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Jézabel

  • Fr. Guy

Perverse et victime

Je mentirais si j’affirmais que je ne m’attendais pas à la réhabilitation tardive de cette reine honnie dans la Bible et traînée dans la boue par les générations qui suivirent. Le mouvement féministe chrétien se plait de nos jours à rétablir l’honneur de nombreuses femmes bibliques, remisées au placard par la gente masculine détentrice du pouvoir au sein des institutions judéo-chrétiennes. Jézabel, à ma connaissance, n’a pas encore mérité d’être lavée de toutes ses impuretés. Voilà qui est fait. Du moins, en partie.

Les « Cahiers Evangile », édités au Cerf depuis 1972, pionniers du renouveau biblique catholique francophone, n’ont pas craint de se lancer dans cette aventure aux relents sulfureux. Ils en ont confié la responsabilité à une équipe dirigée par le bibliste bien connu Régis Burnet. Sous sa houlette, les « Cahiers » viennent d’ajouter en juillet 2023 un « hors série » au numéro 204, intitulé simplement : « Jézabel ». Non pas à proprement parler une réhabilitation de la reine maudite, mais un état des lieux où figurent depuis l’antiquité chrétienne jusqu’à nos jours des références littéraires explicites à son nom et mises en contexte.

Faut-il rappeler ce qu’en disent les Livres des Rois, les premiers à la mentionner ? Selon leurs rédacteurs, Jézabel est l’antitype du prophète Elie, défenseur farouche et fanatique du culte yahwiste, le seul à ses yeux à être compatible avec l’existence du peuple d’Israël. Une lutte à mort s’engage entre lui et cette reine d’origine étrangère qui introduit ses dieux protecteurs à la cour d’Achab, son mari faible et insignifiant, mettant ainsi en danger la survie d’Israël. L’issue du conflit est sanglante. Carnage des prêtres de Baal sur le Mont Carmel et assassinat de Jézabel dont les chiens déchiquètent le corps et lapent le sang. Horrible spectacle !

Une fois de plus, c’est la fidélité à la loi de pureté qui interdit toute immixtion de l’étranger dans le peuple élu qui aura sauvé Israël. Donc, pas de « mariages mixtes » avec des femmes étrangères, païennes de surcroît. Pas plus qu’une pluralité de cultes et de religions sur la « terre promise » à Abraham et à ses descendants. Il leur en coûterait très cher de ne pas observer cette loi. Jézabel a éveillé la jalousie de Yahwe, seul maître chez lui.

Son prophète apprendra plus tard, au terme d’une longue et douloureuse marche dans le désert vers le Mont Horeb que le vrai Dieu ne présente pas ce visage si dur et si hargneux. Il ne tue pas pour sauver son pouvoir ou assouvir sa vengeance. Il fait plutôt sentir sa présence en toute douceur, comme un « souffle fragile » qui effleure la nuque d’Elie qui ne peut le voir de face. Le vrai Dieu est celui qui se fait pressentir, non celui qu’on imagine.

De toute évidence, les auteurs non bibliques qui font référence à Jézabel ont d’autres motifs de lui en vouloir que ceux développés par le prophète Elie avant sa conversion sur le Mont Horeb. Un seul exemple suffira, cité par notre « Cahier » en page 78. Autrefois, nos professeurs de rhétorique faisaient lire et même déclamer par leurs collégiens ces vers de Jean Racine extraits d’« Athalie » une tragédie composée pour être jouée par les jeunes filles du Collège Saint-Cyr fondé par Madame de Maintenon :

« C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit
Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée,
Comme au jour de sa mort, pompeusement parée,
Ses malheurs n’avaient pas altéré sa fierté,
Même elle avait encore cet éclat emprunté,
Dont elle eut soin de peindre et d’orner son visage
Pour réparer des ans l’irréparable outrage ».

Les traits de la Jézabel imaginée par Racine devaient servir de contre-modèle à ces jeunes filles de bonne société du collège de Saint-Cyr. Elles ne devaient pas imiter cette femme fardée et maquillée et fière, si elles voulaient devenir un jour des épouses vertueuses et soumises, telles que les bonnes mœurs de leur temps l’exigeaient.

D’autres auteurs – masculins, est-ce besoin de le dire ? – ont carrément vu en Jézabel une prostituée désirable, voire une femme intrigante et manipulatrice, habile à séduire son conjoint ou son partenaire, comme Eve le fit en tendant à son pauvre mari un fruit empoisonné, porteur de misères et de mort.

D’autres encore, et tout particulièrement le réformateur écossais John Knox, ont voulu reconnaître sous les traits de la reine Jézabel la femme usurpatrice d’une couronne immérité qui ne peut coiffer que la tête d’un roi au machisme confirmé. La misogynie de ce disciple de Calvin est encore aggravée par l’accusation d’idolâtrie qu’il réserve non seulement à Jézabel, mais encore à deux reines particulièrement détestées du réformateur et de sa congrégation. En son temps, les Iles Britanniques connaissaient en effet deux reines catholiques, Marie Tudor et Marie Stuart, parfaites réincarnation, selon Knox, de la perfide Jézabel biblique. Les ennemis de Catherine de Médicis ne manqueront pas non plus de traiter de semblable manière la reine-mère et régente du Royaume de France qui régnait à la même époque.

Mais revenons à notre Jézabel. Le crime fondamental qui lui a valu tant d’avanies n’était-il pas de s’être introduite dans une famille qui ne pouvait survivre qu’au prix de la pureté ethnique ? Bien sûr, Rahab la cabaretière et Ruth la Moabite, étrangères elles aussi, figurent dans la généalogie du Messie d’Israël. Mais elles reconnaissent la prééminence du Dieu d’Abraham et ne souillent  pas sa maison avec leurs idoles et amulettes. Ce que fit Jézabel et causa sa perte.

Plus tard, survint en Israël un prophète assez dissemblable d’Elie. Contrairement à son aîné, il sera peu respectueux de la loi de pureté : il mangera avec les publicains, se laissera baiser les pieds par une courtisane, guérira des lépreux et viendra au secours des païens et païennes quand ils auront besoin de lui. Il payera cette audace par une mort infâme, laissant derrière lui des hommes et des femmes respectueux de ceux qui ne leur ressemblent pas.

Loin de faire de Jézabel une avant-gardiste de la femme chrétienne – elle n’en avait pas toutes les vertus ! – sa présence étrange au sein d’un monde religieusement et ethniquement clos pourrait préfigurer ce que nous vivons présentement. Les chrétiens doivent désormais discerner leur foi et leur agir moral dans une société qui a cessé d’être uniforme. Ils grandissent dans le même champ où poussent l’ivraie et le bon grain.        

Jézabel (détail), John Byam Liston Shaw, 1896 (image © Russell-Cotes Art Gallery and Museum, Bournemouth, Royaume-Uni)

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