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Dilexit Ecclesiam

  • Fr. Guy

Père Yves Congar

Etienne Fouilloux : Yves Congar 1904-1995. Une vie, Editions Salavator, 2020, 340 p.

L’historien Etienne Fouilloux, professeur émérite à l’université Lyon 2, est sans nul doute un des meilleurs connaisseurs de l’Eglise de France du vingtième siècle. Et ce n’est pas la première fois que cet auteur s’intéresse à notre Père Yves Congar, considéré par lui comme « un théologien de service qui ne ménage pas sa peine pour ce qu’il nomme lui-même le service doctrinal du peuple de Dieu » (p.12).

Congar par lui-même

Le Père Congar n’a pas tenu sa vie durant un Journal suivi, si ce n’est celui de son enfance vécue à Sedan au cours de la première guerre mondiale : « Journal de guerre 1914-1918 » (Cerf, Paris 1997), annoté et commenté par Stéphane Audoir-Rouzeau et Dominique Congar, et illustré par Yves, le jeune auteur de ce temps. Puis, beaucoup plus tard, parut le monumental « Mon Journal du Concile », publié en deux tomes aux Éditions du Cerf, Paris 2002, sept ans après la mort du théologien.

Par contre, Yves Congar a collectionné nombre de documents qui pourraient servir un jour à sa biographie. En particulier, des fragments rassemblés « dans un grand carton de chaussures » (p.335) concernant ses difficultés avec les autorités ecclésiastiques entre 1946 et 1956. Il avait écrit sur ce carton : « Ne pas détruire, ne pas disperser. Après moi, remettre à un homme fidèle et libre » (p.335). Cet homme fut précisément Etienne Fouilloux, choisi encore de son vivant par Congar et qui fit paraître l’essentiel de ce trésor enfoui dans ce carton sous le titre : « Yves Congar : Journal d’un théologien 1946-1956 ». Cet ouvrage parut au Cerf en 2000, cinq ans après le décès de celui qui avait collectionné ces papiers.

Un autre ouvrage posthume attribué cette fois-ci au « Cardinal Yves Congar » a paru sous le titre « Ecrits réformateurs » (Paris, Cerf 1995). Celui qui a rassemblé ces textes fondateurs est le frère Jean-Pierre Jossua, fidèle parmi les fidèles, qui avait déjà fait paraître au Cerf en 1967 son livre, « Le Père Congar. La théologie au service du peuple de Dieu ». Un compte-rendu sous forme d’hommage des interventions du Père Congar au Concile Vatican II qui venait de s’achever.

Mais, revenons à la biographie de Congar qui fait l’objet de cette recension. Elle se veut « empathique sans hagiographie, critique sans dénigrement » (p.16). En fait, c’est une vie du Père Congar par lui-même, parce que l’auteur puise pour l’essentiel à des fragments autobiographiques et à d’abondantes archives. Des documents pour la plupart de première main. Cet ouvrage est le fruit d’une longue fréquentation entre Fouilloux et Congar dont la première rencontre – l’historien le note – remonte au 17 février 1966.

La vocation à l’œcuménisme

Fouilloux introduit sa biographie qui respectera l’ordre chronologique des diverses étapes franchies, en mentionnant les quatre vocations de Congar qui ont marqué sa vie de prêtre, de dominicain, d’ecclésiologue et d’œcuméniste.

Dans ses « Ecrits réformateurs » édités par Jean-Pierre Jossua, Yves Congar précise lui-même ce que fut sa vocation œcuménique et en fixe même la date à l’année 1929. Il venait de mettre un terme à un travail d’étudiant (lectorat) qui portait sur l’unité de l’Eglise. Au moment du Benedictus chanté aux Laudes dominicaines, le jeune frère « ressentit » un matin que le verset : « Et tu puerpropheta Altissimi vocaberis » avait été écrit pour lui : « Toi, mon petit, tu seras prophète du Très-Haut, car tu iras devant sa face pour préparer ses voies » (op. cit. p. 264). Je connaissais déjà cette anecdote – s’il faut l’appeler ainsi – et je trouvais à l’époque que notre frère n’était pas dénué de tout sentiment de fatuité ou de vanité en usurpant la mission du Précurseur. Je l’ai mieux compris par la suite, en mesurant son courage et sa fidélité à maintenir cette mission œcuménique tout au cours de sa vie, quel que fut le prix à payer.

