour s’exprimer. Que savent les bien portants de l’univers intérieur et mystérieux de ceux qu’ils jugent « déments » ?Un continent infini que ces malades sont seuls à pouvoir explorer.

Énée, Anchise et Ascanius. Le Bernin, 1618-1620. Dans la Galleria Borghese à Rome (image : Wikiwand. L'image est sous licence internationale Attribution-ShareAlike 4.0 International.)

Retour

Commentaires

×

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner un nom valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner une adresse email valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Google Captcha Is Required!

Vous avez atteint la limite de commentaires !

* Ces champs sont requis.

Soyez le premier à commenter