Edgar Morin

Edgar Morin : Leçons d’un siècle de vie, Editions Denoël, 2021, 147 pages.

L’année même du centenaire de sa naissance, le sociologue et philosophe français Edgar Morin publie non pas son bilan de vie personnel, mais fait part de son regard d’acteur et d’analyste sur ce siècle qu’il achève de traverser. Tout particulièrement sur les affrontements, les révolutions, les dérives, mais aussi les rêves et les moments furtifs de générosité et de grandeur qui ont marqué ces cent dernières années. Le penseur livre au passage son kit de survie, tout en regrettant que ses contemporains n’en fassent pas suffisamment usage.  

Morin a choisi de vivre ses dernières années dans un îlot marocain où les voisins ont encore l’habitude de se dire « bonjour » le matin, loin de cet univers déprimant où des humains anonymes scotchés à leur portable courent à la recherche du profit. Finalement, la quête du bonheur et de l‘amour aura marqué sa vie, même s’il avoue avoir été meilleur mari ou compagnon que bon père de famille.

Car notre sociologue éprouve un immense besoin de communication et de sociabilité. Revanche de l’enfant qui perdit sa mère très tôt et qui fut livré à lui-même pour s’affirmer et choisir sa voie. Issu d’une famille juive séfarade de Salonique, il entra dans un réseau de la Résistance, se choisit un nom français et participa avec ses camarades marxistes au défilé de la victoire conduit par le général de Gaulle le 26 août 1944.

La révélation des crimes staliniens l’amena non sans peine à quitter le parti communiste pour demeurer libre de toute allégeance partisane ou idéologique. Il sut aussi prendre ses distances d’avec l’institution académique française. Un poste au CNRS lui suffit pour mener en toute liberté ses recherches et assurer sa renommée.

Le livre d’Edgar Morin fourmille d’épisodes auxquels il a été mêlé de loin ou de près et ses « leçons » sont autant le fruit de son expérience de vie que de sa réflexion objective et rigoureuse.

Quelques principes fondamentaux l’habitent. Il aimerait les léguer en testament à ceux et celles qui lui survivront.

Tout d’abord, sa conviction que l’homme est un être complexe, qui ne se laisse pas réduire à une seule de ses composantes. Il est tout à la fois rationnel, envahi par ses pulsions primaires ou investi par le mythe ou la religion. Chacune de ces entités contribue à le construire

Cet humain doit aussi « vivre et nager dans un océan d’incertitudes en se ravitaillant dans des îlots de certitudes ». Rien n’est jamais définitif pour lui. Versatile, il ne cesse de progresser ou de régresser et doit toujours s’attendre à l’imprévisible et l’inattendu. Aucun acquis n’est pour lui irréversible et sont espérance se limite à attendre l’inespéré.

Cette pensée serait-elle pessimiste ? Proche de l’Ecclésiaste qui prêchait le retour perpétuel des mêmes événements : « Rien de nouveau sous le soleil ! » ? Sans perspective d’un avenir stable et définitivement lumineux ? Morin ne croit plus au « grand soir » communiste, pas plus qu’il ne donne foi au mythe biblique d’« un ciel nouveau et d’une terre nouvelle ». Toutefois, il ne désespère pas de l’homme et va même jusqu’à lui proposer « une hygiène de vie », une morale du quotidien qui devrait éloigner de lui trop de déceptions et de désillusions et l’encourager à cueillir tous les petits bonheurs qui éclosent modestement sur son chemin.

Plus que celle de l’Ecclésiaste, la pensée de Morin est proche d’Epicure. Sans emphase et avec réalisme, il veut « cueillir le jour » tel qu’il se donne, même dans un décor nébuleux.

Proche aussi d’une certaine sagesse évangélique qui ne désespère pas de se faire des amis avec « l’argent malhonnête » (Luc 10,9). Les temps sont durs, mais l’homme peut en tirer parti et faire du mal qui l’obsède un bien surprenant et inattendu. Les « Leçons d’un siècle » d’Edgar Morin, semblent être appropriées à notre époque.