Deux livres majeurs ont marqué fortement cet engagement. Tout d’abord, le premier ouvrage qui inaugure la série de la fameuse collection Unam Sanctam et qui s’intitule ; « Chrétiens désunis. Principes d’un œcuménisme catholique » paru au Cerf en 1934, bien avant la création du « Conseil œcuménique des Eglises ». Puis trente ans plus tard, en 1964, au terme du Concile où le théologien Congar jouera un rôle de premier plan : Chrétiens en dialogue. Contributions catholiques à l’Œcuménisme, Unam Sanctam, Cerf, Paris 1964. La différence de titre des deux livres manifeste à elle seule le progrès de l’œcuménisme. En 1964, on n’en est plus à déplorer la division des chrétiens ; on se réjouit plutôt de leur rapprochement et de leur convergence. Le concile et Congar ont passé par là.

Le printemps et la guerre

La vie dominicaine du père Congar est faite d’une succession de déplacements dont chacun a une signification profonde. Il y eut tout d’abord Le Saulchoir de Kain en Belgique où les lois du petit père Combes avaient exilé les Prêcheurs de France. Une abbaye cistercienne désaffectée devint de ce fait un centre d’études théologiques renommé grâce à la présence et à la direction du Père Chenu, entouré d’autres frères ouverts à une perspective biblique et théologique marquée par l’histoire. Selon Fouilloux, cette période fut heureuse et féconde pour notre frère. Elle lui permit de faire une « percée » ecclésiologique et œcuménique.

Puis vint la guerre, la mobilisation du lieutenant Congar suivie de la défaite, de sa captivité en Allemagne, de sa tentative d’évasion et enfin de sa libération par l’armée britannique le 2 mai 1945. Un exil très actif au dire du biographe qui eut en main de multiples documents attestant les activités pastorales et autres préoccupations de notre frère prisonnier de guerre. N’oublions pas aussi que ses liens avec l’armée lui vaudront à l’automne de sa vie de bénéficier des soins médicaux de l’Hôtel des Invalides de Paris. Ses années de captivité lui auront épargné aussi de trop souffrir de la mise à l’index en 1942 de l’écrit programmateur du Père Chenu : « Une école de théologie, le Saulchoir » et la mise à l’écart de ce brillant théologien. Yves Congar ne pouvait imaginer qu’il partagerait un jour le sort de son aîné.

Période de floraison

Au sortir de la guerre, le Père Congar retrouva un autre Saulchoir. Non plus celui de Kain, mais celui d’Etiolles dans la région parisienne. En 1939, les Prêcheurs de France furent en effet autorisés à regagner leur pays.

Malgré l’amertume ressentie due au procès que fit le Saint-Office au Père Chenu au cours des années de guerre, le jeune professeur de théologie se remet au travail. Et ce fut, au dire de son biographe, un nouveau printemps, extrêmement fécond. Citons en particulier deux œuvres majeures.

Tout d’abord, « Vraie et fausse réforme dans l’Eglise », paru dans la collection Unam Sanctam en 1950, l’année même où fut promulguée l’Encyclique « Humanae Generis » et qui connut une seconde édition « revue et corrigée » en 1968, après le Concile.

En 1953, toujours dans la même collection Unam Sanctam, paraissait « Jalons pour une théologie du laïcat » dédicacé « A mesparents ». Un ouvrage sans doute miroir des questions pastorales et missionnaires de son temps, mais dont les principes sont très utiles à l’Eglise d’aujourd’hui désireuse de voir disparaître le cléricalisme avec le renouveau de ses ministères. (Pour la petite histoire, Congar cite au début de l’introduction de son livre ce propos de sacristie : le laïc dans l’Eglise se fait reconnaître à trois gestes ; il s’agenouille devant l’autel, il s’assied face à la chaire et met la main à son porte-monnaie. Nul doute que Congar mettra toute son énergie à bannir ce dicton.)

