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Hans Küng

  • Fr. Guy

Entre hier et demain

J’apprends ce matin le décès à Tübingen du professeur Hans Küng à l’âge de 93 ans. Son collègue, rival et néanmoins ami – « je t’aime, moi non plus !» – est un certain Josef Ratzinger de 94 ans, retraité quelque part dans les jardins du Vatican.

Je dois à un autre théologien lucernois, son aîné de huit ans, le frère Heinrich Stirnimann, alors professeur à l’université de Fribourg, la première mention, assez réservée je dois le dire, du nom de Hans Küng. Son jeune et brillant compatriote de Sursee venait de faire un tabac dans le landerneau théologique avec la publication d’une thèse défendue à La Sorbonne sur « La justification chez Karl Barth ». Une question disputée depuis Luther, surtout dans l’univers germanique, et agitée désormais dans un Institut laïc français prestigieux. Quelque chose de rebelle déjà, de non aligné en tous les cas, dans ce choix. Ce catholique alémanique venait d’achever des études philosophiques et théologiques chez les Jésuites de la Grégorienne à deux pas du Vatican. Etait-ce aussi par singularité, par opportunisme ou tout simplement parce qu’on lui en refusait l’accès que Hans Küng ne trouva point de chaire dans une faculté de son pays natal ? C’est donc à l’université de Tübingen, après quelques années passées à Münster, qu’il vécut sa carrière académique. Non pas en exil, mais tirant le meilleur parti de ce site universitaire allemand réputé, doté de deux facultés de théologie, catholique et réformée. Une université qui déroulera sous ses pieds le tapis rouge quand un ukase de la Congrégation pour la doctrine de la foi le priva de son enseignement canonique.

Bien avant d’être frappé par les foudres vaticanes, ce théologien manifesta son intérêt encyclopédique dans tous les domaines où Dieu pourrait être présent et même là où on le présumait absent. On ne compte plus les publications ou interventions du théologien Küng de portée œcuménique, mais aussi interreligieuse, éthique, biblique ou sociale. Il est présent sur le terrain chaque fois qu’une question carrément ou vaguement théologique attire son attention. Comme le fameux Monsieur Arias imaginé par La Bruyère, Hans Küng avait tout lu et tout entendu, de la probabilité de l’existence de Dieu au bienfait de l’euthanasie. Plus de trente ouvrages signés de sa main sur les rayons de notre modeste bibliothèque de province. Que dire alors de sa bibliographie complète ? Même s’il eut recours, comme tout bon professeur, aux travaux et recherches de ses étudiants.

Ses nombreux lecteurs appréciaient sa liberté de parole, proche de l’outrecuidance et de la désinvolture. Un ton qui n’avait rien de timoré ou de pieusard, mais suffisamment honnête et transparent pour rassurer et conforter le lecteur qui partageait ses interrogations et même ses doutes. J’ai rencontré un fidèle « inconditionnel » de Küng, converti du protestantisme. Les écrits du professeur de Tübingen lui servirent de lien pour concilier un réflexe anti-romain dont il ne parvint jamais à se départir avec un catholicisme rénové par le Concile. Ce cher ami, aujourd’hui décédé, n’est qu’un témoin parmi des milliers d’autres auxquels les publications de Hans Küng ont porté secours. Oserais-je me livrer à un aveu ? Je dois beaucoup à son « Jésus » qui a réveillé chez moi des liens personnes avec le rabbi de Nazareth. Des liens alors trop enfouis dans un cortex dogmatique frigorifié.

J’ai entendu dire que ce « Jésus » voulait être une réplique à celui de son ex-collègue de Tübingen devenu entre temps Benoît XVI. Les deux hommes avaient autrefois fréquenté les mêmes allées conciliaires puis les mêmes auditoires universitaires. Chacun pérorant depuis sa chaire selon une approche théologique bien particulière. Ils avaient aussi réagi différemment au séisme de mai 68 qui conforta les postions de l’un deux, tandis que l’autre se ménageait un terrain de repli. Demeure que l’année même de son élection papale Josef Ratzinger invita son challenger à lui rendre visite à Castel Gandolfo. La rencontre se déroula le 24 septembre 2005 dans « une atmosphère amicale », aux dires des media romains qui relataient cet événement. On évita d’aborder les sujets controversés, tout en faisant bonne part aux souvenirs académiques communs.

La petite histoire ne dit pas si le pape offrit ce jour-là une barrette cardinalice au professeur lucernois retraité. Je doute que ce dernier eût consenti à la recevoir, même tardivement. L’itinéraire des deux théologiens était devenu trop divergent. Sans doute aussi, Hans était-il encore trop jeune pour prétendre à cette distinction. Yves Congar, son devancier, ne l’obtint qu’au-delà de ses quatre vingt dix ans et pleinement réhabilité. Une destinée posthume encore offerte à Hans Küng ? Qui vivra verra !

Hans Küng en 2009 (photo : Wikipedia/Muesse. Cette image est partagée sous la licence internationale Attribution 3.0 Unported (CC BY 3.0))

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