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Deux « Pères de l’Eglise » en Romandie

  • Fr. Guy

Charles Journet et Maurice Zundel

Curieuse coïncidence, ces dernières semaines deux théologiens catholiques romands qui marquèrent leur siècle font parler d’eux. Ce fut tout d’abord la parution du troisième tome des Œuvres Complètes de Maurice Zundel que ce blog a déjà mentionnée. Puis, trois articles successifs diffusés par le site d’information catholique romand cath.ch consacrés à présenter les grandes lignes de la pensée de Charles Journet, telles exposées dans les écrits de Guy Boissard, notamment dans son « Charles Journet, 1891-1975 », Paris 2008.

Cet auteur fut non seulement le biographe de Journet, mais son disciple. Les frères dominicains de Genève ainsi que les paroissiens de St-Paul ont gardé le souvenir de ce fonctionnaire d’Etat qui fut aussi chef de leur chorale paroissiale et secrétaire responsable de la revue Nova et Vetera qui survit au décès du cardinal Journet, son fondateur. Il est vrai qu’à l’époque, on ne parlait que de « l’Abbé Journet », une appellation que l’ecclésiastique préféra toujours à celle de « Monsieur le Cardinal ».

On a tendance parfois à opposer ces deux théologiens, alors qu’ils partagent tant de traits communs. Commençons par les plus évidents, tout en soulignant les nuances.

Tout d’abord, ils furent quasi contemporains. Si Charles (1891-1975) fut de six ans l’aîné de Maurice (1897-1975), ils décédèrent au cours de la même année. Notons aussi qu’ils naquirent et grandir l’un et l’autre dans deux villes romandes marquées par le protestantisme (Genève et Neuchâtel) et qu’ils ne cessèrent d’être citadins tout au long de leur vie. Après Genève, Paris et Le Caire, Zundel vécut jusqu’à sa mort à la cure d’Ouchy/Lausanne, tandis que Journet, tout en enseignant au Grand-Séminaire diocésain de Fribourg, donnait très régulièrement des conférences à Genève.

Maurice et Charles, ordonnés prêtres, furent incardinés dans le même diocèse, celui de Lausanne, Genève et Fribourg, après avoir fréquenté le même séminaire. Ni l’un ni l’autre par la suite ne fut appelé à exercer une charge académique dans une Faculté de théologie. Les Dominicains, alors en nombre, suffisaient à celle de Fribourg.

Tout naturellement, après leur ordination, c’est comme vicaire de paroisse à Genève qu’ils débutèrent leur ministère pastoral. Mais le destin de chacun allait assez vite prendre un cours différent. Si celui de Charles, hormis son élévation au cardinalat, ne surprit personne, celui de Maurice fut mouvementé. Nous sommes bien informés sur ces événements par les biographes de nos deux théologiens. En particulier, par l’historien Jacques Rime dans son « Charles Journet. Vocation et jeunesse d’un théologien », Fribourg 2010.

Maurice fut écarté de la paroisse St-Joseph de Genève par son évêque sous la pression du vicaire général local. Ces prélats redoutaient sa catéchèse et son engagement social trop avant-gardistes à leurs yeux. En fait, c’était la liberté de parole et de penser de Zundel – ils le qualifiaient (?) de « franc-tireur » – qui les irritait. De même que ses propos « mystique », donc obscurs, fumeux et dangereux, puisqu’ils ne cadraient pas avec leurs catégories mentales. L’évêque crut bien faire en assignant le suspect dans une université romaine. Histoire de lui faire subir un lavage de cerveau. Zundel revint au pays avec le désir de reprendre pied dans une paroisse de son diocèse. Las ! Son évêque lui refusa toute responsabilité de ce type et le jeune prêtre dut s’exiler en région parisienne à la recherche d’un gagne-pain dans diverses aumôneries. Il n’eut pas plus de chances quand il retourna au pays dans les années 30. Heureux toutefois de bénéficier de l’hospitalité de l’Abbé Jean Ramuz, alors curé d’Ouchy/Lausanne. Ce prêtre généreux avait sans doute décelé chez son hôte une richesse intellectuelle et spirituelle insoupçonnée de sa hiérarchie.

Je ne suis pas biographe au point de prétendre que Maurice et Charles furent des amis intimes. De bons compagnons toutefois qui se fréquentèrent à Genève où l’un et l’autre étaient vicaires de paroisse. Jacques Rime va plus loin. Il parle d’amis communs qui passent ensemble leurs vacances. Il évoque même l’offre que fit un jour Charles à Maurice de prendre sa place de professeur au Grand-Séminaire. Charles n’était donc pas indifférent à la détresse de Maurice et intervint en sa faveur. Plus tard, il lui offrira les colonnes de sa revue « Nova et Vetera ». Mais la grossièreté imbécile d’un censeur mit un veto à sa publication (Rime, op.cit.247-248).