Meurtri et convalescent

Passons sans trop nous attarder sur le tsunami qui en février 1954 emporta dans sa vague les trois provinciaux dominicains français et conduisit notre frère Yves à une nouvelle captivité. Ce fut l’arrêt brutal de l’expérience missionnaire des prêtres ouvriers qui en fut la cause. Congar accusé d’avoir soutenu cette initiative fut condamné à quitter Le Saulchoir. Il trouva refuge chez nos frères de Jérusalem puis auprès de ceux de Cambridge, chaque fois tirant partie de son malheur par de nouvelles publications ou par l’apprentissage d’une langue. Mais c’est à Strasbourg, chaleureusement accueilli par Mgr Léon-Arthur Elchinger, l’évêque du lieu, ainsi que par les frères du couvent rhénan, qu’il vit ce que Fouilloux appelle sa convalescence

Un bel automne

C’est encore là que la convocation du Concile par Jean XXIII le surprend et plus encore sa nomination à faire partie d’une commission préparatoire. Il se rend à Rome avec perplexité, mais très vite rentre dans le jeu conciliaire comme expert où il donnera le plein de ses capacités intellectuelles, physiques et morales. Fouilloux revient sur le détail et la portée de ses interventions conciliaires déjà recensées par Congar lui-même.

Déjà atteint par la pénible et longue maladie qui l’emportera à 91 ans, le Père Congar regagne en 1968 le Saulchoir d’Etiolles, puis trois ans plus tard celui de Paris, au Couvent St-Jacques, là où ses frères, renouant avec leur histoire, ont transféré leur centre d’études, de recherches, de publications et leurs précieuses archives et bibliothèque. Le Père Congar, entouré de ses frères, vivra en ces lieux ce que Fouilloux appelle « un bel automne ».

Vient enfin ce jour de décembre 1984 où le capitaine de réserve Congar, invalide à 100/100, chevalier de la Légion d’Honneur, sera hébergé aux frais de l’Etat à l’Hôtel des Invalides, bénéficiant de soins particuliers requis par son état de santé. Ses frères dominicains auront à cœur de le visiter dont le fidèle Nicolas Walty (1912 – 2004), de nationalité suisse, « secrétaire perpétuel ! » de la Revue des Sciences philosophiques et théologiques (RSPT) qui chaque jour faisait halte aux Invalides sur le chemin quotidien qui le conduisait du couvent de l’Annonciation où il passait ses nuits à celui de St-Jacques où il avait son bureau.

Apothéose ou lot de consolation

Enfin, le 8 décembre 1994, sept mois avant sa mort (18 juin 1995), le cardinal Jan Willebrands lui remet au nom du pape Jean-Paul II l’anneau et la barrette cardinalices. Apothéose ou acte de reconnaissance tardive d’une Eglise manifestant in extremis sa gratitude à l’un de ses plus fidèles serviteurs. Un « lot deconsolation », écrit Fouilloux. Paralysé sur sa chaise de malade l’intéressé, dit-on, est heureux de ce qui lui arrive. Même honorifique, cette promotion est une officielle réhabilitation qui vient réparer tant d’injustices et d’humiliations.

Je ne peux terminer cette longue recension qu’en citant ce propos du biographe qui définit avec justesse la traversée de vie de Yves Congar : « Le Père Congar n’est pas un théologien en chambre, un homme de cabinet, de bibliothèque et de salle de cours ou de conférences, mais un théologien de plein vent, sensible à l’air du temps, qui a subi jusque dans sa chair les troubles du tragique 20ème siècle ; un théologien de service qui ne ménage pas sa peine pour ce qu’il nomme lui-même le service doctrinal du peuple de Dieu. » (op.cit.p.12)

Dilexit Ecclesiam

J’aurais bien vu au-dessus de sa tombe l’épitaphe qui figure sur le gisant d’un autre cardinal, genevois celui-là. Comme Congar, il eut à souffrir la proscription et l’exil, bien que pour des raisons opposées à celles que dut subir le dominicain. Il s’agit de Gaspard Mermillod (1824-1892). Et voici la devise inscrite sur son tombeau : « DILEXIT ECCLESIAM ».

L’un et l’autre ont aimé l’Eglise. Passionnément. Jusqu’à souffrir pour elle ou par elle.

 

Une interview du frère Yves Congar à la télévision canadienne vers 1977 :

À Rome, au concile Vatican II, le 8 décembre 1963. À l’arrière-plan, Mgr Pailler, archevêque-coadjuteur de Rouen. (photo : archives dominicaines de la Province de France/Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule (dir.), Dictionnaire biographique des frères prêcheurs en ligne)

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