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Entre deuil et déni

  • Fr. Guy

L’Eglise catholique du Rwanda et le génocide

« The Genocide Against the Tutsi, and the Rwandan Churches. Between Grief and Denial » (Le génocide contre les Tutsis et les Eglises du Rwanda, Entre deuil et déni), Woodbridge UK, James Currey, 2022, 342 p.

Philippe Denis est un frère dominicain belge né à Liège en 1952. Après des études d’histoire ecclésiastique aux Universités de Liège, Fribourg et Genève, il entreprend une carrière professorale qui le conduira notamment à Strasbourg puis, depuis 1991, à l’Université de KwaZulu-Natal en République Sud-Africaine (RSA), tout en prenant part à la formation de ses frères dominicains en Afrique du Sud. Spécialiste de l’histoire des relations entre Eglises chrétiennes, il a publié plusieurs ouvrages et articles.

Notons aussi que depuis sa jeunesse et parallèlement à ses activités académiques, Philippe Denis est engagé dans des projets de réhabilitation d’enfants des rues et, plus généralement, de l’enfance maltraitée. Ce qui le rend sensible au sujet qu’il aborde dans son dernier livre dont on espère une traduction française dans un proche avenir.

L’ouvrage a été rédigé sur la base d’enquêtes réalisées sur le terrain, de consultations de multiples archives au Rwanda et ailleurs, de prises en compte de rapports émis par plusieurs commissions sur ce sujet. On peut comprendre, tout en le regrettant, que Philippe Denis n’ait pas mentionné les noms des personnes qu’il a interrogées. Les blessures causées par le génocide n’étant toujours pas cicatrisées, on peut donc s’interroger sur l’objectivité des propos tenus par ceux qui furent victimes de ces événements douloureux.

Aussi, je ne veux retenir de ce livre que certaines conclusions qui me paraissent nettement exprimées. Même si d’aucuns les trouveront contestables. Et tout d’abord, les dernières lignes de l’ouvrage. L’auteur y affirme que son livre n’aurait pas été vain s’il avait contribué à une appréciation plus sereine de l’histoire religieuse récente du Rwanda et de la nécessité d’en assumer les conséquences, sans oublier les échecs du passé. Et tout cela dans un esprit de vérité.

Selon Philippe Denis, l’Eglise catholique fut la principale perdante de ce conflit qui divisa cruellement le pays. Avec un nombre important de ses adhérents, cette Eglise perdit aussi son arrogance et sa prétention à donner le ton au Rwanda tout entier. Ce n’est plus elle qui « fait les rois » qui, sous son regard, gouvernent le pays

Mais de quelle Eglise parle l’auteur ? Essentiellement de son épiscopat qui désormais fait profil bas. Il lui reproche surtout ses hésitations à reconnaître et même à confesser ses erreurs. C’est un fait que des évêques qui, sans approuver le génocide, furent très proches du pouvoir de l’ancien Président du Rwanda.

Sur ce point, Philippe Denis estime que les autorités de l’Eglise presbytérienne du Rwanda ont eu un comportement plus net après le génocide. Ils reconnurent ouvertement que plusieurs de ses membres y avaient collaboré. De toute façon, les atermoiements de l’épiscopat catholique ne mirent pas leur Eglise au ban de la nouvelle République. Les évêques ne sauraient jouer le rôle de victimes ou de persécutés par le nouveau pouvoir. Simplement, les relations se sont clarifiées. Les domaines temporel et spirituel sont désormais des espaces bien définis et distincts. « Quoique », diraient certains…

Cette nouvelle relation entre Eglise et Etat ne devrait pas pour autant étouffer la voix du peuple chrétien – à dessin, je ne parle pas de celle des évêques – quand les droits humains ne sont pas respectés. Il est vrai hélas que la masse des « baptisés » n’a pas résisté au génocide. Il y eut tout de même une minorité, même infime, qui tenta de s’y opposer. Notre auteur en tient-il suffisamment compte ? Pas plus, me semble-t-il, que de la souffrance de tant d’innocents qui subirent le sort des coupables ou qui en souffrent encore aujourd’hui. En effet, la paix est revenue au pays, mais pas encore la pleine réconciliation.

Philippe Denis, en conclusion, évoque la nécessité pour les Eglises du Rwanda de reconnaître leurs « échecs ». Le principal, à mon avis, est qu’elles ne soient pas parvenues à proposer une appropriation personnelle de la foi chrétienne. Pressées qu’elles étaient de conférer des baptêmes collectifs, souvent motivés par des raisons politiques ou de promotion sociale. Ainsi, les Eglises « historiques » du Rwanda n’ont pu offrir à leurs fidèles qu’un christianisme superficiel. D’où le succès actuel des communautés de type pentecôtiste plus axées sur les réponses à des besoins personnels qu’à des rites cultuels ou sociaux sans lendemain.

C’est pourquoi, je ne déplore pas plus qu’il ne faut l’effondrement – encore à vérifier – du nombre de catholiques au Rwanda après le génocide. Je mets mon espoir dans la renaissance du peuple de Dieu appelé désormais à vivre sa foi au sein d’une nation qu’il ne cherche plus à dominer. Après le temps de la conquête, suivi par celui de la purification, voici venir celui du témoignage.

© (Éditions) James Currey

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