Un autre trait commun : l’extrême simplicité et l’ascétisme de leur genre de vie. A la limite de l’extrême chez Maurice. Charles, lui, fuyait les honneurs et avait en horreur les atours et la pompe cardinalices. Il choisit comme lieu de sépulture un cimetière de chartreux, sans stèle ostentatoire pour signaler sa tombe qui demeure ignorée du grand public. L’un et l’autre avaient perçu que la vérité doit être nue pour rayonner.

Dirais-je qu’ils entreprirent les mêmes combats sociaux et politiques ? On connaît par les historiens la réflexion très engagée menée par Journet, de concert avec son ami Jacques Maritain, contre le fascisme et le nazisme naissants puis triomphants. Guy Boissard en a fait le bilan dans son « Quelle neutralité face à l’horreur ? Le courage de Charles Journet », Saint-Maurice 2000. Un engagement qui l’opposa à son évêque soucieux de ne pas mettre en péril un équilibre social et politique – la neutralité –, même au prix de compromissions éthiques. L’Abbé Journet donnera corps à ses réflexions dans un ouvrage important mûri et rédigé pendant la guerre : « Exigences chrétiennes en politique », Paris 1945.

Zundel vivra dans le quotidien son engagement social plutôt que le défendre dans ses écrits. Issu comme Journet d’un milieu « modeste », il sera sensible à toute misère. On ne compte plus les « fioretti » qui narrent son accueil désintéressé des pauvres qui frappaient à sa porte, l’empressement et la douceur qu’il mettait à les recevoir et même son innocente candeur quand il se trouvait face à un coquin ou une coquine déguisé en mendiant qui abusait de sa générosité. Une charité « franciscaine » chez l’un ; un combat raisonné et planifié chez le second. Mais chez l’un et l’autre, l’évangile recouvrait ses droits.

Un autre rapprochement, et non le moindre, fut leur rencontre et leur amitié avec Jean-Baptiste Montini, le futur Paul VI. Zundel fit la connaissance de ce jeune prêtre italien chez des Bénédictines lors de son exil à Paris et Journet fut présenté au Substitut de la Secrétarie d’Etat par Maritain alors ambassadeur de France auprès du Saint-Siège. Rencontre qui valut à Zundel d’être invité un jour à prêcher une retraite au Vatican, prédication qui consacra sa réhabilitation et à Journet d’exercer son ministère de théologien conciliaire et de revêtir un jour – à son corps défendant – la pourpre cardinalice.

Puis vint le grand écart. Le silence entre ces deux penseurs, parfois teinté d’une once d’indulgence. Dans son livre déjà cité, Jacques Rime se fait l’écho de ce « refroidissement ». Citant le chanoine Bavaud qui fut le collègue de Journet au Grand-Séminaire de Fribourg, Charles ne se serait jamais prononcé publiquement sur Zundel. Pour la simple raison que « pour lui, Zundel n’existait pas ». Et notre historien de conclure : « Davantage qu’une opposition systématique, la relation de Journet envers Zundel nous paraît une amitié refroidie au fil des temps, toujours prête à une certaine indulgence » (op.cit.p.249).

Une conclusion un peu courte qui ne rend pas compte de la ferveur et du succès actuel de la pensée de Maurice Zundel. Un intérêt qui ne fait que grandir du fait de la recherche de nos contemporains d’un espace religieux personnel libéré de contraintes dogmatiques trop ficelées. Un Dieu humble et pauvre découvert dans la profondeur de soi plutôt que dans les pages jaunies d’un vieux catéchisme. Sur ce chemin, Maurice Zundel, à tort ou à raison, fait office de guide et de de prophète. On ne cesse de le lire ou de se réclamer de sa pensée. Par contre, si on observe la rumeur, Charles serait au purgatoire, alors que son confrère Maurice vient d’en sortir. Un retour de manivelle qui n’est pas réservé qu’aux théologiens mais à tous les grands penseurs de notre humanité.

Journet et Zundel deux contemplatifs, finalement. L’un se livre à l’écoute d’un Dieu transcendant qui parle de lui-même dans une révélation extérieure dont la garde et la transmission sont confiées à une communauté choisie. L’autre est à la recherche d’un Dieu immanent qui donne sens et prix à son humanité. Pour l’un, c’est Dieu qui fait problème, pour l’autre, c’est l’homme qui pose question.

Deux visions qui ne s’excluent pas mais se complètent. Deux voies qui tentent de dire l’Indicible et de comprendre l’Incompréhensible. Mais une même soif et un même élan. « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père ».

« Une pointe fine » (détail) de Jehan Georges Vibert, 19e s. Wikipédia.

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