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Des femmes muettes

  • Fr. Guy

Homélie pascale

Jérusalem, 7 avril de l’an 30. Premier jour de la semaine et lendemain de sabbat. Trois femmes pressées courent dans les ruelles de la ville sainte encore silencieuse et déserte en ce petit matin froid. Elles ont dans les mains des vases de parfums et des aromates dont on se sert pour embaumer ou honorer les corps morts des êtres chers dont on pleure le récent départ. Un geste d’hommage, comme celui de l’encens sur un cercueil lors d’une cérémonie d’adieu.

Voilà nos trois compagnes arrivées aux portes d’un cimetière, hors des murs de la ville, proche du gibet où voici deux jours étaient suspendus et exposés à la vue des passants trois malheureux suppliciés. Les trois femmes sont à la recherche du tombeau de l’un d’entre eux, celui de Jésus, le rabbi de Nazareth, vraisemblablement le seul des trois crucifiés à avoir reçu une sépulture décente.

Silence et solitude lugubre dans les allées du cimetière. Rien de comparable aux cris et aux chants jubilatoires de la foule de pèlerins agglutinés sur la Place St-Pierre de Rome un jour de Pâques, attendant sous le soleil de midi que le pape apparaisse à sa fenêtre pour leur donne sa solennelle bénédiction Urbi et Orbi.

L’ambiance de ce tout premier matin de Pâques, l’atmosphère délétère et le décor morbide de ce cimetière, pourrait avoir quelques similitudes avec la célébration pascale d’aujourd’hui. Me voici dans une église esseulée, les grandes orgues et les chœurs se sont tus, devant moi de tristes rangées de bancs et de chaises vides, à l’ambon un prédicateur qui donne l’impression de parler à des murs et autour de l’autel un homme qui préside un repas sans convives.

Et pourtant, dans ce cimetière si proche de Golgotha, une voix d’outre-tombe se fait entendre. Elle vient troubler la triste résignation de nos trois endeuillées : « Vous cherchez Jésus de Nazareth le crucifié ? Il est ressuscité ! Il n’est pas ici !». 

Cette nouvelle incroyable et incompréhensible rend muettes les trois femmes. Comme la Samaritaine qui laissa sa cruche au bord du puits, elles abandonnent sur place leurs précieuses aromates et s’enfuient à la course hors du cimetière, oubliant l’ordre que leur avait donné le messager céleste de répandre autour d’elles cette nouvelle. Car, « elles ne dire rien à personne ».

C’est par ces mots que se termine la version authentique de l’évangile ou de « la bonne nouvelle » transmise par l’évangéliste Marc, interprète de l’apôtre Pierre. Une finale pour le moins surprenante et quasi scandaleuse. Que signifie ce silence qui ne fut que provisoire ? Car il a bien fallu que les deux Marie et Salomé parlent un jour de ce qui leur était arrivé ce matin-là.

Je vous fais grâce des explications érudites fournies par les spécialistes en science biblique. Je ne retiens que celle-ci, conforme du reste à la lettre de l’évangile de Marc. C’est l’effroi ou la stupéfaction qui a rendu muettes ces trois femmes. La nouvelle était trop forte, trop invraisemblable pour qu’elles aient pu sur le champ y donner foi. Il leur a fallu du temps pour s’y habituer, pour s’approprier cette « révélation » qui allait peu à peu bouleverser leur vie, celle des disciples et, finalement, la nôtre aussi. Puisque notre foi en la résurrection repose sur leur témoignage.

Je ne résiste pas à citer à ce sujet un auteur italien contemporain, Sandro Veronesi, qui se présente comme agnostique mais amoureux de l’évangile de Marc : « Les gens qui devraient se réjouir ont peur, ceux qui devraient proclamer la résurrection se taisent…Marc s’arrête pour laisser à son lecteur/auditeur le temps de comprendre : il l’a emmené juste au-delà du seuil de la foi, mais il est conscient de la lenteur du processus de compréhension que requiert un phénomène aussi profond et troublant que la résurrection du Christ ; et, en un certain sens, il l’invite et même l’incite à en avoir peur. »

La balle est donc dans notre camp. A nous de nous interroger sur notre foi en la résurrection. A quoi la comparer ? A un brillant mais éphémère feu d’artifice sur un lac au cœur d’une nuit d’été ?  A un feu de paille qui fait jaillir quelques flambées avant de retomber platement dans la nuit qu’il voulait éclairer ? Je préfère l’image de la petite lanterne ou celle du falot-tempête dont la lueur faible mais tenace persiste sous la pression du vent et le souffle de l’ouragan. Ou encore, la petite lampe-veilleuse qui luit dans une chambre d’hôpital, signe d’une présence toujours offerte quand on y fait appel. C’est ainsi que l’extrême sobriété et pauvreté de la célébration pascale de ce jour exprime notre foi en la résurrection : une faible mais inextinguible lueur dans la nuit du monde et dans notre propre nuit.

Si la pandémie dont nous souffrons tous ne m’y avait pas empêché, j’aurais dû ce jour même porter ce message à une petite communauté paroissiale genevoise, située en lisière d’un quartier « chaud » de notre métropole. Elle ne dispose pas de puissants projecteurs ni de hauts parleurs tonitruants pour arroser de ses chants et sermons les immeubles voisins. Il lui suffit d’être là, silencieuse, veilleuse dans la nuit, germe d’une espérance de vie éternelle qui ne demande qu’à grandir et portera du fruit quand l’heure sera venue.

Enfin une dernière image qui elle aussi est une parabole de notre foi pascale. J’aime me recueillir, quand je puis le faire, devant la stèle funéraire de l’artiste chrétienne Madeline Diener au cimetière de Massongex, en Valais, là où repose cette grande dame. C’est elle qui en a conçu le motif. Gravé sur le granit, l’ange de la résurrection. Face à lui, trois femmes, trois attitudes singulières. La première, illuminée et exaltée, court seule vers l’ange qui l’éblouit ; la troisième, sous l’emprise du chagrin s’effondre et ne voit rien.  Mais alors la deuxième ! Avec une infinie tendresse, elle tente de relever sa pauvre compagne et de sa main lui montre, au loin, l’ange messager de vie. 

Cette femme devrait être notre modèle ce matin de Pâques confinées. Notre foi en la résurrection ne nous fait pas emboucher la trompette du jugement ni celle de la renommée. Nous la partageons humblement à « ceux qui gisent dans l’ombre de la mort ». Ensemble, nous marchons et boitillons vers la pleine lumière.

Un tableau peint par le frère Tomasz Biłka intitulé « Œuf de Hildegard de Bingen (Scivias, seu visionis lib. II, vis. 6) ». Impression convexe, 2017. Reproduit avec l'autorisation de l'artiste.

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