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Génocide rwandais

  • Fr. Guy

Place au silence

Je termine la lecture des 220 pages du dernier livre de Jean Hatzfeld : « Là où tout se tait », paru cette année 2021 chez Gallimard.

Le dernier d’une série – inachevée ? – de six volumes de récits-reportages effectués au Bugesera, dans le sud-est du Rwanda, après le génocide de 1994.

Le procédé du journaliste est toujours le même : l’interview à l’aide d’un traducteur et le report des entretiens dans un français qui tient compte des expressions, de la sonorité et des tournures particulières à la langue rwandaise. Ce style met en perspective les personnes interrogées, les rend plus proches du lecteur, de même que les lieux d’où elles parlent.

Ces lieux me sont assez connus pour avoir parcouru de long en large le Bugesera, depuis mon arrivée au Rwanda en 1970 jusqu’à mon retour en Suisse en 1989. Je visitais souvent une communauté de religieuses hospitalières arrivées au Rwanda elles aussi en 1970, établies à Nyamata, chef-lieu de cette contrée qui formait à l’époque une sous-préfecture.

Je connais donc assez bien les sites et même l’histoire de cette région, d’abord un territoire livré aux éléphants et aux buffles, puis « colonisé » par des paysans venus de l’ouest du pays. Suivirent ensuite des populations tutsies déportées sur ces terres qui accueillirent aussi des réfugiés congolais ou burundais. C’est précisément dans ce Bugesera que Jean Hatzfeld, à quelques reprises, a mené ses enquêtes.

J’ai donc lu la quasi-totalité des reportages publiés par Hatzfeld, depuis : « Dans le nu de la vie », paru en l’an 2000, jusqu’au dernier écrit paru vingt ans plus tard. Les interlocuteurs ont pu changer au cours de ce laps de temps et certains ont disparu.

Ce qui a conduit l’auteur à renouveler le cadre de ses interviews : d’abord avec les survivants des tueries, puis avec leurs assassins, qu’ils fussent prisonniers ou libérés après leur peine, avec les enfants des uns et des autres et, dans son dernier livre, en faisant revivre la mémoire d’une petite poignée de Hutus que l’auteur appelle des « Justes » parce qu’ils se sont compromis ou ont donné leur vie pour sauver celle de quelques Tutsis au cours des pires semaines du génocide au Bugesera, à savoir du 14 avril au 14 mai 1994.

Le principal mérite de l’auteur est de dépasser la relation brute des faits pour tenter de percevoir en profondeur les sentiments de ceux et celles qui y furent mêlés.

J’ai retenu dans son dernier ouvrage l’impuissance, l’hésitation et le refus de plusieurs interlocuteurs de raconter ou même d’évoquer un passé qui fut pour eux porteur de grandes souffrances. Des souffrances jamais oubliées certes, plutôt refoulées, dont le rappel cède désormais le pas à la volonté de « vivre en paix envers et contre tout ».

En paix avec soi-même et avec des voisins complices peut-être des massacres de 1994.

D’où le grand silence auquel le titre du livre fait allusion, Pour rien au monde, on désire le briser. Même pas pour commémorer publiquement le sacrifice des Justes.

Bien sûr, le silence, comme une carapace, ne résout pas les problèmes de fond, mais il protège et permet de vivre encore. Le mot pardon est habituellement récusé. Les crimes immondes ne se pardonnent pas. Dieu même, rarement évoqué dans ce livre, est absent de cette tragédie.

Si au moins il était possible aux survivants de faire leur deuil !

Mais comment le feraient-ils en laissant leurs morts sans sépulture ? La recherche dans les fosses communes de ce qui reste des corps de ceux et celles qui furent des êtres chers remplit les dernières pages du livre. Elles provoquent chez le lecteur un dégoût oppressant qui lui fait mesurer l’étendue de l’horreur. Elles lui permettent aussi de ne pas désespérer de l’humain.

A travers ces ultimes et insoutenables gestes de dévotion, l’homme veut encore croire à la piété filiale et… à l’amour.

Jeunes Rwandais à Byumba, dans la province du Nord du Rwanda, près de la frontière entre le Rwanda et l'Ouganda (photo : Bogard Sebushishi/Wikipédia)

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